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LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.

LEÇONS SUR LA POÉSIE SACRÉE DES HÉBREUX; par M.LOWTH, professeur de poésie à l'Université d'Oxford, ensuite archidiacre de Winchester, et successivement évêque de Limerick, de Saint-David, d'Oxford et de Londres; traduites pour la première fois du latin en français. Deux vol. in-8°. - Prix, 10 fr., et 12 fr. 50 c. franc de port. A Lyon, chez Ballanche père et fils; à Paris, chez A.-A. Renouard, rue SaintAndré-des-Arcs, n° 55; Lenormant, rue de Seine no 8; et Brunot-Labbe, libraire de l'Université impériale, quai des Augustins.

Le traité du docteur Lowth sur la poésie des Hébreux est depuis long-tems mis au rang des bons livres. Cet ouvrage, sorti pour la première fois des presses britanniques en 1753, a été réimprimé plusieurs fois en Angleterre. Il l'a été aussi en Allemagne dès 1758, par les soins de Jean-David Michaelis, avec des notes savantes; cette édition offre même une particularité remarquable.

Lorsque Michaelis publia le premier volume de son édition, il croyait que l'auteur anglais était mort depuis deux ans, et tout en lui donnant fréquemment de grands éloges, il réfutait quelques-unes de ses opinions. Trois ans s'écoulèrent, Michaelis publia en 1761 son second volume. Il avoue lui-même l'erreur qu'il a commise en annonçant la mort de Lowth; et supposant que ce docte anglais se trouve au nombre des lecteurs de l'édition. germanique de son traité, il s'écrie: Omon lecteur illustre, Lowth, pardonne les notes que j'ai osé faire à ton ouvrage, et vois-y comme le jugement de la postérité, de cette postérité qui ne donne rien à l'amitié, ni aux passions. Les louanges qu'on accorde pendant la vie des auteurs, à leurs ouvrages, doivent être suspectes ; tw ne peux soupçonner d'adulation celles que je donne à tes

leçons, te croyant mort, et différant quelquefois d'opinions avec toi, etc.

H. Blair, W. Jones, Ch. Saxius, Laharpe, etc. ont fait l'éloge des Leçons de Lowth. Il ne s'agit donc pas de juger l'ouvrage du docteur anglais, mais de le faire connaître à nos lecteurs.

Il est divisé en trente-quatre leçons. Les deux premières peuvent être considérées comme une introduction. La leçon première traite du but et de l'utilité de la poésie.

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« On suppose d'ordinaire que la poésie a en vue ou de >> plaire, ou d'instruire; ou bien qu'elle veut produire » ces deux effets tout à-la-fois. Nous préférerions qu'on » eût établi en principe que l'utilité est toujours la fin » dernière qu'elle se propose; que l'agrément est la voie » et le moyen dont elle se sert pour y parvenir ; qu'en » un mot elle instruit à l'aide du plaisir. Telle est, en » effet, la différence qui semble distinguer le poëte et » le philosophe. Leur dessein est le même; mais le » moyen dont ils font choix pour l'exécuter est différent. >> Tous deux veulent instruire; mais celui-ci croira avoir » parfaitement rempli sa tâche, si ses leçons ont été » claires, simples et précises; celui-là, s'il y a mis de » l'agrément, un certain charme, s'il a été orné et » élégant. L'un appelle exclusivement du jugement des >> passions au tribunal de la raison : l'autre invoque bien » le secours de la raison, mais en s'appliquant à ranger » en même tems les passions à son parti. L'un nous » conduit à la vérité et à la vertu par le chemin le plus » direct ct le plus abrégé; l'autre y mène aussi, mais par >> une route plus agréable où il aime à s'arrêter, et dont » il se plaît à suivre les détours. Enfin, il appartient au » philosophe d'exposer à nos regards cette vérité, cette » vertu, avec tant de clarté que nous ne puissions les » méconnaître : le propre du poëte est de les revêtir » d'une parure qui nous les rende aimables et qui nous »engage à nous y attacher.»

Dans la seconde leçon Lowth développe l'importance du sujet qu'il a choisi, et expose le plan de son travail. « Nous suivrons, dit-il, la route que le sujet lui

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» même semble nous tracer. Dans toute composition poétique, il y a trois points principaux à considérer ; » d'abord le sujet et la manière de le traiter : quelle en » est la disposition, l'ordre et la forme générale, suivant » la différence des genres; en second lieu, l'élocution ou » le style, ce qui comprend l'élévation, la vivacité, les » ornemens des pensées, la beauté et la variété des » figures et des images, enfin, la force, la pompe, l'élé» gance des expressions; et en troisième lieu l'harmonie >> et la mesure de la versification, qui non-seulement » ont pour but le charme de l'oreille, mais qui encore » ont tant de pouvoir pour peindre les objets avec éner» gie, et exciter dans l'ame toute sorte de mouvement. »

C'est dans la troisième leçon que Lowth entre véritablement en matière. Cette troisième leçon forme seule toute la première partie, consacrée à prouver que la poésie des Hébreux était assujétie à un mètre quelconque. L'auteur convient qu'à cet égard les opinions sont partagées, et que même l'on en est réduit aux conjectures; mais il remarque que souvent les poëtes hébreux ont suivi un certain ordre, l'ordre de l'alphabet dans la lettre initiale de chaque verset ou strophe; et que les phrases ou portions de phrases sont circonscrites dans des espaces si réguliers, que souvent le nombre des mots et quelquefois même celui des syllabes d'une période est égal au nombre des mots ou des syllabes de l'autre.

