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le Roi son maître feroit en sorte près de l'Empereur, qu'il abandonneroit son entreprise: ce qui réussit quelque temps après ; et pour la mort du jeune Infant, il l'assura qu'elle n'empêcheroit point l'exécution du mariage. Ils travaillèrent donc à l'ordinaire, et il y eut vingt-cinq conférences, depuis la première qui fut le 13 d'août, jusqu'à la dernière qui fut le 12 de novembre, dans laquelle les deux premiers ministres prirent congé les uns des autres pour retourner trouver leurs maîtres. Ils avoient signé la paix et le contrat de mariage le 7 de novembre, et ils se revirent une fois depuis pour se dire adieu; et comme l'hiver approchoit, et que le roi d'Espagne, vieux et incommodé, ne pouvoit pas entreprendre un voyage dans cette saison, l'exécution en fut remise au printemps. Ainsi la paix et le mariage furent conclus sans la participation du Pape; dont le cardinal fut fort aise, parce qu'il étoit mal avec lui: et cette paix fut la plus glorieuse qui eût été faite depuis Charlemagne, car le royaume de France fut agrandi, du côté des Pays-Bas, des villes de Gravelines, Bourbourg, Saint-Venant, Béthune, Hesdin, Arras, Bapaume, Lens, tout le comté de Saint-Paul, Pernes, Lillers, Quesnoy, Landrecies, Avesnes, Mariembourg, Philippeville, Montmédy, Yvois, les bailliages de Chevancy et de Marville, d'Anvillers, Thionville, et toutes leurs dépendances et juridictions; du côté d'Espagne, du Roussillon et Conflans, où il y a trois bonnes places, Perpignan, Salses et Collioure. En Italie, Pignerol fut assuré; et en Allemagne le traité de Munster fut confirmé, par lequel les évêchés de Metz, Toul et Verdun furent séparés de l'Empire,

Le

et réunis en toute souveraineté à la couronne de France, avec la ville de Moyenvic. L'Alsace, les comtés de Ferrette et de Béfort lui furent aussi cédés, avec les fortes villes de Brisach et de Philisbourg. On rendit aux Espagnols Bergues, Furnes, Dixmude, Menéene, Comines, Ypres et Oudenarde, en Flandre. Dans la Franche-Comté, Bletterand, Saint-Amour et Joux. Le prince de Condé, rétabli dans ses biens, charges et gouvernemens, restitua au Roi Hesdin, Le Catelet, Rocroy, et le château de Linchamp. En Italie, Valence et Mortare furent remis au pouvoir des Espagnols, et Verceil à celui du duc de Savoie. En Catalogne, le Port-Roses, Cap-de-Quiers, Puycerda et Urgel furent rendus au roi d'Espagne. Pour le duc de Lorraine, je n'en parle point, parce qu'il protesta contre ce que les ministres avoient réglé pour lui: ce qui sera expliqué en parlant du traité particulier qu'il fit après avec le Roi. Les Espagnols ne voulant pas que personne perdît pour les avoir servis, voyant qu'ils n'avoient pu rien obtenir pour le dédommagement du marquis de Persan, auquel on avoit ôté son régiment d'infanterie, ni du président Viole, qui étoit dépouillé de sa charge de président, leur payèrent de leur argent la valeur de leurs charges, et promirent aussi de grandes sommes au prince de Condé.

Quand le cardinal vit les principales difficultés levées, et que rien ne pouvoit plus empêcher la conclusion de la paix, il envoya le maréchal de Villeroy à Bordeaux, pour rendre compte à Leurs Majestés de l'état où étoient les choses. La Reine avoit toujours espéré que le mariage se feroit cette année: mais

