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Le peuple de Paris, dont j'aime à vous dire aussi de temps en temps des nouvelles, a passé sa semaine de l'an comme de coutume, quoiqu'elle fût doublement refroidie par une température de 7 à 9 degrés et par la crise commerciale. C'étaient, du reste, toujours les mêmes boutiques sur les boulevarts, les mêmes objets, les mêmes joujoux, peut-être les mêmes bonbons en partie, les mêmes inventions d'éloquence populaire pour attirer l'attention des passants et animer la vente : « Messieurs! l'amusement des enfants, la tranquillité des parents! dix centimes, deux sous! » -- Ou bien : « Monsieur! Monsieur! vous avez oublié quelque chose..... Vous avez oublié d'acheter une orange au marchand d'oranges! » La Chronique vous a déjà souvent décrit tout cela, et de plus, s'étant vue cette fois contre sa coutume un peu retardée en route, elle est déjà bien loin du jour de l'An. Sur ce sujet et sur d'autres, elle avait encore ainsi plusieurs petites anecdotes ramassées pour vous tout exprès; mais puisque nous recommençons, s'il plaît à Dieu, notre causerie, je pense, et vous pensez aussi sans doute, que nous ferons mieux de les remettre à une autre fois.

ERRATA DE LA PRÉCÉDENTE LIVRAISON :

Page 808, ligne 22, une virgule après droit.

37, cette autre chose, lisez cet autre chose.

JÉRÉMIAS GOTTHELF

Deuxième article.

I

Au mois de septembre dernier j'ai enfin trouvé, à Berne, la biographie promise de Jérémias Gotthelf. C'est un superbe volume de 300 pages, qui a pour auteur M. le docteur Manuel, viceprésident du tribunal de première instance à Berne. Cette profession de juge me fit d'abord un peu froncer le sourcil, ne me sentant pas, en général, un engouement bien frénétique pour la littérature des avocats.

Je n'étais pas arrivé, il est vrai, à la moitié du livre, que mes préventions avaient complètement disparu. Je serais bien curieux de savoir combien nous aurions, en France, de magistrats à même d'écrire de cette façon un livre analogue.

M. Manuel se fait, sans doute, plutôt l'avocat de Gotthelf que son juge, mais il faut se rappeler aussi qu'il écrit pour ainsi dire en famille, devant une tombe qui vient de se fermer, et sous les yeux d'une parenté recueillie dans ses justes regrets. Personnellement, M. Manuel était l'ami de Gotthelf; il écrit d'abondance de cœur, ce qui, quand on parle d'un mort, ne laisse guère de place à la critique. Après tout, M. Manuel a raison; l'étude des qualités d'un homme a plus d'importance que tout le reste pour l'humanité, et heureux ceux qui, comme Gotthelf, trouvent ainsi, à la mort, la consécration de leur existence.

Le livre de M. Manuel pourrait peut-être, à la rigueur, être un peu plus condensé, mais n'est-il pas bien naturel qu'on se complaise à parler, quand on parle d'un ami, et ne redoutet-on pas toujours d'oublier ou de ne pas assez bien préciser quelque chose, quand il y a tant de choses à dire, et qu'on sent deR. S. Février 1858.

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vers soi qu'une fois le livre terminé, on n'aura plus d'autre moyen d'honorer la mémoire de celui qui n'est plus, que le culte silencieux de ses affectueux souvenirs?

Je m'attendais à trouver dans la vie privée de Gotthelf plus de turbulence que ne nous en laisse voir M. Manuel, lequel ne se départit jamais de la gravité naturelle à un magistrat, ce qui n'empêche cependant pas Gotthelf de nous réapparaître avec la désinvolture que je lui supposais, dans les lambeaux de sa correspondance mis à contribution par son biographe.

Cela dit, il ne me reste plus qu'à rendre pleinement hommage à la belle ordonnance du livre de M. Manuel, au vif intérêt des aperçus qui y abondent, et à la parfaite compétence de l'auteur à parler de son illustre ami.

