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1. La Cinquième Provinciale Decants

[L'ordre des Jésuites, ou Compagnie de Jésus, contre qui sont dirigées les Lettres écrites à un provincial (1656–1657)`avait été fondé

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par Ignace de Loyola, en 1534 – avant tout en vue de la conversion des hérétiques. Son importance en France fut grande particulièrement au XVIIe siècle; et là son activité consista surtout à empêcher les défections de l'Église; le mouvement de la Réforme avait eu comme effet dans le monde religieux catholique comme pro– de resserrer la discipline morale; ce joug d'austérité était supporté impatiemment par beaucoup, et souvent par des personnages haut placés dont l'Église désirait le patronage. Les Pères jésuites s'efforcèrent de prouver que la loi divine n'était pas d'une si inhumaine sévérité, mais plutôt que Dieu tenait compte de la fragilité de sa créature, et qu'il n'était pas si rigide que de lui refuser toute joie dans le monde. Le succès extraordinaire de cette indulgence des confesseurs jésuites alarma les chrétiens sérieux. La secte des jansénistes de Port-Royal mit tous ses efforts à lutter contre le danger d'une morale trop facile. Pascal expose du point de vue janséniste la morale jésuite qui sait excuser tous les péchés; il en explique et en attaque certaines doctrines, telles que la «doctrine des Probabilités,» celle «des Équivoques,» celle «des Restrictions mentales.» La Cinquième provinciale explique la «doctrine des Probabilités.».

Dans les quatre premières Lettres il avait expliqué le point de vue des jansénistes - que les jésuites avaient attaqué au sujet des doctrines du pouvoir prochain, de la Grâce suffisante, efficace, et actuelle, des Péchés de Commission et d'Omission. Toutes ces doctrines développent ces idées: que les hommes sont responsables de leurs péchés, car ils se sont servis des facultés (ou Pouvoirs prochains) pour réaliser le mal que Dieu avait rendu seulement possible; et que Dieu seul est auteur du bien parcequ'il faut sa Grâce

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surnaturelle (suffisante et actuelle) pour vaincre la nature pécheresse de l'homme. Depuis la Cinquième lettre Pascal cesse de défendre les jansénistes et porte la lutte dans le camp adverse en montrant combien de raisons les jansénistes avaient de s'élever avec indignation contre la morale que les jésuites faisaient prévaloir.

Le mouvement de révolte contre la morale jésuite inaugurée par les jansénistes au XVIIe siècle porta ses fruits au XVIIIe siècle. L'Ordre fut expulsé de France en 1762, supprimé par le pape en 1773, mais rétabli en 1814.]

Monsieur, (voici

De Paris, ce 20 mars 1656

Monsieur, voici ce que je vous ai promis.1 Voici les premiers traits de la morale des bons pères jésuites, «de ces hommes éminents en doctrine et en sagesse, qui sont tous conduits par la sagesse divine, qui est plus assurée que toute la philosophie.» Vous pensez peut-être que je 5 raille. Je le dis sérieusement, ou plutôt ce sont euxmêmes qui le disent dans leur livre intitulé Imago primi sæculi. Je ne fais que copier leurs paroles, aussi bien que dans la suite de cet éloge: «c'est une société d'hommes, ou plutôt d'anges, qui a été prédite par Isaïe en ces paroles: 10 Allez, anges prompts et légers.» La prophétie n'en estelle pas claire? «Ce sont des esprits d'aigles; c'est une troupe de phénix, un auteur ayant montré depuis peu qu'il y en a plusieurs. Ils ont changé la face de la chrétienté.» Il le faut croire, puisqu'ils le disent. Et vous 15 l'allez bien voir dans la suite de ce discours, qui vous apprendra leurs maximes.

J'ai voulu m'en instruire de bonne sorte. Je ne me suis pas fié à ce que notre ami2 m'en avait appris. J'ai voulu les voir eux-mêmes; mais j'ai trouvé qu'il ne m'avait 20

1 A la fin de la lettre précédente, il avait promis de montrer «<le renversement que la doctrine des jésuites apportait dans la morale.>> 2 Un janséniste de sa connaissance dont la lettre précédente rapportait la conversation.

rien dit que de vrai. Je pense qu'il ne ment jamais. Vous le verrez par le récit de ces conférences.

