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AVERTISSEMENT

DE BEUCHOT.

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C'est d'après Voltaire lui-même 1 que les éditeurs de Kehl disent que la Pucelle fut composée vers 1730. Ce n'est pas donner une époque bien précise, et l'on peut tout aussi bien dire que le poëme était au moins commencé en 1726, et même en 1725. Voltaire écrivait à Tressan, le 9 décembre 1736 « Il y a dix ans que je refuse de laisser prendre copie d'une seule page du poëme de la Pucelle. » Dix-neuf ans après, il disait à d'Argental 3 que c'était « une vieille plaisanterie de trente ans ».

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Dans une lettre à Formont, que l'on croit de juin 1734, il est honteux d'avoir tant avancé un ouvrage si frivole. C'était le moment où les Lettres philosophiques venaient d'être condamnées, et il ne manifestait aucune crainte des indiscrétions qui plus tard lui causèrent tant de chagrin. Cependant il n'y avait encore que huit chants de composés au commencement de 1735; au milieu de la même année, le neuvième chant était fait *.

Malgré ce qu'il dit dans sa lettre à Tressan, il avait communiqué trèslégèrement plusieurs chants à quelques amis et à de grands personnages. Lors des persécutions dont il fut l'objet en 1736, pour la satire du Mondain, Mae du Châtelet ne se borna pas à lui recommander plus de réserve et de prudence dans les communications des chants de la Pucelle, elle s'empara de tout ce que l'auteur avait en manuscrit, et ne voulut «< pas s'en dessaisir». Voltaire se trouva ainsi hors d'état de donner copie de son poëme à Frédéric, alors prince royal. C'était le temps de toute la ferveur de l'amitié entre ces deux grands hommes.

Il n'y avait alors que dix chants de composés. On croit qu'un onzième le fut en 1738.

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Frédéric était roi depuis trois ans lorsqu'il écrivit à Voltaire qu'il était

1. Voyez, page 19, la Préface de dom Apuleius Risorius.

2. Voyez leur Avertissement, page 15.

3. Lettre du 13 juin 1755.

4. 10 juin 1734.

5. Lettre à Cideville, du 6 février 1735.

6. Lettre au même, 26 juin 1735.

7. Lettre de Voltaire à Frédéric, du mois de juillet 1737.

8. Le 8 septembre 1743.

9.

1*

1

possesseur de six chants. Trois ans après, toujours retenu par Mme du Châ– telet, Voltaire 1 s'excusait auprès du monarque de n'avoir pu lui remettre tout ce qui était composé. Dans les premiers mois de son séjour à Berlin, en 1750, il satisfit enfin les désirs de Frédéric. La copie qu'il lui offrit était de la main de Tinois, son secrétaire, qui en fit en même temps une copie furtive pour le prince Henri 2, et fut congédié dès que son maître eut connaissance de cette infidélité.

S'il faut en croire Colini 3, un quatorzième chant fut composé à Potsdam en 1752; et le quinzième commencé en février 1753, au milieu des dégoûts dont l'auteur était abreuvé à la cour de Prusse. Lorsqu'il fut arrêté à la porte de Francfort, il tira d'un portefeuille quelques papiers et les remit à Colini, en lui disant : « Cachez cela sur vous. » Colini les cacha dans le vêtement qu'un auteur ingénieux a nommé le vêtement nécessaire. Lorsqu'il examina le précieux dépôt, il vit que c'était tout ce que Voltaire avait fait de son poëme.

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En 1754, les copies étaient multipliées tellement que Voltaire regardait l'impression comme inévitable, et comme «< une bombe qui devait crever tôt ou tard pour l'écraser >>. Ces inquiétudes étaient prématurées. Elles redoublèrent en 1755, et il prit le parti de faire écrire par Mme Denis au lieutenant général de police à Paris, pour le prier de faire des recherches : elles n'aboutirent à rien, ainsi qu'on le voit par le rapport de d'Hémery, inspecteur de police, en date du 19 juin 1755. Mal disposé contre Voltaire, d'Hémery croit que l'impression n'aura lieu que du consentement de l'auteur. Dans un second rapport 7, du 24 juillet, il signale la quantité de manuscrits qui sont à Paris dans les mains d'amis ou de connaissances, de Voltaire; «< entre autres M. d'Argental, Mme de Graffigny, le sieur Thieriot, Mme Denis, Mme la comtesse de La Marck, M. le duc de La Vallière, qui n'aura sûrement pas manqué d'en donner une expédition à Me la marquise ».

Cette marquise est Mme de Pompadour, à qui Voltaire en avait adressé une copie à la fin de juin, ou au commencement de juillet 8. Quant au duc de La Vallière, il lui en avait aussi adressé un manuscrit vers le même temps. Mais ce riche amateur avait très-bien pu s'en procurer un auparavant; il en avait du moins marchandé un, dont on lui demandait cinquante louis 9.

