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LAMOIGNON, nous irons, libres d'inquiétude,
Discourir des Vertus dont tu fais ton étude:
155 Chercher quels font les biens véritables ou faux:

Si l'honnête homme en foi doit fouffrir des défaux:
Quel chemin le plus droit à la gloire nous guide,
Ou la vaste Science, ou la Vertu solide.

C'eft ainfi que chez toi tu fauras m'attacher.

160 Heureux! fi les Fâcheux, promts à nous y chercher,
N'y viennent point femer l'ennuïeufe trifteffe.
Car dans ce grand concours d'Hommes de toute espèce,
Que fans ceffe à Bâville attire le devoir;

Au lieu de quatre Amis qu'on attendoit le foir,
165 Quelquefois de Fâcheux arrivent trois volées,
Qui du pare à l'inftant affiègent les allées.
Alors fauve qui peut, & quatre fois heureux,
Qui fait pour s'échapper quelque antre ignoré d'eux.

REMARQUES.

Premier Président de LA MOIGNO N. Ce nom defigne l'abondance de ses eaux. Cette Fontaine a été chantée par nos plus grands Poëtes *,& elle est devenuë presque auffi célèbre que l'Hippocrène.

IMIT. Vers 155. Chercher quels font les biens &c.] Horace, Livre 11. Satire VI. 72.

Quod magis ad nos

Pertinet, & nescire malum eft, agitamus: utrumne

Divitiis homines, an fint virtute beati:

Quidve ad amicitias, usus, rectumne, trahat nos:
Et qua fit natura boni, fummumque quid ejus.

Le P. Rapin, Le P. Commire, Mr. Despréaux, &c.

EPITRE

Q

VII.

A M. RACINE.

361

UE tu fais bien, RACINE, à l'aide d'un Acteur,
Emouvoir, étonner, ravir un Spectateur!

REMARQUES.

Ja

CEtte Epitre fut compofée à l'occafion de la Tragédie de Phedre & Hippolyte, que Mr. RACINE fit représenter pour la première fois le premier Jour de l'année 1677. fur le Théatre de l'Hôtel de Bourgogne. Quelques perfonnes de la première distinction, unies de goût & de fentimens, aiant appris que Mr. Racine travailloit à fa Phedre, poufferent PR ADON à faire une Tragédie fur le même fujet, pour mortifier Mr. Racine, & pour faire tomber fa Pièce quand elle paroîtroit. Pradon, fier d'un certain fuccès que la Cabale avoit attiré à fes premières Tragédies *, fut af fez vain pour ofer joûter contre cet illuftre Poëte: il compofa donc fa Phedre par émulation, & la fit jouer deux jours après celle de Mr. Racine, par les Comédiens du Roi. Quelque mauvaise que fut la Pièce de Fradon, elle ne laiffa pas de paroitre d'abord avec éclat, & même de fe foûtenir pendant quelque tems. Deux chofes principalement contribuèrent à ce fuccès: la concurrence des deux Tragédies, & les applaudiffemens exceffifs que les protecteurs de Pradon donnèrent à fa Pièce. D'ailleurs, tous ceux qui ne pouvoient pas entrer à la Phèdre de Racine, (& c'étoit le plus grand nombre) alloient à celle de Pradon. Mais le Public fut bien tôt fixé: la Tragédie de Pradon fut entièrement oubliée; & celle de Racine eft regardée encore aujourd'hui comme la plus parfaite de fes Pièces, & le chef-d'oeuvre du Théatre. Le fujet de cette Epître VII. eft l'utilité qu'on peut retirer de la jalousie de fes ennemis, & en particulier des bonnes & des mauvaises Critiques. Plutarque a fait un Traité fur le même sujet. Cette Epître a été faite avant la fixième, au commencement de P'année 1677. Au mois d'Octobre fuivant, Mr. Despréaux & Mr. Racine furent choifis pour écrire l'hiftoire du Roi. VERS I. Que tu fais bien, Racine, à l'aide d'un Alteur,

Pirame & Thisbé: Tamerlan. Tom. 1.

&c.]

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Jamais Iphigénie, en Aulide immolée,

N'a coûté tant de pleurs à la Grèce affemblée, 5 Que dans l'heureux fpectacle à nos yeux étalé, En a fait fous fon nom verfer la Chanmesié. Ne croi pas toutefois, par tes favans Ouvrages, Entraînant tous les coeurs, gagner tous les fuffrages. Si-tôt que d'Apollon un Génie infpiré,

10 Trouve loin du Vulgaire un chemin ignoré, En cent lieux contre lui les cabales s'amaffent.

REMARQUES.

Ses

&c.] Les Ennemis mêmes de Mr. Racine ont été obligez de convenir du grand fuccès de fes Tragédies; mais ils ont cru diminuer la réputation de cet illuftre Poëte, en difant qu'une partie de la gloire étoit due aux Acteurs qui les jouoient. Les Acteurs d'aujourd'hui ont bien fait évanouir ce reproche. Il eft vrai que Mr. Racine en avoit trouvé d'excellens. MONTFLEURI fit de fi grans efforts pour représenter le perfonnage d'Orefte dans l'Andromaque, qu'il en mourut, La Marianne de TRISTAN avoit caufe le même fort à MONDORI Comédien.

