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356. Nous ne louons d'ordinaire de bon cœur que ceux qui nous admirent.

409. Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions, si le monde voyait tous les motifs qui les pro5 duisent.

428. Nous pardonnons aisément à nos amis les défauts qui ne nous regardent pas.

438. Il y a une certaine reconnaissance vive, qui ne nous acquitte pas seulement des bienfaits que nous avons 10 reçus, mais qui fait même que nos amis nous doivent, en leur payant ce que nous leur devons.

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462. Le même orgueil qui nous fait blâmer les défauts dont nous nous croyons exempts, nous porte à mépriser les bonnes qualités que nous n'avons pas.

479. Il n'y a que les personnes qui ont de la fermeté qui puissent avoir une véritable douceur; celles qui paraissent douces n'ont d'ordinaire que de la faiblesse, qui se convertit aisément en aigreur.

483. On est d'ordinaire plus médisant par vanité que 20 par malice.

489. Quelque méchants que soient les hommes, ils n'oseraient paraître ennemis de la vertu, et lorsqu'ils la veulent persécuter ils feignent de croire qu'elle est fausse, ou ils lui supposent des crimes.

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[Portrait de Mme de la Fayette, d'après Somaize, Dictionnaire des précieuses: «Féliciane est une précieuse aimable, jeune et spirituelle, d'un esprit enjoué, d'un abord agréable; elle est civile, obligeante et un peu railleuse; mais elle raille de si bonne grâce qu'elle se fait aimer de ceux qu'elle traite le plus mal, ou du moins qu'elle ne s'en fait point haïr. Elle écrit bien en prose, comme il est aisé de voir par le portrait qu'elle a fait de Sophronie (Mme de Sévigné) dont elle est intime amie.>>

Mme de Sévigné, lors de la mort de celle qui avait était son amie pendant quarante ans, écrit une longue lettre (3 juin 1693) dont voici un passage; «Vous saviez tout le mérite de Mme de la Fayette ou par vous, ou par moi, ou par vos amis; sur cela vous n'en pouviez trop croire, elle était digne d'être de vos amis; et je me trouvais trop heureuse d'être aimée d'elle depuis un temps très considérable; jamais nous n'avions eu le moindre nuage dans notre amitié. La longue habitude ne m'avait point accoutumée à son mérite; ce goût était toujours vif et nouveau; je lui rendais beaucoup de soins, par le mouvement de mon cœur sans que la bienséance où l'amitié nous engage y eût aucune part; j'étais assurée aussi que je faisais sa plus tendre consolation, et depuis quarante ans c'était la même chose; cette date est violente, mais elle fonde bien aussi la vérité de notre liaison . . . Elle a eu raison pendant sa vie, elle a eu raison après sa mort, et jamais elle n'a été sans cette divine raison, qui était sa qualité principale.»>

Pour sa grande et noble amitié avec La Rochefoucauld, voir p. 369.]

LA PRINCESSE DE CLÈVES, 1678

[Mlle de Chartres a épousé, sur le conseil de sa mère, le prince de Clèves pour lequel elle éprouvait beaucoup d'estime mais pas d'amour.

Quelque temps après le mariage, elle rencontre à la cour (de Henri II, 1519-1559) le duc de Nemours, qui exerce un attrait irrésistible sur toutes les dames, un chevalier du reste parfait. Le duc tombe amoureux de la princesse de Clèves, qui répond à son amour. Mais elle reste inébranlablement attachée à son devoir, et pour se fortifier dans son cœur contre toute tentation, elle avoue sa passion à son époux. Le prince apprécie cette magnifique franchise et n'en estime que davantage la princesse, mais il ne résiste pas à l'amère jalousie qui étreint son cœur et qui le dispose à croire un moment à la culpabilité de son épouse. Il meurt consumé de chagrin. Nemours espère que la princesse` va maintenant céder à l'amour et consentir au mariage; mais elle pense que son devoir consiste à rester fidèle à ses premiers vœux, et elle cherche refuge contre sa passion dans un couvent.]

