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AM. DE GUILLERAGUES,

SECRETAIRE DU CABINET.

SPRIT né pour la Cour, & Maître en l'art de.

E plaire,

GUILLERAGUES, qui fais & parler & te taire,

REMARQUES.

Ap

E fujet de cette Epître eft la Connoiffance de foi-même. L'Auteur fait voir que cette connoiffance eft la fource de notre félicité: ce n'eft ni l'ambition, ni les richeffes, ni les Sciences, ni enfin les biens extérieurs, qui peuvent nous rendre heureux dans le monde: notre bonheur dépend uniquement de nous; & c'eft dans nous-mêmes que nous devons le chercher. Cette réfléxion a été faite par un Ecrivain célèbre. * Nous cherchons, dit-il, notre bonheur hors de nous-mêmes, & dans l'opinion des hommes que nous connoissons flateurs, peu fincères, fans équité, pleins d'envie, de caprices,

de préventions: quelle bizarrerie! Cette Epître fut compofée en 1674. & publiée l'année fuivante. Mr. de GuiLLERAGUES, à qui elle eft adreffée, étoit de Bourdeaux, où il avoit été Premier Président de la Cour des Aides. En ce tems-là il fe fit connoître à Mr. le Prince de Conti, Gouverneur de Languedoc, qui le fit Secretaire de fes.commandemens, & l'obligea de quitter la Province. Il eut Pagrément du Roi, pour la charge de Secretaire de la Chambre & du Cabinet de Sa Majefte; & pendant quelque tems il eut la direction de la Gazette. Il n'y avoit perfonne à la Cour qui eût plus de Politeffe, qui parlât plus agréablement, qui entendit mieux la fine raillerie, ni qui fût plus généralement aimé, que Mr. de Guilleragues. Au mois de Décembre 1677. le Roi le nomma Ambaffadeur à Constantinople, où il alla en 1679. & il mourur d'Apoplexic quelques années après.

IMIT. Vers 2.

fe, Satire IV. v.. 5.

Qui fais & parler & te taire.] Per

Dicenda tacendaque calles.

* Caractères de LA BRUYE'RE, chap. de l'Homme pag. 395.

Appren-moi, fi je dois ou me taire, ou parler.
Faut-il dans la Satire encor me fignaler,

5 Et dans ce champ fécond en plaifantes malices, Faire encore aux Auteurs redouter mes caprices? Jadis, non fans tumulte, on m'y vit éclater: Quand mon esprit plus jeune, & prompt à s'irriter, Aspiroit moins au nom de discret & de fage: 10 Que mes cheveux plus noirs ombrageoient mon vifage. Maintenant que le tems a meuri mes defirs, Que mon âge, amoureux de plus fages plaifirs, Bien-tôt s'en va frapper à fon neuvième luftre; J'aime mieux mon repos qu'un embarras illuftre. 15 Que d'une égale ardeur mille Auteurs nimez

REMARQUÉS.

Ai

7

IMIT. Vers 3. Appren-moi, fi je dois ou me taire ou parler.] Scaliger le pere commence ainfi une Satire:

At melius fuerat non scribere; namque tacere
Tutum femper erit.

VERS 10. Que mes cheveux plus noirs ombrageoient mon vifage.] L'Auteur portoit alors fes cheveux qui commençoient à blanchir.

VERS 13. Bien-tôt s'en va frapper à fon neuvième luftre.] Un luftre eft l'espace de cinq ans: ainfi le huitième luftre comprend les années qui font depuis trente-cinq jusqu'à quarante. L'Auteur compofa cette Epître à 38. ans: il en avoit environ quarante quand il la donna au public; & par conféquent il approchoit de fon neuvième luftre; c'eft à dire de fa 41. année.

VERS 17. Que tout jusqu'à Pinchêne, &c.] Voïez la Remarque fur le vers 163. du cinquième Chant du Lutrin, où id eft parlé de PINCHENE. I avoit écrit quelque chofe

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Aiguifent contre moi leurs traits envenimez:

Que tout, jusqu'à Pinchêne, & m'infulte & m'accable, Aujourd'hui vieux Lion je fuis doux & traitable:

Je n'arme point contre eux mes ongles émouffez. to Ainfi que mes beaux jours, mes chagrins font paffez. Je ne fens plus l'aigreur de ma bile première,

Et laiffe aux froids Rimeurs une libre carrière.
Ainfi donc Philofophe à la Raison foûmis,

Mes défauts deformais font mes feuls ennemis.
25 C'eft l'Erreur que je fuis; c'eft la Vertu que j'aime.
Je fonge à me connoître,& me cherche en moi-même.
C'eft là l'unique étude où je veux m'attacher.
Que, l'Aftrolabe en main, un autre aille chercher

REMARQUES.

Si

contre notre Auteur, mais il ne fentit point la force de cette Satire: aïant crû au contraire que Mr. Despréaux lui demandoit grace en cet endroit, & il en tiroit vanité.

IMIT. Vers 26. Je fonge à me connoître, & me cherche en moi-même.] Voilà le fujet de cette Epître. Le texte s'en trouve dans ces deux mots du fententieux Perfe: Tecum habita. Sat. IV. à la fin. Et dans celui-ci: Ne te quafiveris extra. Sat. I. v. 7. Et enfin dans ce vers, qui est le 23. de la Satire IV.

Ut nemo in fe fe tentai descendere, nemo.