CHANG, Vers 6. En a fait.] Première édition; N'en a fait.

Ibid. En a fait fous fon nom verfer la Chanmeslé. ] Célèbre Actrice. Mr. Racine qui recitoit admirablement bien, avoit pris foin de la former. Elle mourut au mois de Juillet 1698. à Auteuil, près de Paris, où elle étoit allé prendre l'air. Pendant fa dernière maladie elle renonça au Théatre en présence du Curé de St. Sulpice, & avant fa mort elle renouvella cette abjuration entre les mains du Curé d'Auteuil. Elle a été enterrée à St. Sulpice, qui étoit fa paroiffe. CHAN MESLE fon mari, qui étoit auffi Comedien, mourut fubitement en 1701. fortant du Cabaret.

IMIT. Vers 15. La Mort feule ici bas, &c.] Horace l'a dit en plus d'un endroit.

Virtutem incolumem odimus:

Sublatam ex oculis quarimus invidi. L. III. Ode XXIV. 3 1.

Le

Ses Rivaux obscurcis autour de lui croaffent;
Et fon trop de lumière importunant les yeux,
De fes propres Amis lui fait des Envieux.
15 La Mort feule ici-bas, en terminant la vie,
Peut calmer fur fon nom l'Injuftice & l'Envie;
Faire au poids du Bon Sens pefer tous fes Ecrits,
Et donner à fes vers leur légitime prix.

Avant qu'un peu de terre, obtenu par priere, 20 Pour jamais fous la tombe eût enfermé Moliere,

REMARQUES.

Mil

Le même dans l'Epître première du Livre fecond, vers 124

Comperit invidiam fupremo fine domari.

Urit enim fulgore fuo qui pragravat artes
Infra fe pofitas. Extinctus amabitur idem.

Properce, Livre III. Elegie I. 21.

At mihi quod vivo detraxerit invida turba,
Poft obitum duplici fænore reddet honos.

Et Martial, dans plufieurs Epigrammes; &c.

CHANG. Vers 17. Faire au poids du Bon Sens.] Premières éditions: Du droit fens.

Ibid. Faire an poids du bon fens &c.] Première manière:

Et réprimer.

Des Sots de qualité l'ignorante hauteur.

Mais l'Auteur fupprima ces deux vers pour ne pas déplaire aux Perfonnes qui protégeoient la Pièce de Pradon.

VERS 19. Avant qu'un peu de terre obtenu par priere &c.] MOLIERE étant mort, les Comédiens fe dispofoient à lui faire un Convoi magnifique; mais Mr. de HARLAI, Archevêque de Paris, ne voulut pas permettre qu'on l'in

hu

Mille de ces beaux traits, aujourd'hui fi vantez, Furent des fots Esprits à nos yeux rebutez. L'Ignorance & l'Erreur à fes naiffantes Pièces, En habits de Marquis, en robes de Comteffes, 25 Venoient pour diffamer fon chef-d'œuvre nouveau, Et fecoüoient la tête à l'endroit le plus beau. Le Commandeur vouloit la Scène plus éxacte. Le Vicomte indigné fortoit au fecond Acte. L'un défenseur zélé des Bigots mis en jeu, 30 Pour prix de les bons mots, le condamnoit au feu.

REMARQUES.

L'au

humât. La femme de Moliere alla fur le champ à Versailles fe jetter aux piés du Roi pour se plaindre de l'injure que l'on faifoit à la mémoire de fon mari, en lui refusant la fépulture. Mais le Roi la renvoïa en lui difant, que cette affaire dépendoit du Miniftère de Mr. l'Archevêque, & que c'étoit à lui qu'il falloit s'adreffer. Cependant Sa Majefté fit dire à ce Prélat, qu'il fit en forte d'éviter l'éclat & le fcandale. Mr. l'Archevêque révoqua donc fa défense, à condition que l'enterrement feroit fait fans pompe & fans bruit. Il fut fait par deux Prêtres qui accompagnèrent le Corps, fans chanter; & on l'enterra dans le Cimetière qui eft derrière la Chapelle de St. Jofeph, dans la Ruë Montmartre. Tous les amis y affiftèrent aiant chacun un flambeau à la main. La Moliere s'écrioit par tout: Quoi, l'on refufera la fepulture à un homme qui mérite des Autels!

VERS 23. A fes naifantes Pièces.] L'Ecole des Femmes, qui eft une des premières Comédies de Moliere, fut fort fuivie, & encore plus critiquée; mais l'Apologie qu'il fit de la Pièce, fous le nom de Critique, fit taire les Envieux.

IMIT. Vers 26. Et fecouoient la tête à l'endroit le plus bean.] L'Auteur avoit en vûë ce verfet du Pfeaume XXVIII. Omnes videntes me, deriferunt me: locuti funt labiis, & moverunt caput. v. 8.

VERS 27. Le Commandeur vouloit la Scène plus éxate.] Le Commandeur de SOUVRE' n'approuvoit pas la Comédie

de

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