Il se réjouissait à l'odeur de la viande Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande. On servit, pour l'embarrasser, En un vase à long col et d'étroite embouchure. Le bec de la cigogne y pouvait bien passer; 5 Mais le museau du sire était d'autre mesure. Il lui fallut à jeun retourner au logis, Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris, Trompeurs, c'est pour vous que j'écris: 8. Le chêne et le roseau I. 22 Le chêne un jour dit au roseau: «Vous avez bien sujet d'accuser la nature: Un roitelet pour vous est un pesant fardeau; Le moindre vent qui d'aventure Fait rider la face de l'eau, Vous oblige à baisser la tête; ΤΟ 15 Cependant que mon front, au Caucase pareil, famous t Non content d'arrêter les rayons du soleil, Brave l'effort de la tempête. Tout vous est aquilon; tout me semble zéphyr. Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage Dont je couvre le voisinage, Vous n'auriez pas tant à souffrir: Je vous défendrais de l'orage; Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des royaumes du vent. 20 25 5 IO 15 La nature envers vous me semble bien injuste. Les vents me sont moins qu'à vous redoutables: Résisté sans courber le dos; Mais attendons la fin.» Comme il disait ces mots, Le plus terrible des enfants Que le nord eût portés jusque-là dans ses flancs. Celui de qui la tête au ciel était voisine, Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts. 20 25 9. Le lion et le rat II. II Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde: De cette vérité deux1 fables feront foi, Tant la chose en preuves abonde. Entre les pattes d'un lion Un rat sortit de terre assez à l'étourdie. Quelqu'un aurait-il jamais cru 1 L'autre fable, La colombe et la fourmi, n'est pas donnée ici, Qu'un lion d'un rat eût affaire? Dont ses rugissements ne le purent défaire. 10. Le coq et le renard II. 15 Sur la branche d'un arbre était en sentinelle Un vieux coq adroit et matois. «Frère, dit un renard, adoucissant sa voix, Nous ne sommes plus en querelle: Paix générale cette fois. Je viens te l'annoncer; descends, que je t'embrasse; Ne me retarde point, de grâce: Je dois faire aujourd'hui vingt postes1 sans manquer. Les tiens et toi pouvez vaquer Sans nulle crainte à vos affaires: Le baiser d'amour fraternelle. Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle Que celle De cette paix; 1 Mesure de route, ordinairement de deux lieues. 2 Feux de joie, 5 ΙΟ 15 20 25 5 ΙΟ Et ce m'est une double joie De la tenir de toi. Je vois deux lévriers, Que pour ce sujet on envoie; Ils vont vite, et seront dans un moment à nous. Une autre fois.» Le galant aussitôt Car c'est double plaisir de tromper le trompeur. 11. Le meunier, son fils, et l'âne III. I 15...«J'ai lu dans quelque endroit qu'un meunier et son fils, L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits, Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire, Allaient vendre leur âne, un certain jour de foire Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit, 20 On lui lia les pieds, on vous le suspendit; Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre. Pauvres gens, idiots, couple ignorant et rustre! Le premier qui les vit de rire s'éclata: «Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là? 1 Grègues = culottes. Tirer ses grègues = relever sa culotte pour mieux courir. 2 Gagner un lieu de sûreté. 3 Cette fable est mise par La Fontaine dans la bouche de Malherbe, et le «quelque endroit» est peut-être les Facéties du Pogge. Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense.»> Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler. L'âne, qui goûtait fort l'autre façon d'aller, Se plaint en son patois. Le meunier n'en a cure; Messieurs, dit le meunier, il vous faut contenter.»> Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis, - Il n'est, dit le meunier, plus de veaux à mon âge: Trouve encore à gloser. L'un dit: «Ces gens sont fous! - Parbleu! dit le meunier, est bien fou de cerveau Qui prétend contenter tout le monde et son père. Essayons toutefois si par quelque manière Nous en viendrons à bout.» Ils descendent tous deux. 5 ΙΟ 15 20 25 30 |