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grand royaume. La grandeur de la maison d'où elle est sortie n'était pour elle qu'un engagement plus étroit dans le schisme de ses ancêtres; disons des derniers1 de ses ancêtres, puisque tout ce qui les précède, à remonter jus5 qu'aux premiers temps, est si pieux et si catholique. Mais si les lois de l'État s'opposent à son salut éternel, Dieu ébranlera tout l'État pour l'affranchir de ces lois . . Notre princesse est persécutée avant que de naître, délaissée aussitôt que mise au monde, arrachée en naissant à лo la piété d'une mère catholique,2 captive dès le berceau des ennemis implacables de sa maison; et ce qui était plus déplorable, captive des ennemis de l'Église; par conséquent destinée premièrement par sa glorieuse naissance, et ensuite par sa malheureuse captivité, à l'erreur et à 15 l'hérésie. Mais le sceau de Dieu était sur elle. Elle pouvait dire avec le Prophète: «Mon père et ma mère m'ont abandonnée: mais le Seigneur m'a reçue en sa protection.>> Délaissée de toute la terre dès ma naissance, «je fus comme jetée entre les bras de sa providence paternelle, et 20 dès le ventre de ma mère il se déclara mon Dieu.» Ce fut à cette garde fidèle que la reine sa mère commit ce précieux dépôt. Elle ne fut point trompée dans sa confiance. Deux ans après, un coup imprévu, et qui tenait du miracle, délivra la princesse des mains des rebelles. Malgré 25 les tempêtes de l'océan et les agitations encore plus violentes de la terre, Dieu, la prenant sur ses ailes, comme l'aigle prend ses petits, la porta lui-même dans ce royaume; lui-même la posa dans le sein de la reine sa mère ou plutôt dans le sein de l'Église catholique... Digne fille de saint

1 Henri VIII (1509-1547) le fauteur du schisme entre l'Église catholique et l'État (1534–1539).

2 Voir l'introduction pour tout ce passage.

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Édouard et de saint Louis, elle s'attacha du fond de son cœur à la foi de ces deux grands rois. Qui pourrait assez exprimer le zèle dont elle brûlait pour le rétablissement de cette foi dans le royaume d'Angleterre, où l'on en conserve encore tant de précieux monuments? Nous savons 5 qu'elle n'eût pas craint d'exposer sa vie pour un si pieux dessein: et le ciel nous l'a ravie! . . .

Après vous avoir exposé le premier effet de la grâce de Jésus-Christ en notre princesse, il me reste, Messieurs, de vous faire considérer le dernier, qui couronnera tous les 10 autres. C'est par cette dernière grâce que la mort change de nature pour les chrétiens, puisqu'au lieu qu'elle semblait être faite pour nous dépouiller de tout, elle commence, comme dit l'Apôtre, à nous revêtir et nous assurer éternellement la possession des biens véritables . . . Donc, 15 Messieurs, si je vous fais voir encore une fois Madame aux prises avec la mort, n'appréhendez rien pour elle: quelque cruelle que la mort vous paraisse, elle ne doit servir à cette fois que pour accomplir l'œuvre de la grâce, et sceller en cette princesse le conseil de son éternelle pré- 20 destination. Voyons donc ce dernier combat; mais encore un coup, affermissons-nous. Ne mêlons point de faiblesse à une si forte action, et ne déshonorons point par nos larmes une si belle victoire.

Voulez-vous voir combien la grâce qui a fait triompher 25 Madame a été puissante? Voyez combien la mort a été terrible. Premièrement, elle a plus de prise sur une princesse qui a tant à perdre. Que d'années elle va ravir à cette jeunesse! Que de joie elle enlève à cette fortune! Que de gloire elle ôte à ce mérite! D'ailleurs peut-elle 30 1 Édouard le Confesseur, dernier roi de la dynastie saxonne (1042-1066); saint Louis, roi de France (1226-1270).

venir ou plus prompte ou plus cruelle? C'est ramasser toutes ses forces, c'est unir tout ce qu'elle a de plus redoutable, que de joindre, comme elle fait, aux plus vives douleurs l'attaque la plus imprévue. Mais quoique, sans 5 menacer et sans avertir, elle se fasse sentir tout entière dès le premier coup, elle trouve la princesse prête. La grâce, plus active encore, l'a déjà mise en défense. Ni la gloire, ni la jeunesse n'auront un soupir. Un regret immense de ses péchés ne lui permet pas de regretter autre Io chose. Elle demande le crucifix sur lequel elle avait vu expirer la reine sa belle-mère1 comme pour y recueillir les impressions de constance et de piété que cette âme vraiment chrétienne y avait laissées avec les derniers soupirs.

