Il mit d'abord au milieu d'un nuage Le bon Denis; puis il fit le voyage Par un chemin solitaire, écarté, Parlant tout bas, et marchant de côté.
Des bons Français le protecteur fidèle Non loin de Blois rencontra la Pucelle, Qui sur le dos de son gros muletier Gagnait pays par un petit sentier, En priant Dieu qu'une heureuse aventure Lui fit enfin retrouver son armure. Tout du plus loin que saint Denis la vit, D'un ton bénin le bon patron lui dit : << O ma Pucelle, ô vierge destinée A protéger les filles et les rois, Viens secourir la pudeur aux abois, Viens réprimer la rage forcenée,
Viens; que ce bras vengeur des fleurs de lis Soit le sauveur de mes tendrons bénis :
Vois ce couvent, le temps presse, on viole: Viens, ma Pucelle ! » Il dit, et Jeanne y vole. Le cher patron lui servant d'écuyer, A coups de fouet hâtait le muletier.
Vous voici, Jeanne, au milieu des infâmes Qui tourmentaient ces vénérables dames. Jeanne était nue; un Anglais impudent Vers cet objet tourne soudain la tête; Il la convoite: il pense fermement Qu'elle venait pour être de la fête. Vers elle il court, et sur sa nudité Il va cherchant la sale volupté. On lui répond d'un coup de cimeterre Droit sur le nez. L'infâme roule à terre, Jurant ce mot des Français révéré, Mot énergique, au plaisir consacré 1, Mot que souvent le profane vulgaire Indignement prononce en sa colère.
Jeanne, à ses pieds foulant son corps sanglant, Criait tout haut à ce peuple méchant :
<< Cessez, cruels; cessez, troupe profane;
O violeurs, craignez Dieu, craignez Jeanne! »
1. Voyez la note de la page 69.
Ces mécréants, au grand œuvre attachés, N'écoutaient rien, sur leurs nonnains juchés : Tels des ânons broutent des fleurs naissantes, Malgré les cris du maître et des servantes. Jeanne, qui voit leurs impudents travaux, De grande horreur saintement transportée, Invoquant Dieu, de Denis assistée,
Le fer en main, vole de dos en dos, De nuque en nuque et d'échine en échine, Frappant, perçant de sa pique divine, Pourfendant l'un alors qu'il commençait, Dépêchant l'autre alors qu'il finissait, Et moissonnant la cohorte félonne; Si que chacun fut percé sur sa nonne, Et perdant l'âme au fort de son désir, Allait au diable en mourant de plaisir. Isac Warton, dont la lubrique rage, Avait pressé son détestable ouvrage, Ce dur Warton fut le seul écuyer Qui de sa nonne osa se délier, Et droit en pied, reprenant son armure, Attendit Jeanne, et changea de posture.
O vous, grand saint, protecteur de l'État, Bon saint Denis, témoin de ce combat, Daignez redire à ma muse fidèle
Ce qu'à vos yeux fit alors ma Pucelle. Jeanne d'abord frémit, s'émerveilla :
<<< Mon cher Denis? mon saint, que vois-je là? Mon corselet, mon armure céleste, Ce beau présent que tu m'avais donné, Brille à mes yeux au dos de ce damné! Il a mon casque, il a ma soubreveste. » Il était vrai; la Jeanne avait raison : La belle Agnès, en troquant de jupon, De cette armure en secret habillée, Par Jean Chandos fut bientôt dépouilléc. Isac Warton, écuyer de Chandos, Prit cette armure, et s'en couvrit le dos. O Jeanne d'Arc 1-6-fleur des héroïnes! Tu combattais pour tes armes divines, Pour ton grand roi si longtemps outragé, Pour la pudeur de cent bénédictines,
Pour saint Denis de leur honneur chargé. Denis la voit qui donne avec audace Cent coups de sabre à sa propre cuirasse, A son armet d'une aigrette ombragé. Au mont Etna, dans leur forge brûlante1, Du noir Vulcain les borgnes. compagnons Font retentir l'enclume étincelante
Sous des marteaux moins pesants et moins prompts, En préparant au maître du tonnerre Son gros canon trop bravé sur lå terre.
Le fier Anglais, de fer enharnaché, Recule un pas; son âme est stupéfaite Quand il se voit si rudement touché Par une jeune et fringante brunette. La voyant nue, il sentit des remords;
Sa main tremblait de blesser ce beau corps. Il se défend, et combat en arrière, De l'ennemie admirant les trésors, Et se moquant de sa vertu guerrière. Saint George alors au sein du paradis Ne voyant plus son confrère Denis, Se douta bien que le saint de la France Portait aux siens sa divine assistance. Il promenait ses regards inquiets Dans les recoins du céleste palais. Sans balancer aussitôt il demande Son beau cheval connu dans la légende. Le cheval vint; George le bien monté 2, La lancé au poing, et le sabre au côté, Va parcourant cet effroyable espace Que des humains veut mesurer l'audace; Ces cieux divers, ces globes lumineux Que fait tourner René le songe-creux
1. Cette comparaison se retrouvera dans le chant de Corisandre (191-196) après les variantes du chant XIII. (R.)
2. Il est indubitable qu'on représente toujours saint George sur un beau cheval, et de là vient le proverbe, monté comme un saint George. (Note de Voltaire, 1762.)
3. Allusion aux tourbillons de Descartes et à sa matière subtile, imaginations ridicules, et qui ont eu si longtemps la vogue. On ne sait pourquoi l'auteur applique aussi l'épithète de réveur à Newton, qui a prouvé le vide; c'est apparemment parce que Newton soupçonne qu'un esprit extrêmement élastique est la cause de la gravitation; au reste, il ne faut pas prendre une plaisanterie à la lettre. (Id., 1762.)
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