VERS 28. Que, l'Aftrolabe en main, &c.] Voïez ce qu'on a dit fur le vers 429. de la Satire X. [Mr. Despréaux a fait dans ce vers & dans les fuivans deux ou trois fautes trèsconfiderables. 1. L'Aftrolabe n'est pas un Instrument propre à obferver fi le Soleil eft fixe, ou s'il tourne fur fon axe. Madame de LA SABLIERE avoit raifon d'en reprendre Mr. Despréaux, qui eût beaucoup mieux fait de profiter de la Critique de cette Dame, que de s'en vanger en la dépeiTom. I.

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gnant

Si le Soleil eft fixe, ou tourne fur fon axe; 30 Si Saturne à nos yeux peut faire un parallaxe:

Que Rohaut vainement fèche pour concevoir Comment, tout étant plein, tout a pû fe mouvoir: Ou que Bernier compofe & le fec & l'humide

REMARQUES.

Des

• gnant comme une favante ridicule dans fa X. Satire. 2. Etre fixe par rapport au Soleil, & tourner fur fon axe, ne font pas deux chofes oppofées; car le Soleil eft fixe, & il tourne en même tems fur fon axe: il n'y a donc point là d'alternative. 3. Le mot de Parallaxe eft feminin, & non pas masculin; comme l'a fait Mr. Despréaux, qui n'en favoit aparemment pas le genre. Cela eft bien plus vraisemblable, que de dire, comme fait le Commentateur dans la Remar que fuivante, que Mr. Despréaux a préféré le masculin comme plus poetique. Les Poëtes ne fe font jamais donné la liberté de changer les genres à leur fantaisie; & Mr. Despréaux étoit trop judicieux & trop exact pour donner dans ce defaut. Voyez la Remarqué fur le 91. vers du IV. Chant de l'Art Poëtique, où l'on raporte l'extrait d'une de fes Lettres. A D D. de l'Edit. d'Amft.]

Cette

VERS 30. Si Saturne à nos yeux peut faire un parallaxe.] Les Aftronomes appèlent Parallaxe, la différence qui eft entre le lien véritable d'un Aftre, & fon lieu apparent; c'eftà-dire entre le lieu du Firmament auquel l'Aftre répondroit s'il étoit vû du centre de la Terre; & le lieu auquel cet Aftre répond étant vû de la furface de la Terre. différence où Parallaxe eft d'autant plus grande, que l'Aftre eft plus près de l'Horizon, & qu'il eft moins éloigné de la Terre. Ainsi, il n'y a point de Parallaxe quand l'Aftre eft fur notre tête; & la grande diftance qu'il y a entre Saturne & la Terre, fait que la Parallaxe de cette Planète n'eft presque pas fenfible à notre égard. Tous les Aftrono mes font le mot de Parallaxe, du genre féminin. Notre Auteur auroit pu dire: Si Saturne à nos yeux fait une· ParalLaxe. Mais il a préferé l'autre manière comme plus poëtique.

VER'S 31. Que Robaut vainement &c.]

VERS 33. Ou que Bernier compofe &c.] S'il y a quelque guide dans la nature, ou fi tout eft abfolument plein, c'est

une

Des corps ronds & crochus errans parmi le vuide. 35 Pour moi fur cette mer, qu'ici-bas nous courons,

Je fonge à mé pourvoir d'esquif & d'avirons;
A règler mes defirs, à prévenir l'orage,

Et fauver, s'il fe peut, ma Raifon du naufrage.

REMARQUES.

C'eft

une queftion qui a partagé les Philofophes anciens & modernes, & particulièrement les deux plus célèbres Philofophes du dernier fiècle, DESCARTES, & GASSENDI Notre Auteur les défigne en citant leurs plus déclarés Partifans. Robaut dit avec Descartes, que tout espace étant Corps, ce qu'on appèle vuide feroit espace, & corps par conféquent ; & qu'ainfi non feulement il n'y a point de vuide, mais qu'il n'y en peut même point avoir. Bernier au contraire veut, après Gaffendi, que tout foit compofé d'atomes indivifibles, qui errent dans un espace vuide infini, & que ces atomes ne peuvent le mouvoir fans laiffer néceffairement entr'eux de petits espaces vuides. Car, difent les Gaffendiftes, comment les corps peuvent-ils fe deplacer, & occuper la place de divers autres corps, fi le vuide ne leur donne la liberté néceffaire à ce mouvement? A quoi les Cartefiens répondent, qu'il fuffit pour cela, que dans le même tems qu'un corps fe meut, les corps contigus fe déplacent l'un l'autre, de telle manière que, par un mouvement qui revient au circulaire, le dernier occupe la place du premier, à mesure qu'il la cède. Et comme la differente configuration des corps femble s'oppofer à ce mouvement, ces Philofophes ajoûtent, que la matière étant divisible à l'infini, elle le brife en des parties fi petites, & fi differentes dans leurs figures, lors que la neceffité du mouvement le demande, qu'il s'en trouve toujours qui peuvent s'ajufter de manière qu'il ne reste aucun vuide. Voilà, felon eux, Comment, tout étant plein, tout a pû se mouvoir.

JAQUES ROHAUT, d'Amiens en Picardie, mourut à Paris en 1675. Il eft enterré à Sainte Geneviève, où l'on voit fon Epitaphe à côté de celle du fameux-Descartes. FRANÇOIS BERNIER, Docteur en Médecine de la Faculté de Montpellier, après avoir fait de longs voïages, & féjourné long-tems dans le Mogol, revint à Paris où il est mort. Il a fait l'Abregé de Gassendi.

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