Page images
PDF
EPUB

désirerois de tout mon cœur que vous la gardassiez longtemps. Vous êtes donc bien aise d'être admirée? c'est une nourriture dont on ne tâte guère ici, et vous en avez tiré tout ce qu'on en peut tirer de meilleur, qui est de n'en avoir pas été blâmée ; pour moi, je comprends fort bien qu'on vous admire, et je ne doute point que vous vous fassiez aimer et estimer partout. J'approuve fort le parti que vous prenez de ne guère parler de nous : il est vrai que cela attire l'envie, et nous méritons d'ètre oubliées. Soyez une bonne dame de campagne, bonne chrétienne, bonne femme, bonne fille, bonne mère, bonne maitresse, en un mot, remplissez vos devoirs; vous ne serez heureuse que par là. Vous connoissez la cour, et vous n'en serez jamais engouée; Paris est pernicieux pour les femmes; Havrincourt, Hesdin, Arras, peuvent vous fournir une diversité agréable. Je vous parle, madame, comme à ma fille, ayant pour vous la même tendresse.

Voici une interruption, mais j'espère que je reviendrai.

Ce 7 août.

Mandez-moi souvent de vos nouvelles, je vous prie; je garde le placet dont monsieur votre mari m'a chargée pour le donner au Roi à l'Assomption. Quoique vous vouliez oublier la cour, je crois que vous ne cesserez jamais de vous intéresser au Roi qui se porte, grâce à Dieu, fort bien, à Mme la duchesse de Bourgogne qui a fini tous ses remèdes dont elle est fort contente, et à moi, si j'ose me nommer

après de telles gens, qui suis parfaitement remise de tous les maux que vous m'avez vus.

Priez et faites prier pour la paix, et encore une fois écrivez-moi souvent, et bien des détails sur tout ce qui vous regarde. Je ne saurois finir par des compliments, il me semble que je vous aime trop pour vous en faire.

[blocks in formation]

AVIS A UNE DEMOISELLE QUI SORTOIT
DE SAINT-CYR'.

1705.

Ce que je crois de plus important pour vous, ma chère fille, en entrant dans le monde, est de vous attacher à Dieu avec une grande confiance .en lui, jointe à une égale défiance de vous-même. Vous en avez plus besoin qu'une autre, par l'ignorance du mal où vous avez été élevée, qui pourroit vous y faire tomber sans même vous en apercevoir; ainsi vous n'êtes pas en état de vous garder, mais Dieu vous gardera, si vous tenez fortement à lui par le fréquent usage des sacrements, par la fidélité à vos exercices, et tâchant surtout de mériter cette faveur par de ferventes prières. Vous devez promettre à Dieu, dans la dernière communion que vous ferez avant votre sortie, que vous serez ferme et fidèle à suivre les

1 Lettres édifiantes, t. V, I. 44. —Cette instruction est la plus complète et la plus détaillée que Mme de Maintenon ait faite aux demoiselles qui sortaient de Saint-Cyr; elle traite tous les sujets : piété, modestie, charité, devoirs envers les parents, envers le Roi et l'État, etc.

exercices que votre confesseur vous a marqués; cette fermeté ira au-devant de plusieurs inconvénients considérables; car un jour vous n'aurez plus de dévotion, un autre il vous prendra envie de changer les lectures, et dès qu'on s'est fait une planche, on y passe très-aisément; au lieu que les personnes qui se font une loi de ne remettre leurs exercices que pour des choses absolument nécessaires, ne pensent pas qu'on puisse faire autrement. Comptez, ma chère fille, que le démon emploiera toutes sortes de moyens pour vous détourner de cette fidélité: il vous mettra dans l'esprit un dégoût et un éloignement de la prière; il vous suggèrera qu'après tout vous n'êtes pas religieuse, que c'est une perte de temps, puisque vous n'en tirez aucun fruit, et qu'il vaudroit mieux s'occuper à quelque chose de plus utile. Vous entendrez peut-être des discours et des railleries propres à vous faire tout quitter: on dira que vous ne voulez point manquer à votre routine, que vous avez pris une dévotion du petit peuple, que vous êtes bien simple; mais si vous demeurez ferme sur les principes qu'on vous a donnés, vous vous attirerez des grâces victorieuses pour triompher de votre foiblesse. N'oubliez jamais, ma chère fille, qu'un chrétien sans prière est un soldat sans armes le jour du combat; que lui peut-il arriver, sinon d'être percé de coups et abandonné à la discrétion de son vainqueur qui n'est autre que ce fort armé dont parle l'Évangile?

