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dans un moment où tout maître européen, touché jusqu'au vif par son intérêt, eût commencé, sans vouloir m'entendre, par me condamner à mille tourments. Patron, lui dis-je en langue franque, tu ne peux nous haïr, tu ne nous connois pas même; nous ne te haïssons pas non plus, tu n'es pas l'auteur de nos maux, tu les ignores. Nous savons porter le joug de la nécessité qui nous a soumis à toi. Nous ne refusons point d'employer nos forces pour ton service, puisque le sort nous y condamne; mais en les excédant ton esclave nous les ôte et va te ruiner par notre perte. Crois-moi, transporte à un homme plus sage l'autorité dont il abuse à ton préjudice. Mieux distribué, ton ouvrage ne se fera pas moins, et tu conserveras des esclaves laborieux dont tu tireras avec le temps un profit beaucoup plus grand que celui qu'il te veut procurer en nous accablant. Nos plaintes sont justes, nos demandes sont modérées. Si tu ne les écoutes pas, notre parti est pris: ton homme vient d'en faire l'épreuve; tu peux la faire à ton

tour.

Je me tus; le piqueur voulut répliquer. Le patron lui imposa silence. Il parcourut des yeux mes camarades, dont le teint hâve et la maigreur attestoient la vérité de mes plaintes, mais dont la constance au surplus n'annonçoit point du tout des gens intimidés. Ensuite, m'ayant considéré derechef: Tu parois, dit-il, un homme sensé; je veux savoir ce qui en est. Tu tances la

conduite de cet esclave: voyons la tienne à sa place; je te la donne et le mets à la tienne. Aussitôt il ordonna qu'on m'ôtât mes fers et qu'on les mît à notre chef: cela fut fait à l'instant.

Je n'ai pas besoin de vous dire comment je me conduisis dans ce nouveau poste, et ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. Mon aventure fit du bruit, le soin qu'il prit de la répandre fit nouvelle dans Alger: le dey même entendit parler de moi et voulut me voir. Mon patron m'ayant conduit à lui, et voyant que je lui plaisois, lui fit présent de ma personne. Voilà votre Émile esclave du dey d'Alger.

Les règles sur lesquelles j'avois à me conduire dans ce nouveau poste découloient de principes qui ne m'étoient pas inconnus: nous les avions discutés durant mes voyages; et leur application, bien qu'imparfaite et très en petit, dans le cas où je me trouvois, étoit sûre et infaillible dans ses effets. Je ne vous entretiendrai pas de ces menus détails, ce n'est pas de cela qu'il s'agit entre vous et moi. Mes succès m'attirèrent la considération de mon patron.

Assem Oglou étoit parvenu à la suprême puis sance par la route la plus honorable qui puisse y conduire ; car, de simple matelot, passant par tous les grades de la marine et de la milice, il s'étoit successivement élevé aux premières places de l'état, et, après la mort de son prédécesseur, il fut élu pour lui succéder par les suffrages unanimes des Turcs et des Maures, des gens de guerre

et des gens de loi. Il y avoit douze ans qu'il remplissoit avec honneur ce poste difficile, ayant à gouverner un peuple indocile et barbare, une soldatesque inquiète et mutine, avide de désordre et de trouble, qui, ne sachant ce qu'elle desiroit elle-même, ne vouloit que remuer, et se soucioit peu que les choses allassent mieux pourvu qu'elles allassent autrement. On ne pouvoit pas se plaindre de son administration, quoiqu'elle ne répondit pas à l'espérance qu'on en avoit conçue. Il avoit maintenu sa régence assez tranquille: tout étoit en meilleur état qu'auparavant, le commerce et l'agriculture alloient bien, la marine étoit en vigueur, le peuple avoit du pain. Mais on n'avoit point de ces opérations éclatantes....

FIN DU TOME SIXIÈME.

DES MATIÈRES

CONTENUES

DANS LES DEUX VOLUMES D'ÉMILE.

NOTA. Le tome I est le tome V de cette édition de Rousseau,
et le tome II est le VI. La lettre N désigne les notes.

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Abel (poëme d'). II, 272, n.

Académies, sont des écoles publiques de mensonge. I, 399.
Sont inutiles. II, 193.

-

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Achille, allégorie de son immersion dans le Styx. I, 33. —
Comment le poëte lui ôte le mérite de la valeur. I, 51.

Activité, surabondante dans les enfants et défaillante dans

les vieillards. I, 81.

Adolescence, signes des approches de cet âge. I, 410. -
Peut être accélérée ou retardée par l'éducation. I, 420.
- Sa fin est l'âge le plus heureux. II, 362.

Adolescents, ne doivent pas être traités en enfants. II, 131.
Instruits des mystères qu'on leur a cachés. Voyez
Émile. II, 135.

Adultère, commencement des désordres de la jeunesse.
II, 164. Ses conséquences. II, 228.

-

Affaires, comment un jeune homme peut les apprendre. Tome I, page 497. - Ceux qui ne traitent que les leurs propres s'y passionnent trop. I, 505.

Affectation d'un parler modeste, mauvaise avec les enfants. 1, 423.

Affronts déshonorants, à qui en appartient la vengeance. I, 501, n.

Age, chaque âge a ses ressorts qui le font mouvoir. II, 391. Age de force. I, 305. Son emploi. I, 308.

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Age d'or, sera toujours une chimère pour ceux qui ont le cœur et le goût gâtés. II, 489.

Age prodigieux. I, 54, n.

Agréments, objets de l'éducation des femmes par rapport au corps. II, 239.

Agrigentins. II, 201.

Ajax, eût craint Achille et défié Jupiter. I, 516.

Album des voyageurs allemands. II, 439.

Alcinous, son jardin. II, 365, n.

Alexandre. II, 144. — Croyoit à la vertu. I, 180.

Aliments solides, nourrissent mieux que les liquides. 1, 59.

Aliments des premiers hommes. I, 275.

I,

Amateurs et amatrices, comment font à Paris leurs ouvra

ges. I, 393. Exceptions. Ibid.

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Amatus Lusitanus. II, 35, n.

Ame (comment se forme l'idée de l'). II, 41.

Survit au

corps. II, 51.- Doit-elle durer toujours? II, 52. -Pourquoi unie à un corps mortel. II, 74.

Amour, exige des connoissances. I, 417.- A de meilleurs yeux que nous. Ibid. — Fixe et rend exclusif le penchant de la nature. Ibid. Passions qu'il entraîne à sa suite. I, 418. Est fondé sur des illusions. II, 159. — Son influence sur les mœurs. II, 299. Est-il susceptible de jalousie? Voyez Jalousie. - Moyens de prévenir son refroidissement dans le mariage. II, 494.

Amour de soi, principe de toutes nos passions. I, 413. —
Quelles
Toujours bon et conforme à l'ordre. Ibid.
sortes de passions en naissent. I, 415.

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