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L'ami Bonneau la soutient sous les bras.

La belle Agnès dit alors à voix basse :
<< Amour, Amour, maître de tous mes sens,
Donne la force à cette main tremblante,
Fais-moi porter cette armure pesante,
Pour mieux toucher l'auteur de mes tourments.
Mon amant veut une fille guerrière,
Tu fais d'Agnès un soldat pour lui plaire :
Je le suivrai; qu'il permette aujourd'hui
Que ce soit moi qui combatte avec lui;
Et si jamais la terrible tempête

Des dards anglais vient menacer sa tête,
Qu'ils tombent tous sur ces tristes appas;
Qu'il soit du moins sauvé par mon trépas;
Qu'il vive heureux; que je meure pâmée
Entre ses bras, et que je meure aimée! »>
Tandis qu'ainsi cette belle parlait,
Et que Bonneau ses armes lui mettait,
Le roi Charlot à trois milles était.

La tendre Agnès prétend à l'heure même,
Pendant la nuit, aller voir ce qu'elle aime.
Ainsi vêtue et pliant sous le poids,

N'en pouvant plus, maudissant son harnois,
Sur un cheval elle s'en va juchée,
Jambe meurtrie, et la fesse écorchée.

Le gros Bonneau, sur un normand monté,

Va lourdement, et ronfle à son côté.

Le tendre Amour, qui craint tout pour la belle, La voit partir, et soupire pour elle.

Agnès à peine avait gagné chemin,
Qu'elle entendit devers un bois voisin
Bruit de chevaux et grand cliquetis d'armes.
Le bruit redouble; et voici des gendarmes,
Vêtus de rouge; et, pour comble de maux,
C'étaient les gens de monsieur Jean Chandos.
L'un d'eux s'avance, et demande : « Qui vive? »>
A ce grand cri, notre amante naïve,

Songeant au roi, répondit sans détour:
« Je suis Agnès; vive France et l'Amour! »
A ces deux noms, que le ciel équitable
Voulut unir du nœud le plus durable,
On prend Agnès et son gros confident;

Ils sont tous deux menés incontinent
A ce Chandos qui, terrible en sa rage,
Avait juré de venger son outrage,
Et de punir les brigands ennemis
Qui sa culotte et son fer avaient pris.

Dans ces moments où la main bienfaisante
Du doux sommeil laisse nos yeux ouverts,
Quand les oiseaux reprennent leurs concerts,
Qu'on sent en soi sa vigueur renaissante,
Que les désirs, pères des voluptés,

Sont par les sens dans notre âme excités ;
Dans ces moments, Chandos, on te présente
La belle Agnès, plus belle et plus brillante
Que le soleil au bord de l'Orient.
Que sentis-tu, Chandos, en t'éveillant,
Lorsque tu vis cette nymphe si belle
A tes côtés, et tes grègues sur elle?
Chandos, pressé d'un aiguillon bien vif,
La dévorait de son regard lascif.

Agnès en tremble, et l'entend qui marmotte
Entre ses dents : « Je r'aurai ma culotte! >>
A son chevet d'abord il la fait seoir.
« Quittez, dit-il, ma belle prisonnière,
Quittez ce poids d'une armure étrangère. »
Ainsi parlant, plein d'ardeur et d'espoir,
Il la décasque, il vous la décuirasse,
La belle Agnès s'en défend avec grâce;
Elle rougit d'une aimable pudeur,
Pensant à Charle, et soumise au vainqueur.
Le gros Bonneau, que le Chandos destine
Au digne emploi de chef de sa cuisine,
Va dans l'instant mériter cet honneur;
Des boudins blancs il était l'inventeur,
Et tu lui dois, o nation française,
Pâtés d'anguille et gigots à la braise.

<< Monsieur Chandos, hélas! que faites-vous? >>
Disait Agnès d'un ton timide et doux.

