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et temporel de nous ou de notre prochain nous y

porte.»

Vraiment, lui dis-je, il me semble que je rêve quand j'entends des religieux parler de cette sorte! Eh quoi! 5 mon père, dites-moi, en conscience, êtes-vous dans ce sentiment-là? Non vraiment, me dit le père. - Vous parlez donc, continuai-je, contre votre conscience? Point du tout, dit-il. Je ne parlais pas en cela selon ma conscience, mais selon celle de Ponce et du père Bauny: 10 et vous pourriez les suivre en sûreté; car ce sont d'habiles gens. Quoi! mon père, parce qu'ils ont mis ces trois lignes dans leurs livres, sera-t-il devenu permis de rechercher les occasions de pécher? Je croyais ne devoir prendre pour règle que l'Écriture et la tradition de l'Église, mais 15 non pas vos casuistes. O bon Dieu, s'écria le père, vous me faites souvenir de ces jansénistes! Est-ce que le père Bauny et Basile Ponce ne peuvent pas rendre leur opinion probable? - Je ne me contente pas du probable, lui dis-je, je cherche le sûr. Je vois bien, me 20 dit le bon père, que vous ne savez pas ce que c'est que la

doctrine des opinions probables. Vous parleriez autrement si vous le saviez. Ah! vraiment, il faut que je vous en instruise. Vous n'aurez pas perdu votre temps d'être venu ici; sans cela vous ne pouviez rien entendre. 25 C'est le fondement et l'a b c de toute notre morale.

Je fus ravi de le voir tombé dans ce que je souhaitais: et, le lui ayant témoigné, je le priai de m'expliquer ce que c'était qu'une opinion probable. «Nos auteurs vous y répondront mieux que moi, dit-il. Voici comme ils en 1 30 parlent tous généralement, et entre autres, nos vingtquatre, in princ. ex. 3, n. 8. «Une opinion est appelée probable, lorsqu'elle est fondée sur des raisons de quelque

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considération. D'où il arrive quelquefois qu'un seul docteur fort grave peut rendre une opinion probable.» Et en voici la raison: «car un homme adonné particulièrement à l'étude ne s'attacherait pas à une opinion, s'il n'y était attiré par une raison bonne et suffisante.»> Et 5 ainsi, lui dis-je, un seul docteur peut tourner les consciences et les bouleverser à son gré, et toujours en sûreté. Il n'en faut pas rire, me dit-il, ni penser combattre cette doctrine. Quand les jansénistes l'ont voulu faire, ils y ont perdu leur temps. Elle est trop bien établie. ro Écoutez Sanchez, qui est un des plus célèbres de nos pères (Som. 1. 1, c. 9, n. 7). — «Vous douterez peut-être si l'autorité d'un seul docteur bon et savant rend une opinion probable. A quoi je réponds que oui. Et c'est ce qu'assurent Angelus, Sylv. Navarr. Emmanuel Sa, etc. 15 Et voici comme on le prouve. Une opinion probable est celle qui a un fondement considérable. Or l'autorité d'un homme savant et pieux n'est pas de petite considération, mais plutôt de grande considération. Car, écoutez bien cette raison: Si le témoignage d'un tel homme est 20 de grand poids pour nous assurer qu'une chose se soit passée, par exemple, à Rome, pourquoi ne le sera-t-il pas de même dans un doute de morale?»

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-La plaisante comparaison, lui dis-je, des choses du monde à celles de la conscience. - Ayez patience: San- 25 chez répond à cela dans les lignes qui suivent immédiatement: «Et la restriction qu'y apportent certains auteurs ne me plaît pas, que l'autorité d'un tel docteur est suffisante dans les choses de droit humain, mais non pas dans celles de droit divin. Car elle est de grand poids dans les 30 unes et dans les autres.>>

Mon père, lui dis-je franchement, je ne puis faire cas

de cette règle. Qui m'a assuré que, dans la liberté que vos docteurs se donnent d'examiner les choses par la raison, ce qui paraîtra sûr à l'un le paraisse à tous les autres? La diversité des jugements est si grande . Vous ne 5 l'entendez pas, dit le père en m'interrompant, aussi sontils fort souvent de différents avis, mais cela n'y fait rien. Chacun rend le sien probable et sûr. Vraiment l'on sait bien qu'ils ne sont pas tous de même sentiment, et cela n'en est que mieux. Ils ne s'accordent au contraire pres10 que jamais. Il y a peu de questions où vous ne trouviez que l'un dit oui, l'autre dit non. Et en tous ces cas-là, l'une et l'autre des opinions contraires est probable. Et c'est pourquoi Diana dit sur un certain sujet, part, 3, t. 4, r. 244: «Ponce et Sanchez sont de contraires avis; mais, parce qu'ils étaient 15 tous deux savants, chacun rend son opinion probable.»>

