Page images
PDF
EPUB

ADDITION A LA NOTE 5 DE LA PAGE 95 DE L'AVARE.

Plus une tenture de tapisserie des Amours de Gombaut et de Macée.... Ce passage a donné à la tapisserie citée par Molière une sorte de célébrité. Aussi la curiosité des chercheurs s'est-elle emparée de ce sujet et est-elle parvenue à réunir un ensemble de renseignements que nous allons résumer sommairement. La tenture de Gombaut et de Macée se composait de huit sujets ou panneaux représentant les principales scènes de la vie champêtre. Les jeux et les plaisirs des paysans font la matière des premiers tableaux; puis viennent les fiançailles, le festin de noce, et enfin la mort du héros de ce drame rustique, où Macée ne paraît que deux ou trois fois et qui pourrait s'appeler plus justement : Histoire de Gombaut. »

Sur chaque panneau, des strophes, d'une allure bien française et souvent d'une vivacité de termes qui rappelle le langage des fabliaux, offrent le commentaire de la scène représentée. Quelquefois les personnages eux-mêmes conversent entre eux. Chaque pièce compte six strophes de trois vers, suivies d'un couplet final, en cinq vers sur deux rimes, qui renferme, en quelque sorte, la moralité du sujet.

C'est de la versification fabriquée tout exprès pour l'usage des tapissiers, comme les «< Dietz moraux pour mettre en tapisserie, » de maître Henri Baude1. Par la langue, par leur forme, ces petits poèmes appartiennent à la fin du quinzième siècle, et les costumes, tels qu'ils sont reproduits sur des tentures exécutées à une époque postérieure, ne sont point en contradiction avec cette date. Mais on ne connaît aujourd'hui ni un manuscrit ni une tapisserie de cette suite, remontant aussi haut. La plus ancienne tapisserie de Gombaut et Macée signalée jusqu'à ce jour est du premier quart du seizième siècle : elle se rencontre dans un inventaire des biens de Florimond Robertet, sous la date de 1532. Toutefois les tentures qui existent encore ne peuvent pas être attribuées à une époque plus ancienne que le commencement du dix-septième siècle.

Sous Henri IV, cette églogue populaire, déjà vieille d'un siècle, reprit faveur. On lit dans Félibien : « Guyot, natif de Paris, travailloit aussi, dans le même temps (vers 1600), pour les tapissiers qui étoient aux Gobelins. Vous aurez peut-être vu des ouvrages de cette manufacture où sont représentés Gombaut et Macée.... » D'où l'on peut conclure que certaines pièces de cette suite, celles du moins qui portent la marque de la fabrique de Paris, avaient été exécutées d'après les dessins de Laurent Guyot,

1. Voyez les Poésies de Henri Baude, publiées par J. Quicherat, Paris, Aubry, in-8°, 1857.

2. Entretiens sur les vies et les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes, édition de 1725, in-12, tome III, p. 327.

Sous le même règne, la suite tout entière, peut-être celle que venait de dessiner Laurent Guyot, d'après de vieux modèles, fut gravée sur bois. Il existe, au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, dans la collection Hennin, cinq gravures représentant les derniers sujets des aventures de Gombaut. Comme le tableau où la Mort apparaît avec sa faux porte le n° vii, nul doute que la suite complète ne comptât huit sujets. Ajoutons qu'un des motifs, la scène des fiançailles, a été gravé sur cuivre à la même époque. Un exemplaire de cette estampe se trouve dans la même collection. Ni celle-ci, ni les gravures sur bois ne nomment le dessinateur ni le graveur. Ce qui précède prouve que l'histoire de Gombaut et Macée avait joui, au commencement du dix-septième siècle, par conséquent bien peu de temps avant Molière, d'une véritable popularité. Il n'est donc plus besoin, pour expliquer la mention qu'il en a faite, de supposer, avec Achille Jubinal, que notre poète possédait une de ces tapisseries dans son mobilier, hypothèse d'ailleurs détruite par la publication des Recherches d'Eud. Soulié sur Molière et sur sa famille.

