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<< Il y retourne; il le trouve, il en est bien reçu: « sa vue rappelle à l'ecclésiastique une bonne « action qu'il avoit faite; un tel souvenir réjouit toujours l'ame. Cet homme étoit naturelle«ment humain, compatissant; il sentoit les peines d'autrui par les siennes, et le bien-être << n'avoit point endurci son cœur; enfin les le❝ çons de la sagesse et une vertu éclairée avoient « affermi son bon naturel. Il accueille le jeune homme, lui cherche un gîte, l'y recommande; il partage avec lui son nécessaire, à peine suf« fisant pour deux. Il fait plus, il l'instruit, le console, il lui apprend l'art difficile de sup<< porter patiemment l'adversité. Gens à préjugés, est-ce d'un prêtre, est-ce en Italie que « vous eussiez espéré tout cela?

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« Cet honnête ecclésiastique étoit un pauvre vicaire savoyard, qu'une aventure de jeunesse «< avoit mis mal avec son évêque, et qui avoit « passé les monts pour chercher les ressources qui lui manquoient dans son pays. Il n'étoit ni << sans esprit ni sans lettres; et avec une figure « intéressante il avoit trouvé des protecteurs qui le placèrent chez un ministre pour élever son fils. Il préféroit la pauvreté à la dépendance, << et il ignoroit comment il faut se conduire chez les grands. Il ne resta pas long-temps chez * celui-ci : en le quittant il ne perdit point son << estime; et comme il vivoit sagement et se fai- soit aimer de tout le monde, il se flattoit de * rentrer en grace auprès de son évêque, et d'en

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« obtenir quelque petite cure dans les monta«gnes pour y passer le reste de ses jours. Tel « étoit le dernier terme de son ambition.

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« Un penchant naturel l'intéressoit au jeune fugitif, et le lui fit examiner avec soin. Il vit la mauvaise fortune avoit déja flétri son « cœur, que l'opprobre et le mépris avoient << abattu son courage, et que sa fierté, changée « en dépit amer, ne lui montroit dans l'injustice <«<et la dureté des hommes que le vice de leur « nature et la chimère de la vertu. Il avoit vu que la religion ne sert que de masque à l'intérêt, et le culte sacré de sauvegarde à l'hypo

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« crisie : il avoit vu, dans la subtilité des vaines disputes, le paradis et l'enfer mis pour prix à « des jeux de mots; il avoit vu la sublime et pri«mitive idée de la Divinité défigurée par les fantasques imaginations des hommes; et, trou<< vant que pour croire en Dieu il falloit renoncer « au jugement qu'on avoit reçu de lui, il prit << dans le même dédain nos ridicules rêveries et l'objet auquel nous les appliquons. Sans rien « savoir de ce qui est, sans rien imaginer sur la génération des choses, il se plongea dans sa stupide ignorance, avec un profond mépris « pour tous ceux qui pensoient en savoir plus « que lui.

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« L'oubli de toute religion conduit à l'oubli « des devoirs de l'homme. Ce progrès étoit déja plus d'à moitié fait dans le cœur du libertin. « Ce n'étoit pas pourtant un enfant mal né;

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mais l'incrédulité, la misère, étouffant peu-àle naturel, l'entraînoient rapidement à sa << perte, et ne lui préparoient que les mœurs « d'un gueux et la morale d'un athée.

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« Le mal, presque inévitable, n'étoit pas absolument consommé. Le jeune homme, avoit « des connoissances, et son éducation n'avoit " pas été négligée. Il étoit dans cet âge heureux « où le sang en fermentation commence d'é«< chauffer l'ame sans l'asservir aux fureurs des « sens. La sienne avoit encore tout son ressort. « Une honte native, un caractère timide, suppléoient à la gêne, et prolongeoient pour lui «< cette époque dans laquelle vous maintenez vo« tre élève avec tant de soins. L'exemple odieux « d'une dépravation brutale et d'un vice sans charme, loin d'animer son imagination, l'avoit « amortie. Long-temps le dégoût lui tint lieu de « vertu pour conserver son innocence; elle ne de« voit succomber qu'à de plus douces séductions.

