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fort librement et je me surpris à dire des choses contre la charité. » Je lui répondis que j'étois ravie de trouver en elle ces réflexions, et je ne doute pas que Dieu ne fasse quelque chose de grand de cette princesse qui, à son âge, a la conscience si tendre et une piété si solide. Les gens du monde ne savent ce que c'est que la charité; ils ne connoissent qu'une calomnie ou une grosse médisance. Cependant il n'y a rien de si aisé à blesser que la charité et rien par conséquent sur quoi il faille faire tant d'attention. >>

Madame demeura quelque temps sans rien dire, et regardant une maîtresse qui étoit novice et prête à faire profession, elle nous dit : « N'avez-vous pas bien envie de tenir le drap mortuaire de ma sœur de.......? » Nous lui répondîmes que nous l'avions toutes retenu et que nous le désirions fort. « Je le désire fort aussi, dit Madame, et je crois que vous chanterez bien volontiers le De Profundis. » Nous répondimes que nous chanterions encore mieux le Te Deum. Madame reprit : « Il paroîtroit en effet plus convenable en cette occasion; mais pourquoi un De Profundis en cette cérémonie? » Une de nous répondit que c'étoit pour marquer que par la profession on meurt au monde. « Vous avez raison, dit Madame; la profession est une mort, mais une bonne mort qui dispose à celle qui doit conduire à l'éternité. » La novice dit : « Madame, si tout le monde en connoissoit les avantages, il y auroit bien plus de gens qui s'engageroient dans la religion, car c'est une mort bien douce, par laquelle on jouit

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d'une heureuse vie. » Une autre maîtresse dit : « Madame, ce qui fait qu'il y a si peu de vocation parmi les demoiselles, c'est qu'elles ont une fausse idée de la religion '; elles s'imaginent qu'on y trouve plus d'occasions de péchés que dans le monde. Il faut, reprit Madame, qu'elles soient dans une grande erreur. Les occasions qu'on a dans le monde sont plus fréquentes, plus considérables et conduisent à de très-grands crimes. » La maîtresse continuant, dit: <«< Elles croient que les moindres fautes sont des péchés pour les religieuses et qu'elles pourront faire mille choses dans le monde qui seroient pour elles des péchés en religion.-C'est justement, reprit Madame, parler en filles qui n'y veulent jamais entrer. Nous serions bien à plaindre si les hommes pouvoient faire des règles qui obligeassent sous peine de péché. Eh! ne le fait-on pas déjà assez! »

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La maîtresse dit : « Si je ne craignois de vous incommoder, Madame, je vous ferois encore une question c'est sur la perfection où doit tendre une chrétienne dans le monde. » Madame, s'adressant à une demoiselle, lui demanda : « Qu'est-ce que NotreSeigneur dit sur cela dans l'Evangile ? » Elle répondit qu'il nous marque d'être parfaits comme le Père céleste est parfait. «A qui dit-il cela? reprit Madame. Aux Apôtres, dit la demoiselle, et en leur personne à tous les chrétiens. Vous voyez bien, mes chers enfants, dit Madame, que ce n'est pas aux religieuses seules que ces paroles sont adressées