voyant qu'il ne se pouvoit faire qu'au printemps, elle ne voulut pas aller à Paris passer l'hiver; et se trouvant toute portée sur les lieux où il eût fallu revenir à Pâques, elle résolut d'épargner ces grands voyages, et d'aller passer l'hiver en Languedoc, où le Roi n'avoit jamais été, espérant que sa présence feroit que les Etats, qui se devoient tenir à Toulouse, lui feroient un présent plus grand que s'il étoit absent. Dans cette pensée, après avoir demeuré six semaines à Bordeaux, Leurs Majestés en partirent le 6 d'octobre, et se mirent sur l'eau pour aller coucher à Cadillac, où le duc d'Epernon les reçut avec grande magnificence; puis par Bazas, Nérac, Lectoure, Mauvoisin et L'Isle-Jourdain, ils arrivèrent le 14 à Toulouse, où ils ne voulurent point d'entrée, et se contentèrent de recevoir les respects des capitouls et de tous les corps, chacun en particulier. Ils y attendirent les nouvelles de la signature de la paix, laquelle ne fut pas plus tôt faite, que le cardinal Mazarin partit pour aller coucher à Bayonne, d'où il s'achemina en diligence à Toulouse, pour informer Leurs Majestés de ce qui s'étoit passé à la conférence. Il y arriva le 22 de novembre, et le Roi fut au devant de lui deux lieues hors de la ville; et ayant tenu conseil sur ce qu'il y avoit à faire, on résolut de passer le reste de l'hiver à voir les provinces méridionales du royaume, attendant le printemps. Et pour montrer que le Roi ne vou. loit rien faire sans la participation de M. le duc d'Orléans son oncle, il lui dépêcha le comte de Béthune pour lui faire part du traité, et lui porter copie du contrat de mariage et de la paix. Le Roi ensuite se disposa pour aller en Provence passer les mois de

janvier et février, attendant avril, auquel le roi d'Espagne devoit partir de Madrid pour amener l'Infante. En effet, le 27 de décembre la cour fut de Toulouse coucher à Villefranche; puis par Castelnaudary à Carcassonne, d'où elle prit le chemin de Béziers et Montpellier, comme on verra l'année prochaine.

PAIX GÉNÉRALE.

[1660] Nous avons laissé, sur la fin de l'année dernière, la cour à Carcassonne: elle en partit le second jour de cette année, et par Béziers elle fut passer les Rois à Montpellier, où elle séjourna trois jours; puis elle fut coucher à Lunel, et le 9 à Nîmes, d'où le Roi ayant été voir le pont du Gard et les Arènes, deux antiquités curieuses, il en repartit, et fut passer le Rhône à Beaucaire, et coucher à Tarascon. Le lendemain 13, il fit son entrée dans Arles, sans cérémonie; et le 16 il prit le chemin d'Aix par Salon; de là, à Crau. Il arriva le 17, et y reçut les respects du corps de ville et de la cour de parlement. Il attendit en ce lieu des nouvelles de Rome, où il avoit dépêché Bartet, secrétaire du cabinet de Nîmes, pour porter au Pape deux lettres, une de lui, et l'autre du roi d'Espagne, par lesquelles ils lui faisoient part de la paix qu'ils avoient faite entre eux, et lui demandoient dispense pour le mariage du roi Très-Chrétien avec l'infante Thérèse, sa cousine germaine. A son arrivée à Rome, il alla trouver le cardinal Antoine, lequel assembla tous les cardinaux de la faction française, et leur communiqua les

ordres du Roi. Don Louis-Ponce de Léon, ambassadeur d'Espagne, assembla aussi chez lui ceux de la faction espagnole; puis les deux partis s'étant abouchés, ils envoyèrent demander audience au Pape, laquelle leur fut accordée. Ce jour-là, le cardinal Antoine partit de son palais avec les cardinaux du parti de France, et l'ambassadeur d'Espagne avec ceux de sa faction en fit de même (tous deux avec de grands cortèges de carrosses), et arrivèrent au palais du Pape, où ils lui présentèrent les lettres de Leurs Majestés. Sa Sainteté les reçut avec grande démonstration de joie ; et quoiqu'il fût un peu piqué de ce que cela s'étoit fait sans sa participation, il n'en témoigna rien; et au contraire ayant accordé la dispense, il fut en procession avec tous les cardinaux à Sainte-Marie de la Paix, où il dit la grand'messe, pour remercier Dieu de la réconciliation des deux Rois. Le cardinal Antoine, pour faire voir qu'elle étoit entière, fit un grand festin, où il convia le cardinal Chigi, neveu du Pape et ambassadeur d'Espagne, avec les cardinaux des deux factions, où on but à haute voix aux santés de Leurs Majestés Très-Chrétienne et Catholique, et à celles de leurs familles royales; puis Bartet fut renvoyé avec la dispense.

Durant le séjour du Roi à Aix, le prince de Condé y arriva. Dès qu'il eut nouvelle de la conclusion de la paix, il se disposa pour revenir en France; et ayant fait savoir son dessein au marquis de Caracène, gouverneur des Pays-Bas, il partit de Bruxelles accompagné de ce marquis, qui le fut conduire une lieue hors de la ville; et ayant pris congé de lui, il continua son voyage avec la princesse sa femme et le duc

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