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demeurant d'accord que si le mariage du Roi et de l'Infante se faisoit avec la paix, on ne devoit pas songer à elle. Mais comme tout ce qu'on propose ne réussit pas toujours, elle exigea qu'on l'assurât qu'au cas que l'affaire d'Espagne manquât, on revînt au mariage de sa fille. La Reine en convint; et le Roi signa de sa main une promesse par laquelle il s'obligeoit d'épouser la princesse de Savoie, en cas que dans un an il ne fût pas marié à l'Infante. La duchesse de Savoie se contenta de cela, et elle partit de Lyon avec ce papier le 8 de décembre. Quelques jours après, Antonio Pimentel, qui étoit caché dans Lyon, fit semblant d'arriver, et vit la Reine publiquement, et alla ensuite trouver à Milan le comte de Fuensaldagne, pour lui faire part de l'état de sa négociation. Le Roi passa le reste de l'année à Lyon, et se prépara pour retourner à Paris au commencement de la prochaine, où Pimentel se devoit rendre, avec plein pouvoir du roi d'Espagne pour traiter du mariage et de la paix.

TRÈVE GÉNÉRALE.

[1659] CETTE année commença par le départ du Roi pour retourner à Paris. Il partit de Lyon le 13 de janvier, et alla coucher à Tarare; puis par Moulins, Nevers et La Charité, il suivit le grand chemin, et arriva le 28 à Paris, où il trouva que le duc de Nemours étoit mort. Il étoit le dernier de trois frères, et en lui finit la branche de la maison de Savoie, qui avoit porté ce titre en France depuis cent quarante

ans. Le 17 de février, mourut aussi Servien, surintendant des finances; et par son décès Fouquet demeura seul surintendant. Quelque temps après, don Juan d'Autriche étant rappelé des Pays-Bas pour retourner en Espagne, envoya demander passe-port pour passer par la France : le Roi lui accorda aussitôt, et envoya le maréchal d'Aumont sur la frontière, pour le recevoir et l'amener à Paris le 9 de mars, incognito. Il fut logé au palais Mazarin, où il fut traité et servi par les officiers du Roi en viande, quoique ce fût en carême, lequel n'étoit observé par aucun Espagnol de sa suite. Il demeura trois jours à Paris sans vouloir être connu; et on le mena promener dans tous les beaux lieux de la ville. La Reine eut grande curiosité de le voir; et pour ce sujet elle s'enferma dans le Valde-Grâce, où il fut la saluer, accompagné de deux personnes seulement. Sa Majesté avoit auprès d'elle Monsieur et Mademoiselle; elle l'entretint fort longtemps, et lui témoigna qu'elle désiroit fort qu'il vît le Roi: ce qui fut remis au lendemain. On le fit entrer dans le Louvre le soir, sans cérémonie ; et il par une porte de derrière, où il ne fut vu de personne, et entra dans le cabinet de la Reine, où il y avoit peu de gens, et où le Roi vint incontinent après. Il salua Sa Majesté, la regarda fort, et admira sa belle taille et sa bonne mine. Le Roi ne se couvrit point, à cause que don Juan eût prétendu aussi de le faire, et eut toujours son chapeau sous son bras. La Reine lui fit voir les portraits de toute la maison d'Autriche, qui étoit d'un côté de son cabinet, parmi lesquels étoit celui de l'infante Marie-Thérèse et puis elle lui montra de l'autre côté ceux de la maison de

:

passa

France, et une place vide auprès du Roi, qui étoit destinée pour celle qu'il épouseroit. Don Juan voyant cela, dit galamment à la Reine que cette place étoit aisée à remplir, et qu'il n'y avoit qu'à y mettre le tableau de l'Infante, qui étoit de l'autre côté. Après avoir reçu un très-favorable accueil de Leurs Majestés, il sortit par la même porte par laquelle il étoit venu, sans rencontrer personne; et le 12 il prit la route de Madrid.

