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D'un double cadenas font fermer les boutiques;

Que retiré chez lui, le paifible Marchand

Va revoir fes billets, & compter fon-argent;

Que dans le Marché-neuf tout eft calme & tranquille, • Les Voleurs à l'instant s'emparent de la Ville. Le Bois le plus funefte, & le moins fréquenté, 90 Eft, au prix de Paris, un lieu de fûreté.

Malheur donc à celui qu'une affaire imprévue
Engage un peu trop tard au détour d'une rue.
Bien-tôt quatre Bandits, lui ferrant les côtez :

La bourfe: il faut fe rendre; ou bien non, réfiftez; 95 Afin que votre mort, de tragique mémoire,

Des maffacres fameux aille groffir l'Hiftoire.

Pour moi, fermant ma porte, & cedant au fommeil, Tous les jours je me couche avecque le Soleil.

REMARQUES.

Mais

VERS 87. Que dans le Marché-neuf &c.] Place de Paris deftinée à tenir le Marché, entre le pont St. Michel, & le petit pont de l'Hôtel-Dieu.

VERS 88. Les Voleurs à l'inftant s'emparent de la ville.] Les desordres que les Voleurs commettoient dans Paris, & le danger qu'il y avoit de fe trouver dans les rues pendant la nuit, font ici décrits fort naïvement. En 1667. le Roi pourvut à la fureté publique, par l'établissement des Lanternes, par le redoublement du Guet, & de la Garde: par un reglement fur le port d'armes, & contre les gens fans aveu; & par plufieurs autres fages Ordonnances, dont l'éxécution fut confiée à Mr. DE LA REYNIE, Lieutenant General de Police. En peu de tems la fûreté fut rétablie dans Paris.

VERS 96. Des massacres fameux aille groffir l'Hiftoire. ] - IF y a un Livre intitulé, l'Hiftoire des Larrons ; où font décrits plufieurs meurtres & affaffinats.

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Mais en ma chambre à peine ai-je éteint la lumiere, 100 Qu'il ne m'eft plus permis de fermer la paupiere. Des Filous effrontez, d'un coup de piftolet,

Ebranlent ma fenêtre, & percent mon volet. J'entens crier par tout, au meurtre, on m'affaffine; Ou, le feu, vient de prendre à la maison voifine. 205 Tremblant, & demi mort, je me leve à ce bruit Et fouvent fans pourpoint je cours toute la nuit. Car le feu, dont la flâme en ondes fe déploie, Fait de notre quartier une feconde Troie; Où maint Grec affamé, maint avide Argien,.

REMARQUES.

Au

VERS 106. Et souvent fans pourpoint &c. ] Tout le monds: en ce tems-là portoit des pourpoints.

IMIT. Vers 116. Ce n'est qu'à prix d'argent qu'on dort en cette Ville.] Juvénal, Satire III. vers 235.

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Notre Poëte a furpaffé le Poëte Latin. S'il avoit voulu fimplement le traduire, il auroit dit: Et ce n'eft qu'à grans frais qu'on dort en cette Ville. Mais, à prix d'argent, a bien plus de force & d'énergie: C'est comme fi l'on disoit, que l'on dort mieux à proportion de ce que l'on donne pour acheter fon repos: plus il en coûte, & mieux on dort. Mattial, Livre XII. Epigr. st.

Net cogitandi fpatium, nec quiefcendi

In Urbe locus eft pauperi..

Martial a fait plufieurs Epigrammes contre les Perturba teurs du fommeil : Liv. IX. Ep. 69. Liv. X. Ep. 74. Live XII. Ep. 17. &.69.

VERS 119. Un Païs de Cocagne. ] Païs imaginai re, où les habitans vivent dans une heureufe abondance,

Sany

Ho Au travers des charbons va piller le Troien
Enfin fous mille crocs la maison abîmée
Entraîne auffi le feu qui fe perd en fumée.

Je me retire done, encor pâle d'effroi:

Mais le jour eft venu quand je rentre chez moi. 115. Je fais pour repofer un effort inutile:

Ce n'eft qu'à prix d'argent qu'on dort en cette Ville
Il faudroit, dans l'enclos d'un vafte logement,
Avoir loin de la ruë un autre apartement.

