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CHARLOTTE.

Et quand nous aurions parlé de nous-mêmes, mademoiselle, aurions nous eu grand tort ?

LOUISE.

Nous ne sommes pas d'un âge où nous dussions parler sans un ordre exprès.

CHARLOTTE.

Eh quoi! mademoiselle, si nous étions capables de dire de nous-mêmes ce que l'on nous apprend, ne faudroit-il pas le dire?

LOUISE.

Je crois que le silence doit être le partage des jeunes gens, surtout des filles.

ÉLÉONORE.

Ajoutez encore des filles nourries dans une maison où tout doit marquer la piété.

HORTENSE.

Est-ce que la piété consiste dans le silence ?

MARIE.

Elle n'y consiste pas absolument, mais il la conserve, c'est une des dépendances de la modestie chrétienne.

ÉLÉONORE.

Le seul usage du monde empêche les jeunes gens de parler beaucoup.

HORTENSE.

Vous condamnez donc les jeunes personnes à paroître stupides?

ÉLÉONORE.

Je les condamnerois à beaucoup écouter avant que de parler.

CHARLOTTE.

Tous les soins qu'on prend de nous seroient bien inutiles si nous n'avions pas plus d'esprit que les

autres.

LOUISE.

Faites-vous consister l'esprit à parler? Souvent il y en a beaucoup plus à se taire.

ÉLÉONORE.

On ne voit guère de personnes établir leur réputation en parlant beaucoup, ce qui d'ordinaire fait dire bien des sottises.

HORTENSE.

Ah! pour les sottises je n'en voudrois pas dire, mais c'est ce que l'esprit sait bien éviter.

LOUISE.

Il faut être bien habile pour les éviter toujours; il y a bien des sortes de fautes que commettent ceux qui parlent beaucoup, bien des péchés, des médisances, des railleries et des vanités.

ÉLÉONORE.

Bien des choses inutiles, bien des petitesses.

HORTENSE.

Vous m'épouvantez, mesdemoiselles, par le grand nombre de fautes que vous venez de me faire connoître, et je ne croyois pas qu'il fallût éviter tant de choses dans la conversation.

LOUISE.

Plus vous vivrez, mademoiselle, et plus vous connoîtrez qu'il n'y a rien de si beau à une fille que de

savoir se taire.

CONVERSATION V.

SUR L'ORDRE.

ATHÉNAÏS.

Quoique je me sois bien divertie ce carnaval, mesdemoiselles, je suis pourtant ravie de ce qu'il est passé.

ALPHONSINE.

Pour moi, je n'en sens ni joie ni chagrin.

HENRIETTE.

Et moi je suis toujours sincère; j'avoue franchement que je ne serois pas fâchée qu'il durât encore.

MARCELLE.

On peut juger par là, mademoiselle, que vous aimez moins l'ordre que le plaisir.

AUGUSTE.

Effectivement, mademoiselle, vous voulez nous donner mauvaise opinion de vous.

HENRIETTE.

Quoi! pour mériter votre estime il faut cacher ses sentiments!

MARCELLE.

Non, mademoiselle, nous vous aimons même sincère, mais nous vous souhaiterions un peu plus de goût pour l'ordre et moins d'engouement pour le plaisir.

HENRIETTE.

Je m'accommode fort bien de l'ordre, mais je m'accommode aussi des relâchements que l'on nous donne, et je vous avoue encore que je me suis bien divertie.

AUGUSTE.

Vous en revenez toujours aux plaisirs.

HENRIETTE.

Si ceux que nous prenons n'étoient pas innocents, ils ne nous seroient pas permis.

ATHÉNAÏS.

Je n'y crois point de mal, et j'aime autant qu'une autre à me divertir; mais comme l'intention de ceux qui nous accordent des plaisirs, n'est que pour nous faire prendre de nouvelles forces pour mieux faire notre devoir, j'ai oublié ce carnaval, et je ne songe qu'à profiter de tout ce qu'on fait pour nous.

HENRIETTE.

Mais le plaisir est-il moins grand pour nous être permis?

ATHÉNAÏS.

Bien au contraire, il m'en paroît meilleur; car on le prend sans inquiétude et sans remords.

MARCELLE.

Mais aimeriez-vous à passer votre vie comme nous avons passé les derniers jours du carnaval?

HENRIETTE.

Je crois que mon corps s'en lasseroit plutôt que mon esprit.

AUGUSTE.

Et moi j'aimerois mieux n'avoir jamais eu de

plaisir, que de passer ma vie comme nous avons passé les derniers jours du carnaval.

MARCELLE.

Il est vrai que notre vie ordinaire me paroît plus agréable, et j'ai plus de joie dans nos récréations que je n'en ai eu dans ces jours destinés au plaisir depuis le matin jusqu'au soir.

IRÈNE.

Mademoiselle est aussi attachée à l'ordre que mademoiselle l'est au plaisir.

HENRIETTE.

J'avoue ingénument que je l'aime, en comptant toujours qu'il est innocent.

MARCELLE.

Mais il ne seroit plus innocent s'il étoit continuel.

HENRIETTE.

Pourquoi, mademoiselle?

MARCELLE.

Parce que, du moins, nous perdrions un temps qui nous est donné pour en profiter, sans compter les autres suites.

IRÈNE.

Revenons à l'ordre, mesdemoiselles, nous en avons dit quelque chose, mais mademoiselle en revient toujours au plaisir ; il lui tient fort au cœur.

HENRIETTE.

Je suis bien décriée parce que j'ai été plus sincère que les autres ; mais, en vérité, j'aime peut-être autant l'ordre que vous l'aimez.

ATHÉNAÏS.

Je ne pourrois plus vivre dans le désordre, rien

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