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VICTOIRE.

Je ne croyois pas que les toiles peintes nous menassent à tant de réflexions sérieuses.

CÉLESTINE.

Il faut en faire sur tout pour ne pas se laisser entrainer au torrent des discours généraux qu'on fait sans avoir rien approfondi.

VICTOIRE.

On dira que nous parlons comme ayant été élevées dans un lieu tout dévoué au Roi et à la faveur.

PAULINE.

On verra que nous savons nos devoirs, qui nous obligent à craindre Dieu, à honorer le Roi et à être soumises à toute autorité'.

MÉLANIE.

Comment! vous nous voulez soumettre au juge du village ?

CÉLESTINE.

Oui, assurément, toute autorité vient du prince, il faut la reconnoître.

VICTOIRE.

Tout cela me paroît tyrannique.

CÉLESTINE.

Parce que vous n'en voulez pas voir la raison; cette tyrannie vous accommode pourtant, quand elle met votre vie et votre bien en sûreté, et alors vous voulez bien reconnoître les juges, les sergents,

septième siècle ne reviendront pas dans les masses populaires, ou qu'on n'aura pas trouvé leur équivalent, la question sociale restera aussi terrible et aussi menaçante.

1 Voilà tout l'Évangile politique du dix-septième siècle.

et tout ce qui contribue à réparer les torts qu'on nous auroit faits.

PAULINE.

Ne voyez-vous pas, mesdemoiselles, que tous ces murmures se font sans réflexion? y a-t-il rien qui paroisse si violent, si tyrannique et si injuste que le pouvoir que les hommes se sont donné de faire mourir des hommes comme eux? cependant, mesdemoiselles, où serions-nous si on ne punissoit tous les crimes?

VICTOIRE.

Vous êtes si raisonnables qu'il n'y a pas moyen de vous résister, mesdemoiselles; et me voilà bien résolue de profiter de tout ce que vous venez de nous dire.

CONVERSATION XXVIII.

SUR LES ÉGARDS.

ODILLE.

Je suis surprise que, nous parlant autant des égards qu'on nous en parle, on ne nous ait pas fait une Conversation pour nous faire bien comprendre c'est.

ce que

LOUISE.

N'est-ce pas nous dire tout en un mot quand on nous renvoie à la charité?

HORTENSE.

Tout le monde, mademoiselle, ne comprend pas si vite que vous, ni n'a autant de bonne volonté pour mettre en pratique ce que vous comprenez.

ODILLE.

Il est vrai que les jeunes personnes ont besoin d'explications et d'un détail qui les instruise, et que les plus vieilles se trompent quand elles jugent de la compréhension des autres par la leur.

HORTENSE.

Ce sont des manières bien dévotes de ne se conduire depuis le matin jusqu'au soir que par la charité. Je voudrois des instructions qui convinssent à une personne qui doit vivre dans le monde.

LOUISE.

Eh bien, mademoiselle, nous parlerons de politesse, qui ne sauroit pourtant aller plus loin que cette règle de ne faire à autrui que ce que nous voudrions qui nous fût fait.

HORTENSE.

Cherchons en détail à nous appliquer cette règle.

LOUISE.

Elle va bien loin; elle s'étend sur tout, et rendroit les personnes parfaites et la vie bien douce.

HORTENSE.

Trouvez vous la vie bien douce quand il faut se contraindre continuellement, peser tout ce qu'on dit et craindre toujours de fâcher?

ODILLE.

Elle seroit bien plus fâcheuse si on disoit tout

ce qu'on pense, et si on vouloit toujours faire sa volonté sans consulter celle des autres.

LOUISE.

Pourquoi supposez-vous qu'on ne veuille jamais les mêmes choses?

ODILLE.

On le veut quelquefois, et c'est ce qu'il faut étudier.

HORTENSE.

Vous réduisez donc tous les égards à la complaisance et à soumettre sa volonté ?

ODILLE.

Il s'en faut beaucoup, et les égards sont bien plus étendus; on ne finiroit pas si on disoit en quoi il en faut avoir, puisqu'il est vrai qu'il en faut en tout.

LOUISE.

Oui, si les personnes sont bizarres; mais ne convenez-vous pas qu'il en faut moins avec celles qui sont raisonnables?

HORTENSE.

Je crois en effet que tout le monde n'est pas également difficile à vivre, ni aisé à se fâcher.

ODILLE.

Il est certain qu'il en faut moins avec les per sonnes raisonnables, mais il en faut encore; on n'a point les mêmes goûts, il faut entrer dans ceux des autres, abandonner les siens, se conformer à leur humeur.

LOUISE.

Quand on est raisonnable, on n'a pas d'humeur.

HORTENSE.

Peu sont sans humeur ; je crois que cela n'est que du plus ou du moins.

ODILLE.

Sans être de mauvaise humeur, on a des humeurs, on a ses déplaisirs, ses joies; et quand on a des égards, on s'accommode à ce qu'on trouve.

HORTENSE.

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Nous passâmes hier tout le jour chez Mme. rappelons-nous tout ce qui s'y passa, et voyons, pour notre instruction, si quelqu'un manqua d'égards.

ODILLE.

Oui certainement, on en manqua, et je vous avoue que j'y souffris beaucoup.

HORTENSE.

Je crus voir une personne bien choquée de ce que, racontant quelque chose, qui que ce soit ne voulut l'écouter.

LOUISE.

Voilà ce qui s'appelle manquer d'égards.

HORTENSE.

Sa narration fut si longue et si mauvaise, qu'il n'y avoit pas moyen de l'entendre.

LOUISE.

Il ne faut pas de grands égards pour écouter ce qui nous plaît, mais il est certain qu'il faut écouter ceux qui vous parlent, quand même ils ennuient.

HORTENSE.

Je ne disois rien, je pensois à autre chose.

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