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mit si fort en colère, qu'à l'heure même j'écrivis à M. de Brienne que tant qu'il ne s'étoit agi que de ma charge et de ma fortune, j'avois souffert sans murmurer; mais que je ne pouvois, sans me plaindre, ouïr dire qu'on attaquât mon innocence, et qu'on me voulût noircir auprès de la Reine, à qui en cette occasion je ne demandois que justice; la suppliant, si j'étois coupable, d'ordonner au parlement de me faire mon procès, étant prêt d'entrer en la Conciergerie toutes les fois qu'elle lui voudroit donner connoissance de mes fautes. C'étoit là le sens de ma lettre (1), qui étoit en termes un peu plus étendus.

M. de Brienne la trouvant peut-être trop hardie, ne voulut pas la montrer à la Reine, et se contenta (que je pense) d'en faire part au cardinal: qui n'étoit pas ce que je désirois de lui. Cependant le maréchal de Bassompierre voyant que tout ce qu'on m'avoit pu dire jusqu'alors ne m'avoit point fait changer de dessein, et ayant ordre de la Reine de se résoudre à se déshonorer en prenant ma charge, après tant de paroles données du contraire, étoit en d'étranges inquiétudes, et travailloit chaque jour, par mille biais différens, à me faire parler pour me rendre moins opiniâtre. Enfin, se disant extrêmement pressé par la Reine, il fit faire trois sommations à ma femme de recevoir son argent, et en donner quittance valable à la troisième. Elle ayant fait réponse qu'elle étoit prête à donner quittance pourvu qu'on lui apportât tout son argent, cela l'avoit encore mis en peine, n'ayant pas le quart de la somme : et toute sa pensée étant de consigner en papier, par la faveur de M. d'Emery, il fit de

(1) Le sens de ma lettre : Cette lettre se trouve ci-après, page 255.

mander qu'on lui montrât ma procuration; et sur le refus qu'on en fit, jugeant que ce n'étoit qu'undélai, il dit que si dans quatre jours on ne la lui montroit, il consigneroit; et dès-lors il entra en charge.

Dans cette extrémité, quoique je fusse encore dans la même pensée qu'au commencement, je trouvai tous mes amis de contraire opinion, qui me représentèrent que c'étoit perdre et ma charge et mon bien à crédit, puisque laissant consigner à l'épargne (ce qui ne se feroit qu'en papier), c'étoit jeter mon argent dans un gouffre d'où je ne le retirerois jamais; que j'aurois affaire à un vieillard, officier de la couronne et raffiné courtisan, qu'il m'étoit comme impossible de déposséder tant qu'il vivroit; et qu'à sa mort, si je ne me trouvois bien à la cour, je ne rentrerois point dans ma charge; que ma désobéissance feroit qu'on me pousseroit jusqu'au bout; et que je voyois bien que celui qu'on me mettoit en tête étoit un homme hors d'âge de pousser més ressentimens, et un fourbe qui, m'ayant manqué tant de fois de parole, se rendroit volontiers l'instrument de toutes les tyrannies qu'on voudroit exercer contre moi. Toutes ces raisons, jointes à la considération d'une femme grosse et de trois enfans que je pouvois rendre misérables par ma mort, me firent enfin céder; et je crus que, quelque raison que j'eusse dans mon dessein, le sentiment de tant de personnes prudentes et généreuses devoit être préféré au mien. Ainsi je fis dire à M. de Brienne que j'étois prêt à obéir, et à recevoir mon argent; et lui me promit, de la part de la Reine, tout ce qu'il m'avoit proposé le jour qu'il me demanda ma démission. Ensuite je donnai ma procuration à ma femme, après

avoir fait des protestations qu'on me dit me pouvoir servir quelque jour : à quoi, pour dire le vrai, je n'ai guère de confiance; et si j'ai gardé ma démission, c'a été seulement parce que je m'étois engagé dès le commencement à ne la point donner, et non pas par espérance qu'il puisse jamais arriver un assez grand changement pour m'en prévaloir. Ne m'étant jamais attaché qu'à la Reine, et me trouvant ruiné dans son esprit, je ne trouve pas de ressource tant qu'elle sera en puissance; et lorsque notre Roi sera en âge de verner lui-même, il se trouvera une si grande disproportion entre son âge et le mien, que je n'y puis jamais prétendre d'accès ni de familiarité.

gou

Les choses qui se sont passées dans mes affaires, ensuite de ce que j'ai écrit ci-dessus, ont été si connues de tout le monde, que ce seroit un discours fort ennuyeux de vouloir exagérer encore les fourbes du maréchal de Bassompierre, les foiblesses de M. de Brienne, et les longueurs et manquemens de parole des ministres. Je me suis déjà peut-être trop arrêté à des choses peu importantes: mais comme je n'ai fait cette relation que pour mes proches et mes amis trèsparticuliers, ils auront la bonté d'en excuser les défauts; et si mon discours ne leur paroît pas fort éloquent, ils le trouveront au moins plein de sincérité et de vérité. Je serai ravi s'il leur donne quelque satisfaction, et aurai obtenu la principale fin que je me suis proposée, s'ils connoissent qu'en beaucoup de choses j'ai été plus malheureux qu'imprudent; et que dans celles où j'ai manqué, c'a été par des principes de générosité et de fidélité dont je ne me départirai jamais, quoiqu'ils ne m'aient pas bien succédé.

LETTRE

DE M. DE LA CHATRE A M. DE BRIENNE.

MONSIEUR,

Tant que le malheur ne s'est attaqué qu'à ma fortune, et que j'ai cru n'avoir rien à appréhender que la perte de ma charge, j'ai souffert ma disgrâce sans murmure, et me suis résolu sans peine à attendre qu'un temps plus favorable me donnât lieu d'espérer plus d'avantage. Mais maintenant que j'apprends qu'on en veut à mon innocence, et qu'on essaie de ruiner dans l'esprit de la Reine le peu de bonne opinion que j'avois souhaité de m'y acquérir, j'avoue que je n'ai pas assez de constance pour endurer un si rude choc sans me plaindre. Vous me connoissez assez, monsieur, pour savoir que l'intérêt ne m'a jamais fait agir : je n'ai cherché dans mes actions que de l'honneur, et en ai mis le plus haut point à pouvoir être estimé de la seule personne à qui je dédiois tous mes services. Jugez par là combien je dois être sensible à l'injure qu'on me fait de me vouloir noircir auprès d'elle, et trouvez bon, s'il vous plaît, que je vous supplie trèshumblement de dire à Sa Majesté qu'en toute autre occasion je recevrai ses grâces avec le respect auquel je suis obligé; mais qu'en celle-ci je ne lui demande que justice. Si je suis coupable envers elle, ou en

choses d'importance ou en bagatelles, je suis le plus criminel homme du royaume, et je désire avec passion que le parlement examine mes fautes, et les punisse. Pour ce sujet, je suis prêt d'entrer dans la Conciergerie toutes les fois qu'il lui plaira de me faire faire mon procès, me sentant si innocent que je n'en puis redouter l'issue. Et quand même la fin m'en pourroit être funeste, je pense que je ne l'appréhenderois pas dans le désespoir où je suis présentement, croyant n'avoir plus rien à perdre au monde, puisque la Reine a perdu la créance qu'elle a eue autrefois de ma fidélité. J'attends de l'honneur de votre amitié que vous me ferez la grâce de lui témoigner mes tristes sentimens; et c'est le meilleur office que puisse espérer de vous,

Monsieur,

Votre, etc.

FIN DES MÉMOIRES DE LA CHATRE.

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