« Pardieu, dit-il (tout héros anglais jure)1,

1. Les Anglais jurent by God! God damn me! blood! etc.; les Allemands, sacrament; les Français, par un mot qui est au jurement des Italiens ce que l'action est à l'instrument; les Espagnols, voto a Dios. Un révérend père récollet a

Quelqu'un m'a fait une sanglante injure.
Cette culotte est mienne; et je prendrai
Ce qui fut mien où je le trouverai. »
Parler ainsi, mettre Agnès toute nue,
C'est même chose; et la belle éperdue
Tout en pleurant était entre ses bras,
Et lui disait : « Non, je n'y consens pas. »
Dans l'instant même un horrible fracas
Se fait entendre, on crie: « Alerte, aux armes ! >>
Et la trompette, organe du trépas,

Sonne la charge, et porte les alarmes.
A son réveil, Jeanne cherchant en vain
L'affublement du harnois masculin,
Son bel armet ombragé de l'aigrette,
Et son haubert, et sa large braguette",
Sans raisonner, saisit soudainement
D'un écuyer le dur accoutrement,
Monte à cheval sur son âne, et s'écrie
<< Venez venger l'honneur de la patrie.
Cent chevaliers s'empressent sur ses pas;
Ils sont suivis de six cent vingt soldats.

:

Frère Lourdis, en ce moment de crise,
Du beau palais où règne la Sottise
Est descendu chez les Anglais guerriers,
Environné d'atomes tout grossiers,
Sur son gros dos portant balourderies,
OEuvres de moine, et belles âneries.
Ainsi bâté, sitôt qu'il arriva,

fait un livre sur les jurements de toutes les nations, qui sera probablement trèsexact et très-instructif; on l'imprime actuellement. (Note de Voltaire, 1762.)

1. Haubert, aubergeon, cotte d'armes; elle était d'ordinaire composée de mailles de fer, quelquefois couverte de soie ou de laine blanche; elle avait des manches larges, et un gorgerin. Les fiefs de haubert sont ceux dont le seigneur avait droit de porter cette cotte. (Id., 1762.)

2. Braguettes, de braye, bracca. On portait de longues braguettes détachées du haut-de-chausses, et souvent au fond de ces braguettes on portait une orange qu'on présentait aux dames. Rabelais parle d'un beau livre intitulé De la dignité des braguettes. C'était la prérogative distinctive du sexe le plus noble; c'est pourquoi la Sorbonne présenta requête pour faire brûler la Pucelle, attendu qu'elle avait porté culotte avec braguette. Six évêques de France, assistés de l'évêque de Vinchester, la condamnèrent au feu, ce qui était bien juste : c'est dommage que cela n'arrive pas plus souvent; mais il ne faut désespérer de rien. (Id., 1762.) —Voyez Rabelais, Gargantua, I, vii.

Sur les Anglais sa robe il secoua,

Son ample robe; et dans leur camp versa
Tous les trésors de sa crasse ignorance,
Trésors communs au bon pays de France.
Ainsi des nuits la noire déité,

Du haut d'un char d'ébène marqueté,
Répand sur nous les pavots et les songes,
Et nous endort dans le sein des mensonges.

FIN DU CHANT TROISIÈME.

VARIANTES

DU CHANT TROISIÈME.

Vers 12 et 13.

Dans l'édition de 1756, au lieu de ces deux vers, on

lit:

* Le grand Condé fut battu par Turenne;

Créqui vaincu fut ensuite vainqueur;
L'heureux Villars, fanfaron plein de cœur,

Gagna 'le quitte ou double avec Eugène.

* De Stanislas...

Il est aisé de voir que gagna le quilte ou double, et le fanfaron plein de cœur, ne sont pas de M. de Voltaire. (K.)-L'auteur de l'article VILLARS de la Biographie universelle (XLVIII, 549) trouve dans ce vers :

L'heureux Villars, fanfaron plein de cœur,

qu'il attribue à Voltaire, une juste appréciation du vainqueur de Denain. (R.)

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Après « un divin caractère », on lisait dans l'édition de 1756:

Avec cela tout est humble et soumis.

Voyons comment, dans la grande chronique,

Du fin Jéthro le gendre politique

S'y prit jadis pour être plus que roi.
Aux bonnes gens dont Jacob fut le père,

Gens d'esprit faible et de robuste foi,

Il dit que Dieu, lui montrant son derrière,
L'endoctrinait sur l'admirable loi

Qui le devait, et les fils de son frère,
Entretenir pour jamais à rien faire ;
Qu'il lui dictait tous les importants cas
Où les lépreux, les femmes bien apprises,
Devaient changer de robe et de chemises,
Paraître en rue ou rester dans les draps.
De vingt pétards et d'autant de fusées
Le feu saillant et les brillants éclats,
Sur un rocher caché dans les nuées,
Dont une garde et des ordres exprès
Aux curieux interdisaient l'accès,
Pour les idiots furent une tempête;

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