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la vérité; c'est un bien permanent et solide; c'est une pure et sincère beauté, et tout cela c'est Dieu même (1).

L'idée même du bonheur nous mène à Dieu; car si nous avons l'idée du bonheur, puisque d'ailleurs nous n'en pouvons voir la vérité en nousmêmes, il faut qu'elle nous vienne d'ailleurs; il faut qu'il y ait ailleurs une nature vraiment bienheureuse; que si elle est bienheureuse, elle n'a rien à désirer; elle est parfaite, et cette nature bienheureuse, parfaite, pleine de tout bien, qu'estce autre chose que Dieu (2)? »

Reste à savoir si nous pouvons posséder Dieu. Mais qu'est-ce que le posséder, si ce n'est lui être uni et le connaître (3)?

Dans cette connaissance, « nous goûtons un plaişir si pur, que tout autre plaisir ne nous paraît rien à comparaison. C'est ce plaisir qui a transporté les philosophes, et qui leur a fait souhaiter que la nature n'eût donné aux hommes aucunes voluptés sensuelles, parce que ces voluptés troublent en nous le plaisir de goûter la vérité toute pure.

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Qui voit Pythagore, ravi d'avoir trouvé le carré des côtés d'un certain triangle, avec le carré de la base, sacrifier une hécatombe en actions de grâces;

(1) Bossuet, t. IX, p. 337. (2) Idem, t. XXII, p. 199.

qui voit Archimède, attentif à quelque nouvelle découverte, en oublier le boire et le manger; qui voit Platon célébrer la félicité de ceux qui contemplent le beau et le bon, premièrement dans les arts, secondement dans la nature, et enfin dans leur source et dans leur principe qui est Dieu; qui voit Aristote louer ces heureux moments, où l'âme n'est possédée que de l'intelligence de la vérité, et juger une telle vie seule digne d'être éternelle et d'être la vie de Dieu mais qui voit les saints tellement ravis de ce divin exercice de connaître, d'aimer et de louer Dieu, qu'ils ne le quittent jamais, et qu'ils éteignent, pour le continuer durant tout le cours de leur vie, tous les désirs sensuels; qui voit toutes ces choses, reconnait dans les opérations intellectuelles un principe et un exercice de vie éternellement heureuse (1). »

(1) Bossuet, t. xxII, p. 253.

CHAPITRE III.

Théorie de la Connaissance, ou des Idées.

Je pense, donc je suis, disait Descartes, et le père de la philosophie moderne, dans cette affirmation de son propre être, posait l'inébranlable fondement de la certitude. En effet, on ne connaît que ce qui est, et de soi le néant ne saurait se concevoir. Aussi, n'y a-t-il jamais eu de pyrrhoniens effectifs et parfaits, et le scepticisme le plus outré, quelque ingénieuses ou profondes qu'aient été ses formules, a toujours fini, se contredisant lui-même, par se résoudre en dogmatisme.

Mais si l'absolue négation n'a pas de prise sur la réalité, puisqu'elle la suppose, il est facile cependant de se tromper sur la nature de ce qui est. Il suffit pour cela, de méconnaître la nature des idées, car c'est par les idées que la réalité se révèle à

nous.

Or, quatre hypothèses peuvent être et ont été tour à tour adoptées sur la nature des idées. Ou les idées sont uniquement en Dieu.

Ou les idées sont uniquement en nous-mêmes. Ou les idées sont à la fois en nous-mêmes, dans le monde et en Dieu.

Ces quatre hypothèses se partagent les esprits et on a fort bien remarqué (1) que, toutes en germe chez Descartes, elles se développent chez ses successeurs la première chez Malebranche, la seconde chez Locke, la troisième chez Arnauld, la quatrième chez Leibniz.

A y regarder de près, ces quatre hypothèses se réduisent même à deux. En effet, le faux mysticisme et l'égoïsme, qu'ils le sachent ou qu'ils l'ignorent, s'accordent avec le sensualisme, et le spiritualisme ne subsiste qu'autant qu'on le dégage de tout alliage impur.

Les uns voient dans l'homme un marbre inerte et vide, bloc informe qui demande à être façonné, et que l'artiste, suivant son caprice ou son génie,

Peut faire Dieu, table, ou cuvette (2).

Les autres comparent, si l'on veut, l'homme à un marbre; mais non point à un marbre tout uni, indifférent à recevoir telle figure ou telle autre. En lui se trouvent des veines qui marquent la figure de Dieu, préférablement à d'autres figures, de manière que Dieu y est comme inné, quoiqu'il faille du

(1) M. Bordas-Demoulin, Le Cartésianisme, P. 1, chap. 2, (2) La Fontaine, liv. IX, fable vi.

travail pour découvrir ces veines et les nettoyer par la polissure, en retranchant ce qui les empêche de paraître (1).

Pour les uns, par conséquent, c'est une force étrangère à nous, qui produit tout en nous; pour les autres, cette puissance extérieure ne fait autre chose que mettre en saillie nos dispositions et nos virtualités.

Entre ces deux doctrines, le choix n'est pas dou teux. D'où vient néanmoins qu'on s'est mépris tant de fois sur la nature des idées, et qu'ignorant leur véritable origine, on a de même ignoré leur véritable fin? C'est que, soit négligence, soit préoccupation, soit calcul, on n'a point examiné d'une manière attentive les caractères dont elles sont revêtues. Au lieu d'observer ce qui est, on s'est précipité aux plus étranges hypothèses, et la science des idées par excellence, l'idéologie, en poursuivant la réalité concrète, n'a embrassé que des abstractions, ou a dû reconnaître qu'elle se subordonnait à la zoologie (2). La métaphysique s'anéantissait, lorsque enfin, par leurs analyses, les philosophes écossais sont venus la ranimer.

Si on voulait trouver, au dix-septième siècle, quelque antécédent de cette investigation minutieuse et patiente, qui procède du connu à l'inconnu, et, des prémisses en apparence les plus humbles, sait tirer

(1) Leibniz, Nouveaux essais, édit. Charpentier, p. 5.

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