1. Lettre du 22 septembre 1746.

2. Lettre à Mme Denis, du 3 janvier 1751.

3. Mon Séjour auprès de Voltaire, pages 31 et 59.

4. Mon Séjour auprès de Voltaire, page 85.

5. Lettre à d'Argental, du 8 septembre 1754.

6. Manuscrit que je possède, et qui fait partie d'une collection qui va de 1750 à 1770 inclusivement. (B.)

7. Id.

8. Lettres à d'Argental, des 13 juin et 21 juillet 1755.

9. Voltaire dit mille écus dans ses lettres à Darget, du 13 juin; à Mme de Fontaine, du 18 juin. Mais il y a exagération dans cette somme, et cette exagération est peut-être du duc de La Vallière.

C'est sur un manuscrit divisé en quinze chants que Darget avait fait à Vincennes, en mai 1755, une lecture de la Pucelle à quelques personnes 1. Cependant la lettre à d'Argental, du 6 février 1755, parle d'un dix-neuvième chant, qui était entre les mains de Mlle du Thil, anciennement au service de Mme du Châtelet. Ce dix-neuvième chant, sur lequel je reviendrai, était donc composé avant la mort de Mine du Châtelet 2.

La police, continuant ses recherches, soupçonna un abbé de La Chau, ancien habitué de l'hôpital, et brouillé avec l'archevêque, d'avoir vendu des copies manuscrites. De semblables soupçons s'élevaient contre le chevalier de La Morlière.

Au milieu de tous ces ennuis, Voltaire lui-même multipliait les copies. Ce n'était pas seulement à Mme de Pompadour et au duc de La Vallière qu'il en envoyait; il en promettait une à Formont 3, tout en renouvelant ses plaintes sur leur multiplication". En même temps il recommandait à Mme de Fontaine de faire copier son poëme 5, et de se faire rembourser par son notaire Delaleu les frais de copie 6. Il n'était pas étonnant que les manuscrits devinssent à bon marché. On en avait offert à Ximenès pour cinq louis, et Colini dit qu'on en avait pour un louis 8.

Il est assez naturel de penser que les copies envoyées par Voltaire à Mme de Pompadour, au duc de La Vallière, etc., étaient toutes conformes à l'ouvrage tel qu'il voulait l'avouer.

Palissot, qui alla aux Délices en octobre 1755, et qui s'est trouvé ainsi en position de voir ou d'apprendre bien des choses, dit que Voltaire « imagina d'employer à Paris même un grand nombre de copistes occupés jour et nuit à répandre dans le public des manuscrits de la Pucelle. Tous ces manuscrits différaient les uns des autres; tous étaient plus ou moins chargés de vers détestables, ou de turpitudes révoltantes, que lui-même y faisait insérer à dessein. L'empressement qu'on avait de jouir de ce poëme, quelque défectueux qu'il pût être, faisait acheter toutes ces copies. Chacun se flattait d'avoir la meilleure... Il n'était guère de société qui n'eût son manuscrit.

« Ce singulier moyen de défense, qu'on ne peut guère reprocher à un vieillard menacé d'une persécution si cruelle, lui paraissait un prétexte plausible pour désavouer hautement un ouvrage qui semblait être devenu l'objet des spéculations d'une foule de corsaires. »

Si des additions de vers grossiers, défectueux, bizarres, étaient nécessaires, il n'était pas moins important de faire des suppressions. Je possède quatre manuscrits du poëme de la Pucelle j'en ai vu beaucoup d'autres,

1. Lettre de Voltaire à Darget, du 23 mai; et de Darget à Voltaire, du 1er juin 1755. 2. 10 septembre 1749.

3. Lettre à Formont, du 13 juin 1755.

4. Lettre à d'Argental, du 15 juin.

5. Lettre à Me de Fontaine, du 2 juillet.

6. Lettre du 6 septembre.

7. Lettre à d'Argental, du 22 juillet.

8. Mon Séjour auprès de Voltaire, page 145.

et je n'y ai pas trouvé les vers du chant II (voyez page 46) qu'on appliquait à Mme de Pompadour :

Telle plutôt cette heureuse grisette, etc.

Ces vers ne sont pas non plus dans les premières éditions, de 1755.

Il en est de même de l'hémistiche du chant quinzième sur Louis XV:

qu'on méprise et qu'on aime.

On se demande si des éditeurs qui auraient fait de tels vers ne pouvaient pas ailleurs être aussi bien inspirés. Mais s'il leur était impossible de prendre la manière de Voltaire, il lui était très-facile de faire des vers ridicules ou répréhensibles sous divers rapports..

Je suis d'autant plus porté à adopter l'opinion de Palissot, que des vers cités par Voltaire, et signalés par lui comme affreux 1, ne se trouvent dans aucune des éditions ni dans aucun des manuscrits que j'ai vus. Voltaire, que le fanatisme voulait arracher de son asile, sans lui en laisser aucun autre, devait tout employer pour faire échouer le projet de ses ennemis. Aussi écrivait-il à d'Argental 2: « Il n'y a pas de parti que je ne prenne, ni de dépense que je ne fasse très-volontiers, pour supprimer ce qu'on fait courir sous mon nom avec tant d'injustice. » Voltaire ne pouvait avoir l'idée d'anéantir tous les manuscrits. Il savait depuis longtemps qu'il existait « trop de copies de cette dangereuse plaisanterie 3». Il voulait donc parler du singulier moyen de défense révélé par Palissot.