Paris eft pour un Riche un païs de Cocagne: 120 Sans fortir de la ville, il trouve la campagne;

REMARQUES.

fans rien faire, On eft incertain fur l'origine de ce now. Furetiere dit que dans le Haut-Languedoc on appele Coca gne un petit pain de Paftel: & que comme le Patel eft une herbe qui ne croit que dans des terres extremement ferti, les, on a nommé ce païs-là, un Païs de Cocagne,

En Italie, fur la route de Rome à Lorette, il y a, dit9n, une petite contrée, qu'on nomme Cucagna, dont la fituation eft très agréable, & le terroir très-fertile; mais fur tout les denrées y font excellentes & à bon marché. Ne feroit-ce point le Pais de Cocagne ?

Mr. DE LA MONNOYE, de l'Académie Françoife, qui a pris la peine de revoir ces Remarques, eft perfuade que cette façon de parler vient du fameux MERLIN GOCATE, qui, tout au commencement de fa première Masaronte, après avoir invoqué Togna, Pedrala, Mafelina, & autres Mufes Burlesques, décrit les Montagues où elles habitent, comme un féjour de fauffes, de potages, de broüets, de ragouts, de reftaurans; où l'on voit couler des Fleuves de vin, & des ruiffeaux de lait. Il y a bien de l'apparence; qu'un tel païs a tiré fon nom de celui de fon Inventeur, & que de Cocaïo, on en aura fait Cocagna. Cet-te façon de parler n'eft pas ancienne dans notre Langue :on ne la trouve ni dans Rabelais, ni dans Marot, ni mê

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Il peut dans fon jardin, tout peuplé d'arbres verds,
Receler le printems au milieu des hivers,
Et foulant le parfum de fes plantes fleuries,
Aller entretenir fes douces rêveries.

Mais

REMARQUES.

me dans Regnier. Elle s'eft établie un peu tard en France, parce que Merlin Cocaïe, dont le Jargon n'est pas fort aifé à entendre, y a trouvé peu de Lecteurs; & que la traduction qu'on en a faite en profe Françoise, n'a ête imprimée qu'en 1606. Enfin, le favant Mr. HUET, ancien Evêque d'Avranches, a bien voulu enrichir cette Re marque de fes conjectures. Il croit que Cocagne vient de Gogaille: Pais de Gogaille, & par corruption Païs de Cocaigne. Selon lui, Gogaille, vient de Gogue, qui eft une espèce de Saupiquet, ou de Farce. Quoi qu'il en foit, cette diverfité d'opinions fur le mot de Cocagne fert du moins à faire voir que l'on n'en fait pas la veritable origine. Ménage n'en à rien dit.

VERS 125. Mais moi, qui n'ai ni feu ni lieu.} Quand l'Auteur compofa cette Satire, il étoit logé dans la Cour du Palais, chez fon Frere ainé, Jérôme Boileau. Sa chambre étoit au deffus du grenier, dans une espèce de Guérite, au cinquième étage. Gilles Boileau, leur frere, logeoit auffi dans la même maison, & quand il en fortit, on donna fa chambre à notre Auteur. Cette chambre étoit pratiquée à côté d'un grenier au quatrième étage; & Mr. Despréaux s'applaudiffant de fon logement nouveau, difoit plaifamment: Je fuis defcendu au grenier.

Au reste, l'Auteur vouloit mettre au nombre des incommoditez de Paris, la grande affluence de Peuple, qui fait que l'on y eft toûjours extrèmement ferré, & il auroit terminé fa description par ce vers:

C

Cherchons une autre Ville où nous puissions tenir.

ou bien :

Et sherchons une Ville où l'on puiffe tenir

25 Mais moi,grace au Deftin, qui n'ai ni feu ni lieu, Je me loge où je puis, & comme il plaît à Dieu.

REMARQUES.

mais il ne voulut pas emploïer ce vers, à cause de l'équivoque qui s'y rencontre: tenir dans une Ville, fignifiant auffi fe défendre contre les ennemis qui l'affiégent.

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