1 De la vie religieuse.

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et de qui il demande cette perfection. Dieu ne demande point, mes chers enfants, que tout le monde soit dans la religion qui est l'état le plus parfait; il veut qu'il y ait des gens mariés, d'autres point du tout engagés, mais il veut cependant que chacun soit parfait dans l'état qu'il a embrassé. » Une maîtresse dit à Madame : « Elles disent qu'elles ne voudroient pas faire de grands maux, mais qu'elles ne regarderoient pas de si près aux petites choses. Voilà, dit Madame, ce que je ne comprends point il faut n'avoir nulle envie de faire son salut et être tout à fait privé d'amour de Dieu pour être dans ces sentiments; c'est comme si on disoit : je ferai tout le mal que je pourrai faire sans cependant me damner. Si deux d'entre vous étoient grandes amies et que l'une des deux fit son possible pour désobliger et faire de la peine à l'autre, sans cependant aller jusqu'à se brouiller et rompre entièrement avec elle, mais qu'elle n'oubliât rien pour lui causer des chagrins; que diriez-vous de cette amitié? La trouveriezvous bien véritable? » Nous répondîmes que non. La maîtresse dit : « Elles prétendent que c'est assez d'éviter le mal sans faire le bien. - Est-il possible, reprit Madame, que des filles aussi bien instruites que vous l'êtes, puissiez être dans ces sentiments? Ne savez-vous pas qu'il y a deux parties à la justice chrétienne: l'une de fuir le mal et l'autre de faire le bien, et que la seconde partie est aussi absolument nécessaire que la première? Quand on aime Dieu, comme tout chrétien y est obligé, on ne se contente pas de fuir ce qui est défendu, mais on embrasse

de bon cœur ce qui est ordonné et encore tout ce qui peut plaire à Dieu. L'amour fait tout embrasser; rien ne paroît difficile. »

8.-INSTRUCTION AUX DEMOISELLES DE LA CLASSE

JAUNE,

SUR L'AMOUR DES PARENTS'.

1698.

Me de Maintenon étant à la classe jaune prit occasion de ce qu'on lisoit dans une homélie qu'il falloit aimer ses parents plus que toute autre personne, et aimer Dieu plus que ses parents, de recommander aux demoiselles de ne jamais oublier cette maxime; elle la fit répéter à plusieurs, puis elle demanda à Mile de Neuilli s'il n'y avoit aucun cas où il fallut mettre ses parents en oubli pour satisfaire à l'obligation de préférer Dieu à ses parents. Elle lui dit que cela se fait quand on les quitte pour être religieuse : « Oui, dit Mme de Maintenon, en voilà un très-essentiel; comment entendez-vous cette parole de Notre-Seigneur : Laissez aux morts le soin d'ensevelir les morts? C'est, répondit la demoiselle, qu'il faut laisser les affaires temporelles à ceux qui demeurent dans le monde. Cela est très-bien répondu, reprit Me de Maintenon; oui, dès que l'on a tant fait que de se rendre religieuse, il faut abandonner aux séculiers tout ce qui regarde leurs affaires, et

Lettres édifiantes, t. VI, p. 685.

n'en plus faire les siennes. Ces dames par exemple, qui sont ici religieuses, ne doivent non plus se mêler des affaires de leurs parents que si elles étoient mortes; elles doivent se contenter de prier Dieu pour eux et de les consoler selon lui quand elles les voient, sans s'entremettre de leurs affaires. Mais croyez-vous, ajouta-t-elle, qu'il n'y ait que les religieuses qui doivent sacrifier l'amour de leurs parents au devoir de leur état? Une personne mariée est souvent obligée à un plus grand détachement que les religieuses mêmes; n'arrive-t-il pas qu'après avoir choisi un mari dans son voisinage, afin de ne pas s'éloigner de ses parents, on se voit dans la nécessité de le suivre quelquefois jusque dans les pays étrangers? les uns vont à l'Amérique pour y faire fortune, ils mènent leurs femmes; d'autres vont en campagne, d'autres vont dans quelques frontières exercer leurs charges: une femme se voit obligée de s'arracher du sein de ses parents. Bien plus, qu'il survienne un différend entre votre mari et votre père, en sorte que vous ne puissiez le voir sans encourir la disgrâce du premier, vous voilà obligée d'entrer dans les intérêts de votre mari que vous n'aimez peut-être guère, contre ceux d'un père ou d'un frère que vous aimez peut-être beaucoup; mais votre premier devoir doit être à l'égard de votre mari, car dès que vous l'avez épousé, vous êtes à lui, et Dieu a dit que l'homme quitteroit son père et sa mère pour s'attacher à sa femme. »

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