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que la congrégation des cardinaux de propaganda fide fut obligée de défendre particulièrement aux jésuites, sous peine d'excommunication, de permettre des adorations d'idole sous aucun prétexte, et de cacher le mystère de la croix à ceux qu'ils instruisent de la religion, leur com- 5 mandant expressément de n'en recevoir aucun au baptême qu'après cette connaissance, et leur ordonannt d'exposer dans leurs églises l'image du crucifix, comme il est porté amplement dans le décret de cette congrégation, donné le 9 juillet 1646, signé par le cardinal Capponi.

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Voilà de quelle manière ils se sont répandus par toute la terre à la faveur de la doctrine des opinions probables,1 qui est la source et la base de tout ce dérèglement. C'est ce qu'il faut que vous appreniez d'eux-mêmes; car ils ne le cachent à personne, non plus que tout ce que vous 15 venez d'entendre, avec cette seule différence, qu'ils couvrent leur prudence humaine et politique du prétexte d'une prudence divine et chrétienne, comme si la foi et la tradition qui la maintient n'étaient pas toujours une et invariable dans tous les temps et dans tous les lieux; comme 20 si c'était à la règle à se fléchir pour convenir au sujet qui doit lui être conforme; et comme si les âmes n'avaient, pour se purifier de leurs taches qu'à corrompre la loi du Seigneur; au lieu «que la loi du Seigneur, qui est sans tache et toute sainte, est celle qui doit convertir les âmes,» 25 et les conformer à ses salutaires instructions!

Allez donc, je vous prie, voir ces bons pères, et je m'assure que vous remarquerez aisément dans le relâchement de leur morale la cause de leur doctrine touchant

1 Cette doctrine sera développée plus bas; selon elle, l'autorisation de cette supercherie ayant été donnée par un religieux dont l'opinion compte, pouvait être acceptée par ses collègues.

la grâce. Vous y verrez les vertus chrétiennes si inconnues et si dépourvues de la charité, qui en est l'âme et la vie; vous y verrez tant de crimes palliés, et tant de désordres soufferts, que vous ne trouverez plus étrange qu'ils 5 soutiennent que tous les hommes ont toujours assez de grâce pour vivre dans la piété de la manière qu'ils l'entendent. Comme leur morale est toute païenne, la nature suffit pour l'observer. Quand nous soutenons la nécessité de la grâce efficace,1 nous lui donnons d'autres vertus 10 pour objet. Ce n'est pas simplement pour guérir les vices par d'autres vices; ce n'est pas seulement pour faire pratiquer aux hommes les devoirs extérieurs de la religion; c'est pour une vertu plus haute que celle des pharisiens et des plus sages du paganisme. La loi et la raison 15 sont des grâces suffisantes pour ces effets. Mais pour dégager l'âme de l'amour du monde, pour la retirer de ce qu'elle a de plus cher, pour la faire mourir à soi-même, pour la porter et l'attacher uniquement et invariablement à Dieu, ce n'est l'ouvrage que d'une main toute20 puissante. Et il est aussi peu raisonnable de prétendre que l'on a toujours un plein pouvoir, qu'il le serait de nier que ces vertus destituées d'amour de Dieu, lesquelles ces bons pères confondent avec les vertus chrétiennes, ne sont pas en notre puissance.»

25 Voilà comment il/me parla, et avec beaucoup de douleur; car il s'afflige sérieusement de tous ces désordres. Pour moi, j'estimai ces bons pères de l'excellence de leur politique, et je fus, selon son conseil, trouver un bon casuiste de la société. C'est une de mes anciennes con30 naissances, que je voulus renouveler exprès. Et comme

1 La doctrine fondamentale des jansénistes, que le passage suivant explique.

j'étais instruit de la manière dont il les fallait traiter, je n'eus pas de peine à le mettre en train. Il me fit d'abord mille caresses, car il m'aime toujours, et, après quelques discours indifférents, je pris occasion du temps où nous sommes pour apprendre de lui quelque chose sur le jeûne, 5 afin d'entrer insensiblement en matière. Je lui témoignai donc que j'avais de la peine à le supporter. Il m'exhorta à me faire violence; mais, comme je continuai à me plaindre, il en fut touché et se mit à chercher quelque cause de dispense. Il m'en offrit en effet plusieurs qui ne 10 me convenaient point, lorsqu'il s'avisa enfin de me demander si je n'avais pas de peine à dormir sans souper. «Oui, lui dis-je, mon père, et cela m'oblige souvent à faire collation à midi et à souper1 le soir. — Je suis bien aise, me répliqua-t-il, d'avoir trouvé ce moyen de vous soulager 15 sans péché; allez, vous n'êtes point obligé de jeûner. Je ne veux pas que vous m'en croyiez; venez à la bibliothèque.»