Voici maintenant un fait, ignoré jusqu'ici, duquel il résulte que, du vivant même de Molière, la tapisserie de Gombaut et Macée n'était pas si dédaignée que le passage de l'Avare le donnerait à croire. Dans l'inventaire après décès du maréchal de la Meilleraye1, grand maître de l'artillerie de France, mort en 1664, on lit cet article : Une tenture de tapisserie de Gombault et Massée, contenant huit pièces, faisant vingt-cinq aulnes ou environ de cours, sur trois aulnes de hauteur, fabrique de Tours, où il y a plusieurs escriteaulx, prisée mil livres. Ce qui, pour nous, donne à cette mention un intérêt tout particulier, c'est que l'un des deux maîtres tapissiers chargés, en qualité d experts, de l'estimation du mobilier du maréchal, se nomme Jean Pocquelin. L'autre s'appelle François Henri.

Ce Jean Pocquelin est le père de Molière. Notre grand poète avait le même prénom, mais y ajoutait celui de Baptiste; un de ses frères s'appelait aussi Jean, mais était mort dès 1660, c'est-à-dire avant cet inventaire, tandis que le père ne mourut qu'en 16693.

Ici se place, par sa date, la mention faite dans l'Avare; puis, pendant plus d'un siècle, notre tapisserie n'est plus nommée nulle part. Éloi Johanneau fut le premier qui appela l'attention sur cette suite et ses légendes,

1. Cet inventaire, encore inédit, dont nous préparons en ce moment la publication, est conservé aux Archives nationales sous la cote Z, 7557.

2. Les pièces conservées à Saint-Lô mesurent uniformément 3 mètres 36 centimètres de hauteur, sur 29 mètres de cours environ. Ces dimensions se rapprochent, sans concorder exactement, des mesures de l'inventaire cité.

3. Voyez JAL, Dictionnaire critique de biographie et d'histoire, à l'article POQUELIN (LES).

4. Mélanges d'origines étymologiques et de questions grammaticales, Paris, 1818, in-8°.

en les rapprochant du passage de l'Avare. Après lui, Jubinal signala1 la tenture de neuf pièces, dont une double, qu'il avait vue au château de Laulne, près de Periers (département de la Manche). C'est cette suite qui, léguée par son propriétaire, vers 1840, à la Société archéologique de Saint-Lô, est conservée aujourd'hui au musée de la ville.

Depuis lors, M. Gariel, conservateur de la bibliothèque de Grenoble, a consacré une brochure à la description d'une pièce retrouvée par un professeur du lycée de cette ville.

Tout récemment, l'auteur de la présente note s'est occupé de la tenture de Gombaut et Macée dans son Histoire de la tapisserie française3; dans cet ouvrage sont citées les huit strophes, de cinq vers chacune, qui forment, on l'a dit, comme la conclusion ou la moralité de chaque panneau. Dans une monographie actuellement en préparation seront développés tous les points qui ne peuvent être que résumés ici; on y trouvera aussi le texte complet des légendes. L'histoire de Gombaut et de Macée paraît avoir été fréquemment copiée, au dix-septième siècle, dans les ateliers de tapisserie. M. Braquenié en possède une pièce, à la marque de Bruxelles, pour laquelle la poésie primitive a été complétement modifiée. M. Em. Peyre a trouvé dernièrement un panneau d'une exécution très-fine, à la marque de Paris; cette découverte confirme le passage de Félibien cité plus haut. On a vu que la tenture du maréchal de la Meilleraye sortait des ateliers de Tours; quant à la suite du musée de SaintLô, elle ne porte ni initiale ni monogramme; mais la grossièreté de la matière et du tissu permet d'en attribuer la fabrication à des ateliers d'un ordre inférieur, comme ceux d'Aubusson ou de Felletin*.