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« L'ecclésiastique vit le danger et les ressour«ces. Les difficultés ne le rebutèrent point: il se complaisoit dans son ouvrage; il résolut de « l'achever, et de rendre à la vertu la victime qu'il «< avoit arrachée à l'infamie. Il s'y prit de loin << pour exécuter son projet : la beauté du motif << animoit son courage et lui inspiroit des moyens

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dignes de son zèle. Quel que fût le succès, il « étoit sûr de n'avoir pas perdu son temps. On « réussit toujours quand on ne veut que bien « faire.

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« Il commença par gagner la confiance du prosélyte en ne lui vendant point ses bien« faits, en ne se rendant point importun, en ne <«<lui faisant point de sermons, en se mettant toujours à sa portée, en se faisant petit pour s'égaler à lui. C'étoit, ce me semble, un spec<<< tacle assez touchant de voir un homme grave « devenir le camarade d'un polisson, et la vertu <«< se prêter au ton de la licence pour en triompher plus sûrement. Quand l'étourdi venoit « lui faire ses folles confidences et s'épancher « avec lui, le prêtre l'écoutoit, le mettoit à son «aise; sans approuver le mal il s'intéressoit à <«< tout jamais une indiscrète censure ne venoit «< arrêter son babil et resserrer son cœur ; le plai<< sir avec lequel il se croyoit écouté augmentoit « celui qu'il prenoit à tout dire. Ainsi se fit sa « confession générale sans qu'il songeât à rien « confesser.

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Après avoir bien étudié ses sentiments et «< son caractère, le prêtre vit clairement que, « sans être ignorant pour son âge, il avoit ou« blié tout ce qu'il lui importoit de savoir, et que « l'opprobre où l'avoit réduit la fortune étouffoit " en lui tout vrai sentiment du bien et du mal. « Il est un degré d'abrutissement qui ôte la vie « à l'ame; et la voix intérieure ne sait point se « faire entendre à celui qui ne songe qu'à se « nourrir. Pour garantir le jeune infortuné de << cette mort morale dont il étoit si près, il com« mença par réveiller en lui l'amour-propre et

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« l'estime de soi-même: il lui montroit un ave« nir plus heureux dans le bon emploi de ses << talents; il ranimoit dans son cœur une ardeur généreuse par le récit des belles actions d'autrui; en lui faisant admirer ceux qui les avoient faites, il lui rendoit le desir d'en faire de sem« blables. Pour le détacher insensiblement de sa « vie oisive et vagabonde, il lui faisoit faire des << extraits de livres choisis; et, feignant d'avoir besoin de ces extraits, il nourrissoit en lui le « noble sentiment de la reconnoissance. Il l'instruisoit indirectement par ces livres; il lui « faisoit reprendre assez bonne opinion de lui« même pour ne pas se croire un être inutile à << tout bien, et pour ne vouloir plus se rendre méprisable à ses propres yeux.

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Une bagatelle fera juger de l'art qu'employoit << cet homme bienfaisant pour élever insensi<< blement le cœur de son disciple au-dessus de « la bassesse sans paroître songer à son instruction. L'ecclésiastique avoit une probité si bien « reconnue et un discernement si sûr, que plu«sieurs personnes aimoient mieux faire passer «<leurs aumônes par ses mains que par celles « des riches curés des villes. Un jour qu'on lui « avoit donné quelque argent à distribuer aux « pauvres, le jeune homme eut, à ce titre, la « lâcheté de lui en demander. Non, dit-il; nous « sommes frères, vous m'appartenez, et je ne " dois pas toucher à ce dépôt pour mon usage. « Ensuite il lui donna de son propre argent au

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