J'y fus, et là, en prenant un livre: «En voici la preuve, me dit-il, et Dieu sait quelle! C'est Escobar. - Qui est 20 Escobar, lui dis-je, mon père? — Quoi! vous ne savez pas qui est Escobar de notre société, qui a compilé cette Théologie morale de vingt-quatre de nos pères; sur quoi il fait, dans la préface, une allégorie de ce livre «à celui de l'Apocalypse,2 qui était scellé de sept sceaux? Et il dit 25 que Jésus l'offre ainsi scellé aux quatre animaux Suarez,

1 souper... collation: la collation est le léger repas que font les catholiques les jours de jeûne et qui remplace le souper.

2 Chap. IV du Livre de l'Apocalypse, décrivant «un agneau qui était là comme immolé» sur un trône, et qui remit à quatre grands animaux (le lion, le veau, l'homme et l'aigle) et vingt-quatre vieillards, un livre scellé de sept sceaux; ils vont briser les sept sceaux pour interpréter le contenu divin du livre au monde.

Vasquez, Molina, Valentia,1 en présence de vingt-quatre jésuites qui représentent les vingt-quatre vieillards?>>

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Il lut toute cette allégorie, qu'il trouvait bien juste, et par où il me donnait une grande idée de l'excellence de 5 cet ouvrage. Ayant ensuite cherché son passage du jeûne: «Le voici, me dit-il, au tr. 1, ex. 13, n. 67. «Celui qui ne peut dormir s'il n'a soupé, est-il obligé de jeûner? Nullement.» N'êtes-vous pas content? Non, pas tout à fait, lui dis-je; car je puis bien supporter le jeûne en To faisant collation le matin et soupant le soir. — Voyez donc la suite, me dit-il, ils ont pensé à tout. «Et que dira-t-on si on peut bien se passer d'une collation le matin en soupant le soir? Me voilà. On n'est point encore obligé de jeûner. Car personne n'est obligé de changer 15 l'ordre de ses repas.»> O la bonne raison! lui dis-je.

Mais, dites-moi, continua-t-il, usez-vous de beaucoup de vin? — Non, mon père, lui dis-je; je ne le puis souffrir. — Je vous disais cela, me répondit-il, pour vous avertir que vous en pourriez boire le matin, et quand il vous plairait, 20 sans rompre le jeûne; et cela soutient toujours. En voici la décision au même lieu, no 57. «Peut-on, sans rompre le jeûne, boire du vin à telle heure qu'on voudra, et même en grande quantité? On le peut, et même de l'hypocras.>> Je ne me souvenais pas de cet hypocras, dit-il; il faut que 25 je le mette sur mon recueil. Voilà un honnête homme, lui dis-je, qu'Escobar. Tout le monde l'aime, répondit le père. Il fait de si jolies questions! Voyez celle-ci qui est au même endroit, no 38. «Si un homme doute qu'il ait vingt et un ans, est-il obligé de jeûner? — Non.

1 Les quatre grandes autorités théologiques des jésuites.

2 On jeûne seulement depuis 21 ans, mais on fait maigre dès l'âge de la communion (10 à 12 ans).

Mais si j'ai vingt et un ans cette nuit à une heure après. minuit, et qu'il soit demain jeûne, serai-je obligé de jeûner demain? - Non; car vous pourriez manger autant qu'il vous plairait depuis minuit jusqu'à une heure, puisque vous n'auriez pas encore vingt et un ans: et ainsi, 5 ayant droit de rompre le jeûne, vous n'y êtes point obligé.>>

Oh! que cela est divertissant! lui dis-je. · On ne s'en peut tirer, me répondit-il; je passe les jours et les nuits à le lire; je ne fais autre chose.

Le bon père, voyant que j'y prenais plaisir, en fut 10 ravi . . . — En vérité, mon père, lui dis-je, je ne le crois pas bien encore. Eh quoi? n'est-ce pas un péché de ne pas jeûner quand on le peut? Est-il permis de rechercher les occasions de pécher? ou plutôt n'est-on pas obligé de les fuir? Cela serait assez commode. Non pas toujours, 15 me dit-il; c'est selon. Selon quoi? lui dis-je. - Ho! ho! repartit le père. - Et si on recevait quelque incommodité en fuyant les occasions, y serait-on obligé, à votre avis? -Ce n'est pas au moins celui du père Bauny, que voici, p. 1084. «On ne doit pas refuser l'absolution à ceux qui 20 demeurent dans les occasions prochaines du péché, s'ils sont en tel état qu'ils ne puissent les quitter sans donner sujet au monde de parler, ou sans qu'ils en reçussent eux-mêmes de l'incommodité.>> Je m'en réjouis, mon père, il ne reste plus qu'à dire qu'on peut rechercher les 25 occasions de propos délibéré, puisqu'il est permis de ne les pas fuir. Cela même est aussi quelquefois permis, ajouta-t-il. Le célèbre casuiste Basile Ponce l'a dit, et le père Bauny le cite et approuve son sentiment, que voici dans le Traité de la pénitence, q. 4, p. 94. 39 «On peut rechercher une occasion directement et pour elle-même, primo et per se, quand le bien spirituel

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