Ce livre est à l'adresse du public allemand, qui est censé préalablement connaître l'œuvre entière de Gotthelf. Il serait à peu près inintelligible pour le public français, tant que cette œuvre entière n'aura pas été convenablement traduite, mais aussi, à ce moment là, il deviendra pour nous un cicerone du plus haut intérêt.

Avec M. Manuel, on ne sort pas, cela est vrai, du cercle d'idées et de sentiments qui étaient ceux de Gotthelf; son livre est pour ainsi dire subjectif, mais il apporte à sa tâche une chaleur d'admiration si entraînante, il fait preuve d'une instruction littéraire si peu ordinaire, en France, parmi les hommes de sa spécialité, et il motive si bien tous ses éloges, qu'on est forcé de s'avouer qu'avant de l'avoir lu, on ne connaissait encore qu'imparfaitement Gotthelf.

Nous pouvons donc hardiment compter comme un mérite de plus à celui-ci, d'avoir inspiré un pareil livre, ce qui donnera en même temps la mesure du mérite que j'attribue à celui qui l'a écrit.

La première partie du livre de M. Manuel est consacrée à la biographie proprement dite, et à l'analyse philosophique de chacun des romans de Gotthelf en particulier; puis, une fois qu'il a élevé son lecteur sur une cime assez haute pour embrasser dans leur ensemble la vie et les œuvres qui l'occupent, il s'applique, dans la seconde partie, à nous faire de mieux en mieux comprendre ce qu'était le pasteur de Lützelflüh, comme homme religieux, comme homme politique, comme pédagogue, comme poète, comme linguiste, comme humoriste et enfin comme romancier des mœurs campagnardes.

C'est spécialement la partie biographique que je vais parcourir ici à la bâte, en déplorant beaucoup d'être ainsi obligé de résumer en quelques pages le volume entier de M. Manuel.

Ce sera, je pense, la première fois que cette vie aura été racontée en français avec un peu d'ensemble; puisse-t-elle intéresser assez vivement le public et les éditeurs, pour rendre bientôt possible une édition complète et uniforme de Gotthelf, lequel, à ma connaissance, n'a jusqu'à présent été traduit en aucune langue (sauf les quelques essais de la Suisse française), et qui, en tout cas, est encore complètement inconnu dans la publicité parisienne, aujourd'hui la seule vraie publicité française.

II.

La famille Bitzius, fort ancienne à Berne, y jouissait déjà du droit de bourgeoisie à l'époque de la réformation. Le nom luimême dérive originairement du prénom Sulpicius, dont l'abréviation Bitzius se retrouve très-souvent au 15° et au 16° siècles, et qui, dans la vie ordinaire, se réduit même à Bitzi, comme on dit Xandi pour Alexandre, etc.

Au 16° siècle nous trouvons un Bitzius grand-huissier du Conseil souverain, puis, bailli à Aarwangen, intendant à Kœnigsfelden, et membre du petit conseil. Il eut deux fils qui déterminèrent la séparation de la race en deux branches, encore existantes aujourd'hui. Hans, l'un de ces fils, devient membre du grand conseil et châtelain à Wimmis; Ulric, son frère, est grand-huissier, comme leur père, puis bailli à Brandis, puis aussi membre du petit conseil. C'est de cet Ulric que descendait notre Bitzius au sixième degré. Le grand père de celui-ci embrassa la carrière ecclésiastique, ainsi que son père, lequel naquit en 1757, et fut appelé, en 1786, à la cure de Morat. Il eut trois femmes. La dernière, Elisabeth Kohler, issue d'une famille importante de la ville de Büren, fut la mère de notre Bitzius, qui naquit le 4 octobre 1797. C'est le premier-né. On l'appela du nom d'Albert.

On était alors à l'époque de l'invasion française et de la destruction de l'ossuaire de Morat. Ces évènements, ces souvenirs, et cette jolie contrée de Morat, ne pouvaient manquer d'impressionner vivement le jeune enfant dès l'âge le plus tendre. A

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