1. La princesse confesse à son époux qu'elle porte au cœur un amour pour un autre

M. de Clèves disait à sa femme: «Mais pourquoi ne voulez-vous point revenir à Paris? Qui vous peut retenir à la campagne? Vous avez depuis quelque temps un goût pour la solitude qui m'étonne et qui m'afflige, parce qu'il 5 nous sépare. Je vous trouve même plus triste que de coutume, et je crains que vous n'ayez quelque sujet d'affliction. - Je n'ai rien de fâcheux dans l'esprit, répondit-elle avec un air embarrassé; mais le tumulte de la cour est si grand, et il y a toujours un si grand monde chez vous, 10 qu'il est impossible que le corps et l'esprit ne se lassent

et que l'on ne cherche du repos. - Le repos, répliqua-t-il, n'est guère propre pour une personne de votre âge. Vous êtes chez vous et dans la cour de manière à ne vous pas donner de lassitude, et je craindrais plutôt que vous ne 15 fussiez bien aise d'être séparée de moi. Vous me feriez une grande injustice d'avoir cette pensée, reprit-elle avec un embarras qui augmentait toujours; mais je vous supplie de me laisser ici. Si vous y pouviez demeurer,

j'en aurais beaucoup de joie, pourvu que vous y demeurassiez seul et que vous voulussiez bien n'y avoir point ce nombre infini de gens qui ne vous quittent presque jamais. Ah! madame, s'écria M. de Clèves, votre air et vos paroles me font voir que vous avez des raisons 5 pour souhaiter d'être seule; je ne les sais point, et je vous conjure de me les dire.>>

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Il la pressa longtemps de les lui apprendre, sans pouvoir l'y obliger; et, après qu'elle se fut défendue d'une manière qui augmentait toujours la curiosité de son mari, 10 elle demeura dans un profond silence, les yeux baissés; puis tout à coup, prenant la parole et le regardant: «Ne me contraignez point, lui dit-elle, à vous avouer une chose que je n'ai pas la force de vous avouer, quoique j'en aie eu plusieurs fois le dessein. Songez seulement que la 15 prudence ne veut pas qu'une femme de mon âge, et maîtresse de sa conduite, demeure exposée au milieu de la cour. Que me faites-vous envisager, madame, s'écria M. de Clèves! je n'oserais vous le dire de peur de vous offenser.» Mme de Clèves ne répondit point; 20 et, son silence achevant de confirmer son mari dans ce qu'il avait pensé: «Vous ne me dites rien, reprit-il, et c'est me dire que je ne me trompe pas. - Eh bien, monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux, je vais vous faire un aveu que l'on n'a jamais fait à un mari; 25 mais l'innocence de ma conduite et de mes intentions m'en donne la force. Il est vrai que j'ai des raisons pour m'éloigner de la cour et que je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge. Je n'ai jamais donné nulle marque de faiblesse, et je ne crain- 30 drais pas d'en laisser paraître, si vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour . . . Quelque dangereux que

soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me conserver digne d'être à vous. Je vous demande mille pardons, si j'ai des sentiments qui vous déplaisent; du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions. Son5 gez que, pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d'amitié et plus d'estime pour un mari que l'on n'en a jamais eu. Conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore, si vous pouvez.»

M. de Clèves était demeuré, pendant tout ce discours, Io la tête appuyée sur ses mains, hors de lui-même, et il n'avait pas songé à faire relever sa femme. Quand elle eut cessé de parler, qu'il la vit à ses genoux, le visage couvert de larmes, et d'une beauté si admirable, il pensa mourir de douleur, et, l'embrassant en la relevant: 15 «Ayez pitié de moi, vous-même, madame, lui dit-il, j'en suis digne, et pardonnez, si, dans les premiers moments d'une affliction aussi violente qu'est la mienne, je ne réponds pas comme je dois à un procédé comme le vôtre. Vous me paraissez plus digne d'estime et d'admiration 20 que tout ce qu'il y a jamais eu de femmes au monde; mais aussi je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais existé. Vous m'avez donné de la passion dès le premier moment que je vous ai vue; vos rigueurs et votre possession n'ont pu l'éteindre, elle dure encore; je 25 n'ai jamais pu vous donner de l'amour et je vois que vous craignez d'en avoir pour un autre. Et qui est-il, madame, cet homme heureux qui vous donne cette crainte? Depuis quand vous plaît-il? Qu'a-t-il fait pour vous plaire? Quel chemin a-t-il trouvé pour aller à votre cœur? Je 30 m'étais consolé en quelque sorte de ne l'avoir pas touché par la pensée qu'il était incapable de l'être. Cependant un autre fait ce que je n'ai pu faire: j'ai, tout ensemble,

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