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Qu'avez-vous donc, dit-il, que vous ne mangez point?
Je vous trouve aujourd'hui l'ame toute inquiette,

Et les morceaux entiers reftent fur votre affiette.
Aimez-vous la mufcade? On en a mis par tout.
120 Ah! Monfieur, ces poulets font d'un merveilleux goût.
Ces pigeons font dodus, mangez fur ma parole.
J'aime à voir aux lapins cette chair blanche & molle,
Ma foi, tout eft paffable, il le faut confeffer,

Et Mignot aujourd'hui s'eft voulu furpaffer.
125 Quand on parle de fauce il faut qu'on y raffine.
Pour moi j'aime fur tout que le poivre y domine.
J'en fuis fourni, Dieu fait, & j'ai tout Pelletier

REMARQUES.

Roulé

VERS 119 Aimez-vous la muscade? On en a mis par tout.] Il demande fi l'on aime la Mufcade; & il y en a par tout. Cela renferme un ridicule bien fenfible, & affez ordinaire; D'ailleurs, c'étoit un goût hors de mode, & depuis longtems on ne vouloit plus que la mufcade fe fit fentir dans les ragoûts.

VERS 122. J'aime à voir aux lapins-cette chair blanche ¿ molle.] Ce Perfonnage donne encore ici une preuve de fon mauvais goût: car les Lapins, pour être bons, doivent avoir la chair ferme & de couleur un peu bize. Il n'y a que les Clapiers qui aïent la chair blanche & molle.

VERS 126. J'aime fur tout que le poivre y domine.] Le Commandeur de Souvré avoit le goût ufé par la bonne chère, & aimoit beaucoup le poivre; la muscade & les épices les plus fortes.

VER·S T27. J'ai tout Pelletier &c.] Cette raillerie eft extrèmement fine & délicate, parce qu'elle eft indirecte. On a parlé de Pelletier dans les Remarques fur le vers $4. du Discours au Roi, & fur-le vers 77. de la Satire précedente. VERS 130. On comme la Statue eft au Festin de Pierre.], Le Teftin de Pierre est une Pièce de Théatre dont le fujet nous été apporté en France par les Comédiens Italiens, qui

l'ont

Roulé dans mon office en cornets de papier.

A tous ces beaux difcours, j'étois comme une pierre, 130 Ou comme la Statue eft au Festin de Pierre;

Et fans dire un feul mot, j'avalois au hazard-
Quelque aîle de poulet dont j'arrachois le lard.

Cependant mon Hableur, avec une voix haute,
Porte à mes Campagnards la fanté de notre Hôte;
135 Qui tous deux pleins de joie, en jettant un grand cri,
Ayec un rouge-bord acceptent fon deffi.

Urr fi galant exploit reveillant tout le monde,
On a porté par tout des verres à la ronde,
Où les doigts des Laquais, dans la crafse tracez,

REMARQUES.

l'ont imitée des Espagnols. TIRSO DE MOLINA, AUteur Espagnol, eft le premier qui l'a traitée. Il l'a intitu léc, El Combidade de piedra: ce qui a été mal rendu en notre Langue par, le Feftin de Pierre: car ces paroles fignifient précisément, le convié de pierre: c'est-à-dire, la Statue de marbre ou de pierre, conviée à un repas. Cependant l'ufage a prévalu. Ce qui peut y avoir donné lieu, c'eft que la Statue qui fe rend au fouper auquel elle a été invitée, eft la Statuë d'un Commandeur nommé Dom Pedro. De là eft venu fans doute le nom du Festin de Pierre. Toutes les Troupes de Comédiens ont accommodé cette Pièce à leur Théatre. De Villiers, Comédien, l'a traitée pour le Théatre de l'Hôtel de Bourgogne. Moliere la fit paroître en 1665. fur le Théatre du Palais Roïal, avec beaucoup plus de régularité & d'agrémens. Elle n'avoit encore été jouée à Paris que par les. Italiens, dans le tems que Mr. Despréaux compofa cette Satire. Dorimond fit enfuite le Festin de Pierre, & le mit en vers. Rofimond en fit encore un autre, qui fut representé fur le Théatre du Marais, en 1670. Enfin, Corneille le Jeune a tourné en vers la Fièce de Moliere, en y faifant quelques legers changemens dans la disposition. Elle commença à paroître au Mois de Jan

C 7

Vick,

140 Témoignoient par écrit qu'on les avoit rincez.
Quand un des conviez, d'un ton mélancholique,.
Lamentant triftement une chanfon bachique;.
Tous mes Sots à la fois, ravis de l'écouter,

Détonnant de concert, fe mettent à chanter.

145 La Musique fans doute étoit rare & charmante :L'un traîne en longs fredons une voix glapiffante, Et l'autre l'appuïant de fon aigre fauffet,

Semble un violon faux qui jure fous l'archet:

Sur ce point un jambon, d'affez maigre apparence, 150 Arrive sous le nom de jambon de Maïence.

REMARQUES.

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vier, 1677. & c'eft cette derniere qu'on jouë préfentement en France.

