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SATIRE VIIL

A MONSIEUR M***.

DOCTEUR DE SORBONNE.

E tous les Animaux qui s'élèvent dans l'air,

DE

Qui marchent fur la terre, ou nagent dans la

mer,

De Paris au Perou, du Japon jusqu'à Rome,

Le plus fot animal, à mon avis, c'eft l'Homme. 5 Quoi? dira-t-on d'abord, un ver, une fourmi,

REMARQUES.

Un

LEs fept Satires précedentes aïant été publiées en 1666. la plupart de ceux qui y avoient été maltraitez, fe déchainèrent contre l'Auteur. Il ne daigna pas répondre, du moins fur le ton ferieux, à leurs Libelles ni à leurs injures, mais il compofa la Satire adreffée à fon Esprit, qui eft la neuvième, & dans laquelle, fous prétexte de fe faire luimême fon procès, il fe juftifie de tous les crimes que fes Ennemis lui avoient imputez. Le Poëte, après avoir fait fon Apologie dans cette Satire, entreprit de traiter un fujet plus général, & qui fût au goût de tout le monde. Dans cette vue il fit la Satire de l'Homme *. Ces deux Pièces, qui avoient été compofées en l'année 1667. furent publiées féparément en 1668. La Satire de l'Homme parut la première, & on en fit en même tems plufieurs éditions, qui furent débitées avec une rapidité prodigieufe. C'est de tous fes Ouvrages, celui qui a eu le plus de cours en particulier. Cette Satire eft tout-à-fait dans le goût de Perfe, & marque un Philofophe chagrin qui ne peut fouffrir les vices des Hommes. Elle eft adreffée à Mr. MOREL Docteur de Sorbone. Ce Docteur étoit furnommé la Machoire d'Ane, parce qu'il avoit la machoire fort grande & fort avancée: c'eft

* C'est ainsi que l'Auteur la nommoit, & non pas la Satire contre l'Homme.

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Un infecte rampant qui ne vit qu'à demi,

Un taureau qui rumine, une chevre qui broute, Ont l'esprit mieux tourné que n'a l'Homme? Ou fans doute.

Ce discours te furprend, Docteur, je l'apperçoi.

o L'Homme de la Nature eft le Chef & le Roi. Bois, prez, champs, animaux, tout eft pour fon ufage Et lui feul a, dis-tu, la Raison en partage.

Il eft vrai, de tout tems la Raison fut fon lot : Mais de là je conclus que l'Homme eft le plus fot. 15 Ces propos, diras-tu, font bons dans la Satire, Pour égaïer d'abord un Lecteur qui veut rire:

REMARQUES.

Mais

c'eft pour cette raifon que notre Poëte lui adreffa cette Satire, à la fin de laquelle il met l'Homme au deffous de l'Ane même; & ce fut Mr. BOILEAU, Docteur de Sor-r bonne, frere du Poëte, qui lui confeilla de dedier fa Satire à Mr. Morel. Il étoit grand ennemi des Janfeniftes, contre lesquels il a compofé divers Ouvrages, mais tous affez mauvais. Cependant le Poëte Santeul fit des vers Latins, dans lesquels il affecta de louer ce Docteur; de ce que par fes discours & par fes écrits il avoit confondu les Disciples de Janfénius: comme Samfon défit les Philiftins armé d'une machoire d'Ane. CLAUDE MOREL étoit de Châlons en Champagne d'une bonne famille de Robe. Il mourut à Paris le 30. d'Avril 1679. étant Doïen de la Faculté de Théologie & Chanoine Théologal de Paris. 11 avoit refufé l'Evêché de Lombez.

IMIT. Vers 1. De tous les Animaux &c.] Homère, Iliade L. XVII. a éxageré la misère de l'Homme par une femblable comparaison: De tous les animaux qui respirent, & qui rampent fur la terre, il n'y en a point de plus malheureux que P'Homme.

VERS 13. Il est vrai.] C'est le Poëte qui reprend ici le Discours. Comme cette Satire eft en Dialogue entre le Tom. I.

F

Poëte

Mais il faut les prouver. En forme. J'y confens. Répons-moi donc, Docteur, & mets-toi fur les bancs. Qu'est-ce que la Sageffe? Une égalité d'ame, 20 Que rien ne peut troubler, qu'aucun defir n'enflame; Qui marche en fes confeils à pas plus mefurez, Qu'un Doïen au Palais ne monte les degrez. Or cette égalité, dont fe forme le Sage,

Qui jamais moins que l'Homme en a connu l'usage? 25 La Fourmi tous les ans traversant les guérèts,

Groffit fes magafins des tréfors de Cérès;
Et dès que l'Aquilon, ramenant la froidure,
Vient de fes noirs frimats attrifter la Nature,
Cet animal, tapi dans fon obfcurité,

REMARQUES.