Mais, mon père, lui dis-je, on doit être bien embarrassé à choisir alors!Point du tout, dit-il, il n'y a qu'à suivre l'avis qui agrée le plus. Eh quoi! si l'autre est plus probable? - Il n'importe, me dit-il. - Et si l'autre 20 est plus sûr? - Il n'importe, me dit encore le père, le voici bien expliqué. C'est Emmanuel Sa, de notre société, dans son aphorisme de Dubio, p. 183: «On peut faire ce qu'on pense être permis selon une opinion probable, quoique le contraire soit plus sûr. Or, l'opinion d'un seul 25 docteur grave y suffit.» Et si une opinion est tout ensemble et moins probable et moins sûre, sera-t-il permis de la suivre en quittant ce que l'on croit être plus probable et plus sûr? — Oui, encore une fois, me dit-il; écoutez Filiutius, ce grand jésuite de Rome, Mor. Quæst. tr. 21, 32 c. 4, n. 128: «Il est permis de suivre l'opinion la moins probable, quoiqu'elle soit la moins sûre. C'est l'opinion commune des nouveaux auteurs.» Cela n'est-il pas clair?

- Nous voici bien au large, lui dis-je, mon révérend père. Grâces à vos opinions probables, nous avons une belle liberté de conscience. Et vous autres casuistes, avez(E vous la même liberté dans vos réponses? Oui, me dit-il, nous répondons aussi ce qu'il nous plaît, ou plutôt ce qu'il (5 plaît à ceux qui nous interrogent. Car voici nos règles, prises de nos pères, Layman (Theol. Mor. l. I, tr. 1, C. 2, § 2, no 7): Vasquez (Dist. 62, c. 9, no 47); Sanchez (in Sum. 1. I, c. 9, no 23); et de nos vingt-quatre (in princ. ex. 3, no 24). Voici les paroles de Layman, que le livre 10 de nos vingt-quatre a suivies: «Un docteur, étant consulté, peut donner un conseil, non-seulement probable selon son opinion, mais contraire à son opinion, s'il est estimé probable par d'autres, lorsque cet avis contraire au sien se rencontre plus favorable et plus agréable à celui qui le 15 consulte: SI FORTE et illi favorabilior seu exoptatior sit. Mais je dis de plus qu'il ne sera point hors de raison qu'il donne à ceux qui le consultent un avis tenu pour probable par quelque personne savante, quand même il s'assurerait qu'il serait absolument faux.>>

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Tout de bon, mon père, votre doctrine est bien commode. Quoi! avoir à répondre oui et non à son choix? On ne peut assez priser un tel avantage. Et je vois bien. maintenant à quoi vous servent les opinions contraires que vos docteurs ont sur chaque matière. Car l'une vous 25 sert toujours, et l'autre ne vous nuit jamais. (Si vous ne trouvez votre compte d'un côté, vous vous jetez de l'autre, et toujours en sûreté. Cela est vrai, dit-il, et ainsi nous pouvons toujours dire avec Diana, qui trouva le père Bauny pour lui, lorsque le père Lugo lui était contraire:

Sæpe, premente Deo, fert Deus alter opem.

Si quelque Dieu nous presse, un autre nous délivre.

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- J'entends bien, lui dis-je, mais il me vient une difficulté dans l'esprit. C'est qu'après avoir consulté un de vos docteurs, et pris de lui une opinion un peu large, on sera peut-être attrapé si on rencontre un confesseur qui 5 n'en soit pas, et qui refuse l'absolution, si l'on ne change de sentiment. N'y avez-vous point donné ordre, mon père? En doutez-vous? me répondit-il. On les a obligés à absoudre leurs pénitents qui ont des opinions probables, sur peine de péché mortel, afin qu'ils n'y man1o quent pas. (C'est ce qu'ont bien montré nos pères, et

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entre autres le père Bauny (tr. 4, de Pænit., q. 13, p. 93): «Quand le pénitent, dit-il, suit une opinion probable, le confesseur le doit absoudre, quoique son opinion soit contraire à celle du pénitent.» Mais il ne dit pas que 15 ce soit un péché mortel de ne le absoudre. pas êtes prompt! me dit-il; écoutez la suite: il en fait une conclusion expresse: «Refuser l'absolution à un pénitent qui agit selon une opinion probable, est un péché qui, de sa nature, est mortel.» Et il cite, pour confirmer ce senti20 ment, trois des plus fameux de nos pères, Suarez (tom. 4, dist. 32, sect. 5); Vasquez (disp. 62, c. 7); et Sanchez (n° 29).

O mon père! lui dis-je, voilà qui est bien prudemment ordonné! Il n'y a plus rien à craindre. Un confesseur 25 n'oserait plus y manquer. Je ne savais pas que vous eussiez le pouvoir d'ordonner sur peine de damnation. Je croyais que vous ne saviez qu'ôter les péchés; je ne pensais pas que vous en sussiez introduire. Mais vous avez tout pouvoir, à ce que je vois. — Vous ne parlez pas 30 proprement, me dit-il. Nous n'introduisons pas les péchés, nous ne faisons que les remarquer. J'ai déjà bien reconnu deux ou trois fois que vous n'êtes pas bon scolas

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