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NOTICE.

Il n'a pas tenu à Grimarest qu'il ne soit resté de l'incertitude sur l'époque des premières représentations de l'Avare, Son erreur, qui se trahissait déjà par l'invraisemblance et par des contradictions, est aujourd'hui positivement démontrée. Aussi ne vaudrait-il guère la peine de la relever, si elle n'avait, pendant un temps, trouvé quelque crédit, et si l'on n'y reconnaissait la trace d'une tradition, plutôt, ce semble, défigurée qu'entièrement fausse, d'après laquelle l'Avare aurait tardé à prendre sur la scène sa place légitime. Grimarest veut que, pour faire accepter cette belle œuvre, Molière ait dû s'y prendre à deux fois, et qu'au temps où il la produisit d'abord, il ait eu peine à la soutenir jusqu'à la septième représentation. Tout le mal serait venu de la prose qui, dans une comédie, semblait alors une énormité. Un duc de (Grimarest tait son nom) avait dit : « Molière est-il fou, et nous prend-il pour des benêts, de nous faire essuyer cinq actes de prose? » Le biographe ajoute : « Mais Molière fut bien vengé de ce public injuste et ignorant quelques années après : il donna son Avare, pour la seconde fois, le 9° septembre 1668; on y fut en foule1. >> Si l'on ne suppose pas un lapsus de la plume de Grimarest, si ce n'est pas quelques mois après qu'il a voulu dire, comment n'a-t-il pas compris qu'avec ses quelques années il nous faisait un conte étrange? Tout cela d'ailleurs était écrit avec tant de négligence, qu'on lit un peu plus loin 2: « Après que Molière eut repris avec succès son Avare, au mois de janvier 1668, comme je l'ai déjà dit.... » Il ne savait même plus que la date

1. La Vie de M. de Molière, p. 107 et 108.

2. Ibidem, p. 192 et 193.

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donnée tout à l'heure était celle du 9 septembre. Au lieu de se moquer d'un guide qui se déclarait ainsi lui-même si évidemment suspect, le suivre, mais seulement jusqu'à un certain point, est un moyen terme assez singulier, qu'ont pris Voltaire et Cailhava, ayant cru qu'il suffisait d'une petite correction qui sauvât la vraisemblance. Voltaire a choisi l'année 1667 pour être celle où l'Avare se montra d'abord et ne put se tenir, ayant heurté contre la pierre de scandale de la prose1. Non moins arbitrairement, Cailhava a préféré le commencement de février 16682, comme date de la condamnation dont Molière fut appelant au mois de septembre. Ce n'est pas tout à fait l'histoire de la femme bavarde de la Fontaine :

Au lieu d'un œuf, elle en dit trois :

les deux écrivains n'ont répété qu'en l'atténuant, trop confiants encore, le secret qu'ils tenaient de Grimarest; mais, comme celui de la fable, ce secret avait menti.

Dans le Registre de la Grange, qui, tenu jour par jour, n'omet rien, il n'y a trace de la comédie de l'Avare ni au mois de février 1668, ni en 1667, ni dans aucune des années précédentes. Elle est ainsi annoncée pour la première fois, et trèsexpressément comme une nouveauté :

Pièce nouvelle de M. de Molière.

Dimanche 9 septembre [1668].... Avare....

1069 # 10'

Le chiffre même de la recette est l'indice d'une curiosité que n'aurait pas éveillée une pièce déjà connue, et connue pour avoir été froidement accueillie. Mais il serait peu sage de chercher trop de preuves, quand on a déjà, dans la mention pièce nouvelle » et dans le silence antérieur du Registre, les plus décisives de toutes.

Continuons à lire le Registre il se peut que, sur le succès des représentations qui suivirent la première, il nous apprenne quelque chose, non pas tout assurément; car il restera toujours ce qui échappe à ses chiffres : ils ne peuvent nous ap

1. Voyez ci-après son Sommaire, p. 47.

2. Études sur Molière, p. 209.

3. Fable vi du livre VIII, les Femmes et le Secret.

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