Jouit

Poëte & le Docteur, il faut prendre garde aux discours de
P'un & de l'autre.

VERS 17. Mais il faut les prouver. En forme. J'y confens.] Ces derniers mots, y confens, font du Poëte. Le refte eft du Docteur. En forme: ce mot, détaché de ce qui précede, eft un trait qui caractèrife bien le perfonnage & marque mieux le Dialogue, que fi l'Auteur avoit mis tout de fuite: Mais il faut les prouver en forme. Cela feroit froid.

IMIT. Vers 25. La Fourmi tous les ans traversant les gué-` rêts &c.] Hor. L. I. Sat. I. 33. & feqq. ·

Parvula (nam exemplo eft) magni Formica laboris
Ore trabit quodcumque potest, atque addit acervo
Quem fruit, haud ignara, ac non incauta futuri.
Qua, fimul inverfum contriftat. Aquarius annum.
Non usquam prorepit, & illis utitur ante
Quafitis Sapiens.

30 Jouït l'hiver des biens conquis durant l'été.
Mais on ne la voit point d'une humeur inconftante,
Pareffeuse au printems, en hiver diligente,
Affronter en plein champ les fureurs de Janvier,
Ou demeurer oifive au retour du Bélier.

35 Mais l'Homme, fans arrêt dans fa courfe infenfée,
Voltige inceffamment de pensée en penfée:
Son cœur, toujours flottant entre mille embarras,
Ne fait ni ce qu'il veut, ni ce qu'il ne veut pas.
Ce qu'un jour il abhorre, en l'autre il le fouhaitte.
40 Moi j'irois époufer une Femme coquette?
J'irois, par ma conftance aux affronts endurci,

Me mettre au rang des Saints qu'a célébrez Buffi ?

VERS 34.

REMARQUES.

Affcz

Au retour du Bélier. ] C'eft-à-dire, au

retour du Printems, car le Printems commence quand le Soleil entre dans le figne du Bélier.

IMIT. Vers 35. Mais l'Homme, fans arrêt, &c.] Horace, Liv. I. Epitre I. 97. & fuiv.

Quid mea cùm pugnat fententia fecum ?

Quod petiit, fpernit: repetit, quod nuper omifit;

Aftuat, & vita disconvenit ordine toto.

VERS 39. Ce qu'un jour il abhorre, en l'autre il le fouhaite.] L'Auteur auroit pu mettre, ce qu'un jour il abhorre, un autre il le fouhaite.

VERS 42. ·Des Saints qu'a célébrez Buffi.] Le Comte de BUSSI-RABUTIN avoit fait un petit Livre, relié proprement en manière d'Heures, où, au lieu des Images que Pon met dans les Livres de prières, étoient les portraits en mignature de quelques Hommes de la Cour, dont les Femmes étoient foupçonnées de galanterie. Et, ce que dans la fuite il a lui-même condamné tout le premier, il

F 2

avoit

Affez de Sots fans moi feront parler la Ville,
Difoit, le mois paffé, ce Marquis indocile,
45 Qui depuis quinze jours dans le piège arrêté,
Entre les bons Maris pour exemple cité,
Croit que Dieu, tout exprès, d'une côte nouvelle
A tiré pour lui feul une Femme fidelle.

Voilà l'Homme en effet. Il va du blanc au noir. go Il condamne au matin ses sentimens du foir.

Importun à tout autre, à foi-même incommode,
Il change à tous momens d'esprit comme de mode:

REMARQUES.

H

avoit mis au bas de chaque portrait, un petit discours en forme d'Oraifon ou de Prière, accommodée au fujet. 11 avoit auffi compofé l'Hiftoire amoureufe des Gaules, où il décrivoit d'une manière très-fatirique, les galanteries des principales perfonnes de la Cour. Ce Livre fut la caufe de Ta disgrace. Les Lettres fuivantes fervent encore à l'explication de ce vers.

Lettre de Madame de SCUDERIà Mr. le Comte de Bussi, du 4. Août, 1674.

,, Aimez-vous, Monfieur, que Despréaux ait nommé vo,, tre nom dans une de fes Satires? J'ai ouï dire que le Roi ,, avoit demandé ce que c'étoit qu'il vouloit dire à l'endroit où il parle de vous; & qu'on lui répondit d'une manière qui vous auroit fâché, fi vous la faviez.

"

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Réponse du Comte de Bussi, du 8. Août.

.....

,, L'endroit où Despréaux m'a nommé dans fes Satires, fait plus contre lui que contre moi. Il a dit, les Saints » qu'a célébrez Buffi, pour dire, les Cocus. La Métaphore eft ridicule. Pour moi je ne voi pas que cela m'ait fait ni bien ni mal, ni que la réponse qu'on auroit pu faire au Roi, ait dû me déplaire. D'ailleurs Despréaux eft un Garçon d'esprit & de mérite que j'aime fort.

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