Dans celle que j'eus avec lui, il me dit de si étranges choses, que j'avais peine à le croire; mais il me les montra 5 dans les livres de ses pères: de sorte qu'il ne me resta à dire pour leur défense, sinon que c'étaient les sentiments de quelques particuliers qu'il n'était pas juste d'imputer au corps. Et en effet, je l'assurai que j'en connaissais qui sont aussi sévères que ceux qu'il me citait sont reIo lâchés. Ce fut sur cela qu'il me découvrit l'esprit de la société, qui n'est pas connu de tout le monde, et vous serez peut-être bien aise de l'apprendre. (Voici ce qu'il me dit:

«Vous pensez beaucoup faire en leur faveur, de mon15 trer qu'ils ont de leurs pères aussi conformes aux maximes évangéliques que les autres y sont contraires; et vous concluez de là que ces opinions larges n'appartiennent pas à toute la société. Je le sais bien car si cela était, ils n'en souffriraient pas qui y fussent si contraires. Mais, 20 puisqu'ils en ont aussi qui sont dans une doctrine si licen

cieuse, concluez-en de même que l'esprit de la société n'est pas celui de la sévérité chrétienne: car, si cela était, ils n'en souffriraient pas qui y fussent si opposés. — Eh quoi! lui répondis-je, quel peut donc être le dessein du 25 corps entier? C'est sans doute qu'ils n'en ont aucun d'arrêté, et que chacun a la liberté de dire à l'aventure ce qu'il pense! Cela ne peut pas être, me répondit-il: un si grand corps ne subsisterait pas dans une conduite téméraire, et sans une âme qui le gouverne et qui règle 30 tous ses mouvements; outre qu'ils ont un ordre particulier de ne rien imprimer sans l'aveu de leurs supérieurs. Mais quoi! lui dis-je, comment les mêmes supérieurs peu

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vent-ils consentir à des maximes si différentes? ce qu'il faut vous apprendre, me répliqua-t-il.

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Sachez donc que leur objet n'est pas de corrompre les mœurs: ce n'est pas leur dessein. Mais ils n'ont pas aussi pour unique but celui de les réformer: ce serait une mau- 5 vaise politique. Voici quelle est leur pensée. Ils ont assez bonne opinion d'eux-mêmes pour croire qu'il est utile et comme nécessaire au bien de la religion que leur crédit s'étende partout, et qu'ils gouvernent toutes les consciences. Et, parce que les maximes évangéliques et 10 sévères sont propres pour gouverner quelques sortes de personnes, ils s'en servent dans ces occasions où elles leur sont favorables. Mais, comme ces mêmes maximes ne s'accordent pas au dessein de la plupart des gens, ils les laissent à l'égard de ceux-là, afin d'avoir de quoi satis- 15 faire tout le monde. C'est pour cette raison que, ayant affaire à des personnes de toutes sortes de conditions et de nations si différentes, il est nécessaire qu'ils aient des casuistes1 assortis à toute cette diversité.

(De ce principe vous jugez aisément que, s'ils n'avaient 20 que des casuistes relâchés, ils ruineraient leur principal dessein, qui est d'embrasser tout le monde, puisque ceux qui sont véritablement pieux cherchent une conduite plus sévère. Mais, comme il n'y en a pas beaucoup de cette sorte, ils n'ont pas besoin de beaucoup de directeurs 25 sévères pour les conduire. Ils en ont peu pour peu; au lieu que la foule des casuistes relâchés s'offre à la foule de ceux qui cherchent le relâchement.

(C'est par cette conduite obligeante et accommodante, comme l'appelle le père Petau, qu'ils tendent les bras à 30 tout le monde. Car, s'il se présente à eux quelqu'un qui 1 Casuistes qui discutent des cas de conscience morale.

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soit tout résolu de rendre des biens mal acquis ne craignez pas qu'ils l'en détournent. Ils loueront au contraire et confirmeront une si sainte résolution. Mais qu'il en vienne un autre qui veuille avoir l'absolution sans resti5 tuer, la chose sera bien difficile, s'ils n'en fournissent des moyens dont ils se rendront les garants.

Par là ils conservent tous leurs amis, et se défendent contre tous leurs ennemis. Car, si on leur reproche leur extrême relâchement, ils produisent incontinent au public 10 leurs directeurs austères, avec quelques livres qu'ils ont faits de la rigueur de la loi chrétienne; et les simples, et ceux qui n'approfondissent pas plus avant les choses, se contentent de ces preuves.

Ainsi ils en ont pour toutes sortes de personnes, et 15 répondent si bien selon ce qu'on leur demande, que, quand ils se trouvent en des pays où un Dieu crucifié passe pour folie, ils suppriment le scandale de la croix, et ne prêchent que Jésus-Christ glorieux, et non pas JésusChrist souffrant: comme ils ont fait dans les Indes et dans 20 la Chine où ils ont permis aux chrétiens l'idolâtrie même, par cette subtile invention de leur faire cacher sous leurs habits une image de Jésus-Christ à laquelle ils leur enseignent de rapporter mentalement1 les adorations publiques qu'ils rendent à l'idole Cachinchoam et à leur 25 Keum-fucum; comme Gravina, dominicain, le leur reproche, et comme le témoigne le mémoire, en espagnol, présenté au roi d'Espagne Philippe IV, par les cordeliers des îles Philippines, rapporté par Thomas Hurtado dans son livre du Martyre de la foi, page 427. De telle sorte

1 Exemple d'application de la doctrine des «Équivoques.>>

2 Dominicains . . . Cordeliers ordres religieux qui avaient aussi des missionnaires en Chine et aux iles Philippines.

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