A la vue d'un si grand objet, n'attendez pas de cette 15 princesse des discours étudiés et magnifiques: une sainte simplicité fait ici toute la grandeur. Elle s'écrie: «O mon Dieu, pourquoi n'ai-je pas toujours mis en vous ma confiance?» Elle s'afflige, elle se rassure, elle confesse humblement, et avec tous les sentiments d'une profonde dou20 leur, que de ce jour seulement elle commence à connaître Dieu, n'appelant pas le connaître que de regarder encore tant soit peu le monde. Qu'elle nous parut au-dessus de ces lâches chrétiens qui s'imaginent avancer leur mort quand ils préparent leur confession, qui ne reçoivent les 25 saints sacrements que par force, dignes certes de recevoir pour leur jugement ce mystère de piété qu'ils ne reçoivent qu'avec répugnance! Madame appelle les prêtres plutôt que les médecins. Elle demande d'elle-même les sacrements de l'Église, la pénitence avec componction, l'eucha30 ristie avec crainte et puis avec confiance, la sainte onction des mourants avec un pieux empressement . . .

1 Anne d'Autriche, morte 1666.

Ne croyez pas que ces excessives et insupportables douleurs aient tant soit peu troublé sa grande âme. Ah! je ne veux plus tant admirer les braves, ni les conquérants. Madame m'a fait connaître la vérité de cette parole du Sage: «Le patient vaut mieux que le fort; et celui qui 5 dompte son cœur vaut mieux que celui qui prend des villes.» Combien a-t-elle été maîtresse du sien! Avec quelle tranquillité a-t-elle satisfait à tous ses devoirs! Rappelez en votre pensée ce qu'elle dit à Monsieur.1 Quelle force! quelle tendresse! O paroles qu'on voyait 10 sortir de l'abondance d'un cœur qui se sent au-dessus de tout; paroles que la mort présente, et Dieu plus présent encore, ont consacrées; sincère production d'une âme qui, tenant au ciel, ne doit plus rien à la terre que la vérité, vous vivrez éternellement dans la mémoire des hommes, 15 mais surtout vous vivrez éternellement dans le cœur de ce grand prince. Madame ne peut plus résister aux larmes qu'elle lui voit répandre. Invincible par tout autre endroit, ici elle est contrainte de céder. Elle prie Monsieur de se retirer, parce qu'elle ne veut plus sentir de 20 tendresse que pour ce Dieu crucifié qui lui tend les bras.

Alors qu'avons-nous vu? Qu'avons-nous ouï? Elle se conformait aux ordres de Dieu; elle lui offrait ses souffrances en expiation de ses fautes; elle professait hautement la foi catholique, et la résurrection des morts, cette 25 précieuse consolation des fidèles mourants. Elle excitait le zèle de ceux qu'elle avait appelés pour l'exciter ellemême, et ne voulait point qu'ils cessassent un moment de l'entretenir des vérités chrétiennes . . .

...

1 Mme de La Fayette rapporte que Madame, en mourant, avait adressé ces paroles à son mari: «Hélas! monsieur, vous ne m'aimez plus, il y a longtemps; mais cela est injuste; je ne vous ai jamais manqué.»

En cet état, Messieurs, qu'avions-nous à demander à Dieu pour cette princesse, sinon qu'il l'affermît dans le bien, et qu'il conservât en elle les dons de sa grâce? Ce grand Dieu nous exauçait, mais souvent, dit saint Augus5 tin, en nous exauçant il trompe heureusement notre prévoyance. La princesse est affermie dans le bien d'une manière plus haute que celle que nous entendions. Comme Dieu ne voulait plus exposer aux illusions du monde les sentiments d'une piété si sincère, il a fait ce que dit le 10 Sage: «Il s'est hâté.» En effet, quelle diligence! en neuf heures l'ouvrage est accompli. «Il s'est hâté de la tirer du milieu des iniquités.». . . Changeons maintenant de langage; ne disons plus1 que la mort a tout d'un coup arrêté le cours de la plus belle vie du monde, et de l'his15 toire qui se commençait le plus noblement, disons qu'elle a mis fin aux plus grands périls dont une âme chrétienne peut être assaillie.

...

. . Quelle créature fut jamais plus propre à être l'idole du monde? Mais ces idoles que le monde adore, à com20 bien de tentations délicates ne sont-elles pas exposées?

La gloire, il est vrai, les défend de quelques faiblesses; mais la gloire les défend-elle de la gloire même? Ne s'adorent-elles pas secrètement? Ne veulent-elles pas être adorées? Que n'ont-elles pas à craindre de leur amour25 propre? Et que se peut refuser la faiblesse humaine, pendant que le monde lui accorde tout? N'est-ce pas là qu'on apprend à faire servir à l'ambition, à la grandeur, à la politique, et la vertu, et la religion, et le nom de Dieu? La modération que le monde affecte n'étouffe pas 30 les mouvements de la vanité: elle ne sert qu'à les cacher; et plus elle ménage le dehors, plus elle livre le cœur aux 1 Comparez p. 249, l. 3 ss.

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