La suite de Saint-Lô compte neuf pièces une d'elles est répétée; de plus, une autre composition parait avoir été divisée pour fournir deux panneaux étroits; cette circonstance réduit à sept le nombre des sujets. La gravure sur bois, qui a reçu le n° vIII, où paraît la Mort sous la forme d'un squelette fauchant les humains, ne figure pas dans la tenture qui vient du château de Laulne. Peut-être ce sujet ne fut-il pas reproduit en tapisserie, comme trop lugubre pour décorer des salles de réunion. En effet, l'avant-dernière pièce de la suite gravée sur bois, ou la dernière de la suite de Saint-Lô,

1. Recherches sur l'usage et l'origine des tapisseries à personnages, Paris, Challamel, 1840, in-8° de 92 pages et 4 planches.

2. Tapisseries représentant les amours de Gombaut et Macée, Grenoble, 1863, in-8°, avec planche.

3. HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA TAPISSERIE: Tapisseries françaises, par Jules Guiffrey, Paris, Dalloz, 1878-1881, in-fol., avec de nombreuses reproductions de tapisseries.

4. S'il nous paraît inutile d'énumérer ici toutes les pièces de cette tenture signalées depuis quelque temps (on en connaît environ dix-huit ou vingt), il n'est pas sans intérêt d'indiquer au moins celles qui se trouvent dans des collections publiques. Ainsi la ville de Paris possède deux panneaux, d'une fort belle exécution, actuellement déposés au musée de l'hôtel Carnavalet.

se termine par ces vers qui peuvent très-bien servir de conclusion à ce petit drame champêtre :

Voilà comment enfin ira :

Le plaisir soudain finira;

L'homme devient malade ou vieux;

Mais, s'il peut parvenir aux cieux
Après la mort, il suffira 1.

Peut-être nous saura-t-on gré de donner à la fin de cette note un spécimen de cette poésie populaire. Nous choisissons les strophes du dernier tableau, de celui qui porte, dans la suite gravée sur bois, le n° VIII; ce tableau, comme nous venons de le dire, manque à la collection de Saint-Lô, et il a pour sujet la Mort poursuivant, la faux à la main, bergers et bergères, qui se sauvent en toute hate, abandonnant leurs moutons. Gombaut, appesanti par l'âge et la maladie, s'éloigne avec difficulté, soutenu par deux femmes. Les inscriptions sont ainsi conçues :

I.

2.

3.

4.

Hotin, nos pauvres moutons sont

Aux champs, espars; mangés seront

De ces gros loups, s'on [n']y prend garde.

Il vaut mieux que nous les laissions

Alizon, et que nous sauvions:
Danger advient à qui trop tarde.

Alons nous trois, pauvre Gombaut,
Le cœur desja quasi me faut;

Courons le mieux que nous pourrons.
Je n'en puis plus, Macée; il faut
Me soustenir jusques là haut;
Destruits par ce monstre serons.

5. Catin, voy ceste horrible beste

Qui pour nous bien fascher est preste,
Tenant en sa main une faulx.

6. Plus à craindre elle est que tempeste.

[ocr errors]

Robin, quelle effroyable teste !

Sauver vivement il nous faut.

Vous ne gagnez rien de fuyr;
Si faudra il enfin venir

Et passer par dessous mes mains.
A ce sont sujects tous humains,
Esperans aux cieux parvenir.

JULES GUIFFREY.

1. Les pièces de Saint-Lô et les autres tapisseries que nous avons pu examiner offrent de nombreuses variantes et beaucoup d'incorrections. Souvent les lettres sont retournées; souvent aussi, le tapissier, qui n'était probablement pas grand clerc, a tissé une lettre pour une autre, un E par exemple au lieu d'un C, fautes qui rendent le texte fort obscur. Quelquefois le vers est trop court d'une syllabe. Les inscriptions des gravures sur bois sont généralement plus correctes; c'est sur celle qui porte le n° vi qu'est copié le couplet de cinq vers reproduit ci-dessus.

MONSIEUR

DE POURCEAUGNAC

COMÉDIE-BALLET

FAITE A CHAMBORD, POUR LE DIVERTISSEMENT DU ROI,

AU MOIS DE SEPTEMBRE 1669,

ET REPRÉSENTÉE EN PUBLIC A PARIS, POUR LA PREMIÈRE FOIS,

[blocks in formation]
« PreviousContinue »