VERS 141. Quand un des conviez, d'un ton mélancholique, &c.] Mr. de la C. Neveu de notre Auteur, avoit la voix affez belle; mais il chantoit toutes fortes d'airs, même les plus gais, d'un ton fi trifte & fi mélancholique, qu'on eût dit qu'il lamentoit, au lieu de chanter.

VERS 142

Une chanfon bachique.] Bernier le Voïageur appelloit les chanfons à boire, des Chansons bathiques, felon l'ancien langage. Avant que j'allaffe au Mogol, difoit-il, je favois grand nombre de Chanfons bacbiques. L'Auteur a emploïé cette expreffion furannée en parlant d'un Noble Campagnard. Il y a des Chanfons bachiques dans le Recueil des Airs du Savoïard, fameux Chantre du Pontneuf.

VERS ISO.

Sous le nom de jambon de Maïence.] Les jambons de Maïence font préparés d'une façon particulière. Ils viennent de Weftphalie, & on les appele jambons de Maïence, parce qu'autrefois il y avoit une foire de ces jambons à Maïence: cette foire fe tient maintenant à Francfort fur le Mein.

IMIT. Vers 151. Un valet le portoit, marchant à pas comptez, &c.] Horace s'eft auffi moqué de la gravité avec laquelle un Valet aportoit des bouteilles de vin fur_fa rê號

Un Valet le portoit, marchant à pas comptez, Comme un Recteur fuivi des quatre Facultez. Deux Marmitons craffeux, revétus de ferviettes, Lui fervoient de Maffiers, & portoient deux affiettes,, 155 L'une de champignons, avec des ris de veau,

Et l'autre de pois verds, qui fe noïoient dans l'eau. Un fpectacle fi beau furprenant l'affemblée, Chez tous les Conviez la joie eft redoublée : Et la troupe à l'inftant, ceffant de fredonner, 160 D'un ton gravement fou s'eft mise à raisonner. Le vin au plus muet fourniffant des paroles,

REMARQUES.

Cha

se: difant que ce Valet s'avance à pas plus mesurez qu'une jeune Athénienne qui porte les vales dont on fe fert dans les Sacrifices de Cérès.

Ut Attica Virge

Cum facris Cereris, procedit fufcus Hydafpes
Cacuba vina ferens. L. II. Sat. VIII. 13.

VERS 152. Comme un Recteur &c.] L'Auteur tire fa comparaifon, des Proceffions de l'Univerfité de Paris, à la tête desquelles marche le Re&eur, précedé de fes Bedeaux, & fuivi des quatre Facultez, qui font les Arts, la Medeeine, la Jurisprudence, & la Théologie. Le Recteur ek le premier Officier électif de l'Univerfité; & la Proceffion du Recteur fe fait quatre fois l'année.

VERS 154. Lui fervoient de Maffiers.] Quand le Recteur va en proceffion, il eft toûjours accompagné de deux Maffiers; c'eft-à-dire, deux Bedeaux qui portent devant lui des Maffes, ou Bâtons à tête, garnis d'argent, tels qu'on en porte par honneur devant le Roi, & devant Mr. le Chancelier.

IMIT. Vers 161. Le vin au plus muet fournissant des paro
Horace L L Ep. V. 39

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Chacun a débité fes maximes frivoles,
Règlé les interêts de chaque Potentat,

Corrigé la Police, & réformé l'Etat ;
165 Puis de-là s'embarquant dans la nouvelle guerre,
A vaincu la Hollande, ou battu l'Angleterre.
Enfin, laiffant en paix tous ces Peuples divers,
De propos en propos on a parlé de Vers.

Là, tous mes Sots, enflez d'une nouvelle audace,

RE MARQUE Se·

Facundi calices quem non fecere difertum ?

Ont

VERS 166. A vaincu la Hollande, ou battu l'Angleterre.] L'Angleterre & la Hollande étoient alors en guerre. Les Hollandois perdirent en 1665. une grande bataille fur mer contre les Anglois. Le Roi fe déclara enfuite contre l'An gleterre, en faveur des Hollandois; & cette guerre fut ter minée par le Traité de Breda, au mois de Janvier 1667. IMIT. Vers 170. Ont jugé des Auteurs &C.] Perfe, Sati re L 3.0.

Ecce inter pocula quarunt

Romulida faturi quid dia poëmata ndrrent.

I 2

VERS 171. Pour la jufteffe & l'art, Théo phile & Ronfard. Le Poëte THEOPHILE avoit l'imagi nation vive & brillante; mais pour la régularité & la jus teffe, ce n'eft pas dans fes vers qu'il la faut chercher. RON SARD avoit le génie élevé, & de grands talens pour la Poëffe; mais il femble que l'art n'ait fervi qu'à corrompre en lui la nature, au lieu de la perfectionner. En effet, fes vers font pleins de licences outrées; & l'affectation qu'il eut de les charger d'une érudition fatigante & mal menagée, les a rendu peû intelligibles, ce qui fit bien tôt déchoir ce Poëte, de la haute réputation qu'il s'étoft acquife dans fon fiècle? & depuis long-tems on ne lit plus fes Poëfies. Voïez la Remarque fur le yers 126. du premier Chant de l'Art Poëtique,

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