Après l'arrivée du Roi à Paris, Pimentel le suivit bientôt après, et s'arrêta quelques jours à Montargis pour recevoir des nouvelles d'Espagne; et puis il vint à Paris inconnu, où il voyoit secrètement Lyonne, et quelquefois le cardinal Mazarin. Dans ces entrevues ils ébauchèrent le traité de paix, et ils demeurèrent facilement d'accord de tous les points dont on étoit convenu à Madrid trois ans devant, lorsque Lyonne y fut. Mais les Espagnols s'opiniâtroient au rétablissement du prince de Condé en tous ses biens, honneurs, gouvernemens, charges et dignités; et prenoient cette affaire tellement à cœur, croyant qu'il y alloit de l'honneur de leur roi de ne pas abandonner un prince qui l'avoit si bien servi, ni aucun de ceux qui l'avoient suivi, qu'ils protestoient aimer mieux hasarder une partie de leurs Etats, que de faire une si grande lâcheté. Le cardinal tint ferme au contraire, disant que son maître ne pouvoit avec honneur rendre au prince, ni à ceux de son parti qui étoient rebelles comme lui, leurs charges et gouvernemens; et que tout ce qu'on pouvoit faire, en considération de la paix, étoit de leur donner abolition de leur crime, et de leur rendre simplement leur bien. On

disputa long-temps sur cet article, et on pensa rompre là-dessus; mais le comte de Fuensaldagne, qui étoit à Milan, pressoit tellement par ses lettres don Louis de ne pas prendre garde à peu de chose, et de faire la paix à quelque prix que ce fût, que ce ministre porta le Roi son maître à donner les mains à tout ce que la France voulut. Ce comte n'étoit pas propre pour la guerre, où il ne réussissoit pas bien, et avoit des talens tout contraires, plus convenables à la paix (ce qui l'obligeoit à l'appuyer si fortement); et la haine qu'il portoit au prince de Condé faisoit qu'il insistoit à le faire abandonner pour se venger de lui, sous prétexte du service de son maître, dont les affaires exigeoient qu'on fit la paix sans avoir égard aux particuliers. Don Louis de son côté, piqué de l'affront qu'il avoit reçu devant Elvas, désiroit la paix, tant par la nécessité des intérêts du Roi son maître, que pour réduire assurément le Portugal, dont il croyoit venir à bout dans six mois, quand toutes les forces d'Espagne seroient unies ensemble. Dans cette pensée, il manda à Pimentel de ne point rompre, et de ne se pas opiniâtrer pour les intérêts du prince de Condé ni ceux de son parti, que le roi d'Espagne récompenseroit si hautement, qu'ils seroient dédommagés et au-delà de la perte de leurs charges: mais surtout il le chargea d'obtenir que la France abandonnât le Portugal, et ne le pût secourir directement ni indirectement. Pimentel, selon ses ordres, parla plus froidement des intérêts du prince, et pressa pour l'abandonnement du Portugal. On eut quelque différend là-dessus : mais enfin le cardinal accorda ce point, considérant qu'il n'y avoit ancun traité fait avec le Portugal, par

lequel on ne pût s'accommoder l'un sans l'autre ; et que même on ne l'avoit jamais voulu faire, quelque instance qu'en fissent les Portugais, de peur de rendre la guerre éternelle et les deux couronnes irréconciliables. Il n'étoit pas content d'eux, en ce que durant la guerre civile ils n'avoient pas fait ce qu'ils avoient pu pour sauver la Catalogne, et pour assister la France dans ses malheurs. Il fut donc convenu entre Lyonne et Pimentel que toutes les places conquises par les Français dans les Pays-Bas leur demeureroient, excepté Ypres, Menéene, Comines, Furnes, Dixmude et Oudenarde, qui seroient rendues aux Espagnols; que le Roussillon demeureroit à la France; et le Port-Roses, Cap-de-Quiers et Puycerda seroient restitués aux Espagnols, avec tout ce que les Français tenoient delà les Pyrénées. En Italie, que Valence et Mortare leur seroient rendus, et Verceil au duc de Savoie. Que le duc de Lorraine sortiroit de prison, et qu'on lui rendroit son pays, en faisant raser Nancy : mais que le Roi garderoit le duché de Bar, Stenay, Jametz, Clermont, Dun, et un chemin de demi-lieue de large pour aller de Verdun à Metz, et de Metz en Alsace, avec une ville sur la rivière de Sarre. Que la France abandonneroit le Portugal, et pardonneroit au prince de Condé, et à tous ceux qui l'avoient suivi, lesquels pourroient revenir avec restitution de leurs biens, mais non de leurs charges et gouvernemens, qui seroient perdus pour eux; que le prince remettroit Hesdin, le Catelet et Rocroy au pouvoir du Roi, et renonceroit à toute liaison et intelligence qu'il pourroit avoir contre son service. Ces articles étant accordés, on parla du mariage, où il y eut quelque

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