Mais une autre observation plus importante et plus décisive, c'est le privilége qu'ont les poëtes seuls d'alonger ou de raccourcir quelques mots; c'est en quelque sorte un dédommagement de la gêne que leur impose la mesure. La timide langue française même n'a pas refusé cette licence à ses poëtes; cette faculté était aussi accordée aux poëtes hébreux.

En croyant pouvoir affirmer que la poésie des Hébreux était une poésie métrique, en allant même jusqu'à y trouver deux sortes de vers, Lowth convient que pour ce qui concerne la mesure réelle de ces vers, leur rhythme, leur prosedie nous sont et nous seront toujours inconnus. C'est ainsi que dans les langues qui nous sont étrangères, ou du moins peu familières, nous

distinguons la poésie de la prose, sans toutefois pouvoir dire quelles sont, dans ces langues, le caractère, les lois particulières du discours mesuré.

La seconde partie de l'ouvrage de Lowth comprend quatorze leçons; c'est la plus importante; c'est aussi celle où l'auteur montre tout son savoir et son talent. Lowth y parle successivement des différentes figures qu'on rencontre dans les poëtes hébreux. C'est un excellent traité de rhétorique; mais on doit sur-tout remarquer la leçon Xiile sur la prosopopée.

L'auteur distingue deux espèces de prosopopée.

<< Dans l'une, on personnifie des êtres d'imagination >> ou privés de raison et de sentiment; dans l'autre, on » attribue à un personnage réel un discours vraisem» blable et qui ait de la convenance. La première, placée » à propos et employée avec habileté, produit le plus » grand effet: nulle part elle n'en produit davantage que >> chez les poëtes hébreux, quoiqu'en aucune langue on » n'en ait jamais fait un usage si fréquent et si hardi.

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>> On trouve dans les livres saints beaucoup de ces » créations sublimes, et qui doivent la singulière énergie qui les distingue à la hardiesse même de la fiction » qu'elles présentent. Telle est, dans Habacuc (1), la » prosopopée de la peste marchant devant le Seigneur >> au jour de ses vengeances; dans Job (2) celle de la >> mort et de la destruction qui affirment que le nom seul » de la sagesse a frappé leurs oreilles; dans Isaïe (3) » enfin, pour ne pas accumuler les exemples, cette hor>> rible peinture de l'enfer élargissant ses gouffres dé>> vorans, et ouvrant l'immensité de sa gueule insa» tiable..

» L'autre espèce de prosopopée consiste à mettre dans » la bouche d'un personnage réel un discours conve»nable; comme la première espèce est très-propre à >> embellir le sujet et à exciter l'admiration par la nou

(1) Habacuc, III, 5.
(2) Job, XXVIII, 22.
(3) Isaïe, V, 14.

» veauté, la variété et la hardiesse qui l'accompagnent; » de même celle-ci, par l'apparence de vérité qu'elle » présente, a beaucoup de clarté, de force et d'effet......

»Si l'on veut se faire une idée de l'effet du prix et de » l'éclat singulier que la prosopopée répand sur l'ode » hébraïque, qu'on ouvre les prophéties d'Isaïe, le plus >> divin des poëtes, et l'on y trouvera réunis, dans une » composition de peu d'étendue, des modèles de toutes » les espèces de prosopopées et de tous les genres de >> sublime. >>

Ici Lowth indique par des remarques pleines de goût les beautés les plus remarquables du quatorzième chapitre d'Isaïe, et après les avoir expliquées à ses auditeurs, il termine et récapitule ainsi sa leçon:

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Quelles images! comme elles sont variées, multi>> pliées, sublimes! Avec quelle force elles s'élèvent ! Quelle richesse de figures, d'expression, de pensées, » accumulée en un seul passage! Nous entendons tour» à-tour les Juifs, les cèdres du Liban, les ombres des » monarques, le roi de Babylone, ceux qui rencon>> trent son cadavre, enfin le Seigneur lui-même : nous » les voyons remplir chacun, comme dans un drame, » le rôle qui leur convient sous nos yeux se continue, >> une action soutenue, ou plutôt se forme une chaîne » variée d'actions différentes, mérite essentiel dans l'ode » même la plus sublime, et dont ce poëme d'Isaïe, l'un » des plus beaux monumens que nous ait transmis l'an» tiquité, nous offre le plus parfait modèle. Les person» nages y sont en grand nombre, sans que cependant il » en résulte de confusion : les fictions sont hardies sans » être forcées. Par-tout respire un génie indépendant, >> sublime et vraiment divin. Rien n'est oublié pour met>> tre le comble à la sublimité de cette composition » achevée; et s'il faut dire notre sentiment avec fran>> chise, la poésie des Grecs et des Latins ne peut rien » présenter qui l'égale ou qui s'en rapproche. »

La troisième partie de l'ouvrage de Lowth comprend dix-sept leçons, dans lesquelles l'auteur examine et développe quelles sont les différentes espèces de poëmes hébreux, et les caractères qui 'eur sont particuliers. I

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