3

Il est probable toutefois que quelques vers, omis ou estropiés par les copistes, ont été rétablis ou corrigés par les premiers éditeurs. Il est possible même qu'ils aient méchamment changé ou défiguré des vers ou des passages; mais leur part ne me paraît pas facile à faire, et ne doit pas être bien grande.

Grasset, libraire de Lausanne, était venu, le 26 juillet 1755, offrir à Voltaire de racheter cinquante louis un manuscrit dont l'impression était commencée, et dont il montra une feuille manuscrite. Mis en prison, Grasset avoua qu'il tenait cette. feuille de Maubert 5; ce capucin défroqué, interrogé à son tour, répondit qu'il l'avait reçue de Lausanne. Les magistrats de Genève conseillèrent à Grasset « de vider la ville 7 », et déclarèrent à Maubert qu'on s'en prendrait à lui si la Pucelle était imprimée. Maubert et Grasset, sortis de Genève, n'avaient qu'à se moquer des magistrats.

1. Lettres à d'Argental, du 28 juillet; à Richelieu, du 31 juillet; à Thieriot, du 10 septembre 1755: voyez aussi page 38.

2. 23 mai 1755.

3. Lettre à d'Argental, du 8 septembre 1754.

4. Lettres à d'Argental, 28 juillet; à Brenles, le 29 juillet; au syndic de Genève,

le 2 août; à Thieriot, le 4 août.

5. Lettre à Darget, du 5 août.

6. Lettre à Brenles, du 5 août.

7. Lettre à Polier de Bottens, du 5 août 1755.

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A la fin d'octobre, Voltaire apprit que la Pucelle était imprimée 1. L'edition que je crois la première est intitulée La Pucelle d'Orléans, poëme divisé en quinze livres, par M. de V***, Louvain, 1755, in-12 de 161 pages, plus le faux titre, le titre, et une préface de deux pages. Sur le faux titre, on lit seulement: La P... d'O..., poëme divisé en quinze livres. Le volume finit par trois lignes de points, et ces mots: Cætera desunt.

Dans sa lettre à l'Académie française, de novembre 1755, Voltaire dit l'édition faite à Francfort, quoiqu'elle soit annoncée de Louvain; il parle même de deux autres éditions exécutées, dit-il, en Hollande.

L'existence des réclames au bas de chaque page indique une impression faite hors de France. Je n'ai pas la témérité de contredire l'assertion de Voltaire sur Francfort; mais, en quelque lieu que cette édition ait été faite, je crois qu'on la doit au capucin Maubert. C'est à lui que Voltaire a toujours persisté à en faire honneur, si honneur y a; c'est à lui seul qu'il s'attache dans une phrase ajoutée, en 1773, à une note de la Préface de dom Apuleius Risorius, et dans une note ajoutée, la même année, au chant XXI.

Les quinze chants de l'édition de 1755 sont aujourd'hui les I, II, III, IV, V, VI, VII, X, XI, XII, XIII, XIV, XV, XX et XXI (sauf variantes considérables pour ces deux derniers).

Il serait fastidieux pour la plupart des lecteurs, et plus difficile encore, de donner une liste complète des éditions de la Pucelle. Je ne parlerai donc que de quelques-unes.

La Pucelle d'Orléans, poëme divisé en quinze livres, par M. de V***, Paris, 1756, petit in-12 de Iv et 198 pages. Le frontispice est orné d'un portrait de Voltaire couronné de lauriers, avec cet exergue: Père des poëtes. Pour le texte, elle ne diffère pas de l'édition de 1755. Seulement le quinzième chant n'est pas terminé par des points, et se trouve ainsi donné pour complet.

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La Pucelle d'Orléans, poëme héroï-comique, nouvelle édition, sans faule et sans lacune, augmentée d'une épître du P. Grisbourdon à M. de Voltaire, et un jugement sur le poëme de la Pucelle à M. avec unе épigramme sur le même poëme, en dix-huit chants; Londres, 1756, in-32 de ij et 240 pages.

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Les chants VIII et XI de 1755 forment, dans l'édition de 1756, les chants VIII et IX, XII et XIII. Le chant de Corisandre y est imprimé pour la première fois, toutefois avec les dix-neuf premiers vers du chant XV de 1755, qui sont aujourd'hui en tête du chant XXI. Le chant XVIII, dont un fragment de 155 vers formait le chant XV en 1755, est en entier dans l'édition de 1756, tel qu'on le lit aujourd'hui dans les variantes du chant XXI; et il y a 329 vers, quoique n'ayant qu'un prologue de 12 vers, au

1. Lettres à d'Argental, du 29 octobre; à Thieriot, du 8 novembre 1755.

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