J'ai joint la défiance de soi-même à la confiance en Dieu, car il ne faut pas le tenter en s'exposant

aux occasions; qui aime le péril y périra. Si vous vous engagiez mal à propos, et que vous ne fussiez pas sur vos gardes, vous auriez sujet de craindre que Dieu vous refusat son secours et qu'il vous livrât à votre foiblesse. Fuyez donc les hommes comme vos plus mortels ennemis, ne vous trouvez jamais. seule avec aucun, ne vous plaisez point à entendre

dire

que vous êtes jolie, aimable, que vous avez la voix belle, etc. Le monde est un trompeur malin qui pense rarement ce qu'il dit, et la plupart des hommes qui tiennent ce discours aux filles ne le font. que pour trouver une entrée pour les perdre. Ne recevez jamais d'eux de présent, ne chantez jamais en leur présence que par ordre et devant madame votre mère que je crois trop sage pour vous le faire faire mal à propos. Fuyez toute galanterie et toute intrigue, évitez même les manières et les airs enjoués; que votre modestie soit embarrassée à l'abord d'un homme, que la rougeur vienne à votre secours; mais n'ayez pas de ces manières de filles de couvent qu'on ne peut guère appeler què sottes, et qui attirent ordinairement ce qu'on prétend éviter; des yeux baissés modestement et un certain air de sagesse et de réserve sont bien plus à propos. Ne souffrez jamais qu'ils vous touchent les mains ou autrement, ni qu'ils prennent avec vous la moindre liberté; n'ayez avec personne des airs ni des rires. d'intelligence; n'écrivez qu'à vos proches parents à moins de quelque affaire; si un homme vous.écrit, portez la lettre à madame votre mère avant même de la lire, et n'y répondez point sans son ordre; si

vous n'étiez pas à portée de prendre son conseil, il vaudroit encore mieux jeter de telles lettres au feu sans les lire que de risquer de prendre un autre parti.

Vous savez ce que Dieu ordonne d'avoir pour ceux de qui nous avons reçu la vie; ne vous en oubliez jamais honorez et respectez madame votre mère, quand même vous ne trouveriez pas en elle la tendresse et l'amitié que je suis persuadée qu'elle a pour vous; faites voir en tout une soumission et une parfaite déférence à ses sentiments tant qu'ils ne vous demanderont rien de contraire à votre premier devoir qui est d'obéir à Dieu, et quand même vous verriez en vos frères et en vos sœurs une conduite contraire, distinguez-vous d'eux en cela vous avez été mieux instruite, et vous savez qu'il n'y a dans le précepte que Dieu en a fait aucune différence du plus au moins de naissance, ni des autres avantages naturels. Dieu, de tout temps, a béni les enfants qui se sont exactement acquittés de ce devoir, et ceux qui agissent autrement ne prospèrent pas pour l'ordinaire même en ce monde.

:

Mettez votre dévotion à remplir les devoirs de votre état un des principaux va être de plaire à madame votre mère et à mesdemoiselles vos sœurs en tout ce qui ne déplaît point à Dieu. Soyez douce, égale, complaisante, pleine d'attention aux autres, et d'oubli de vous-même; mettez votre plaisir à faire celui de madame votre mère, et à vous rendre à sa volonté; conformez-y vos dévotions, raccourcissezles s'il le faut, mais que rien ne vous empêche de

« PreviousContinue »