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Je profite du peu d'espace qui me reste pour annoncer au public le recueil que M. Landon publie, tous les deux ans, à cette même époque. Ce recueil (1) qui fait suite aux annales du Musée contiendra, comme de coutume, les gravures au trait des principaux ouvrages de peinture et de sculpture exposés au salon, accompagnées d'une notice explicative des sujets, et d'un examen général.

La première livraison, qui paraît depuis quelques jours, contient six tableaux et une statue, savoir : La rentrée de l'Empereur dans l'île de Lobau, par M. Meynier. Le Couronnement de Marie de Médicis, par M. Monsian. L'assomption de la Vierge, par M. Ansiaux. Un sujet de la vie du Tasse, par M. Ducis. Une anecdote du règne de Henri II, par Mme Auzou; et la statue de Tronchet, par M. Roland.

Ce recueil convient particulièrement aux étrangers et aux personnes éloignées de la capitale, qui sont dans l'impossibilité de visiter l'exposition. S. DELPECH.

UNE SCÈNE DU DÉLUGE TRACÉE D'APRÈS LE POUSSIN.

L'ARCHANGE, ministre des jugemens rigoureux, était debout devant le trône de l'Eternel. Dès qu'il s'était approché, les chœurs des esprits célestes avaient cessé leurs chants prosternés et voilés de leurs ailes, ils attendaient en silence les ordres de celui qui règne dans les cieux.

Depuis long-tems ils s'étonnaient de la patience de Dieu à souffrir les crimes de la terre. Les hommes n'employaient plus leur intelligence qu'à former de noirs projets, qu'à exécuter d'horribles attentats. Ils avaient élevé des autels au roi des enfers, courbaient avec joie leurs têtes sous un joug si honteux, et célébraient son nom dans des chants abominables, pleins d'impiété et de blasphême.

Le jour du châtiment était venu. Dieu fit entendre sa voix, et la destruction du genre humain fut prononcée. Un seul homme s'est garanti de la corruption générale ; il sera seul réservé dans ce désastre universel. Les tempêtes,

(1) Le prix de chaque volume des annales du Musée et des Salons de 1808, 1810 et 1812, contenant chacun 72 planches, et environ pages de texte, est de 15 fr., et de 16 fr. franc de port. A Paris, au Bureau des Annales du Musée, rue de l'Université, no 19.

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les vagues qui s'élèveront au-dessus des plus hautes montagnes, respecteront l'édifice flottant où il lui est permis de se retirer avec sa famille.

L'ange s'incline profondément et va détacher son glaive suspendu à l'une des colonnes lumineuses qui soutiennent la demeure du Très-Haut. A peine sa main a-t-elle touché cette arme redoutable, que les élémens frémissent et témoignent tous ensemble leur effroi. Les enfers s'ébranlent, et cet effrayant prélude fait sourire l'archange prévaricateur: il conçoit l'horrible espérance de voir bientôt toute la nature se replonger dans le néant.

L'ange frappe le firmament, et tous les astres retentissent d'un bruit épouvantable. Les vents déploient toute leur fureur; la foudre éclate de toutes parts; les cataractes des cieux s'ouvrent, et les eaux tombent sur la terre comme des torrens. Les hommes qui jusqu'alors se reposaient si tranquillement sur leurs crimes, sont saisis de terreur à la vue des périls qu'il leur est impossible d'éviter.

Assise près du berceau de son fils, la douce et triste Mézala succombait sous le poids des douleurs qui remplissaient son ame. O nature, s'écriait-elle, quel est ton dessein en étalant cet appareil lugubre et menaçant? le soleil a pris les livrées de la mort : les nuages qui s'amoncellent autour de son disque obscurci, s'étendent dans les cieux comme de longs crèpes funèbres. Il me semble entendre, dans les airs, mille voix terribles répéter ces mots: Malheur, malheur aux pécheurs! voici le jour des vengeances.

J'ai péché, Seigneur; je me suis écartée, je le confesse, des sentiers que vous avez tracés. Combien de fois ne m'avez-vous pas sollicitée de revenir à vous! souvent en l'absence du tendre Samir, j'étais prête à écouter votre voix, à rentrer dans la maison de mon père, à lui montrer la malheureuse fille du juste Seth, portant dans ses bras le fruit de ses coupables amours, le sujet de sa honte, le fils chéri qui force son front à rougir, et qui remplit son cœur de toutes les douceurs de l'amour maternel!

Comme le tonnerre gronde! les foudres qui s'élancent à travers ces affreux nuages, éblouissent mes yeux ! j'éprouve déjà toutes les angoisses qui précédent le trépas! Dieu sévère ! je suis prête à remettre entre tes mains la vie que tu m'as prêtée, et dont j'ai profané l'usage; mais ne rends pas ma fin plus douloureuse, en l'environnant de prodiges si effroyables! n'enveloppe pas sur-tout mon fils dans la

punition que tu me prépares; et daigne épargner, s'il est possible, mon cher et fidèle Samir.

Ensuite elle tourna ses yeux humides vers le berceau de son fils. Repose, lui dit-elle, ange d'innocence, repose en paix! à ton réveil tu verras peut-être ta malheureuse mère frappée des traits d'un Dieu vengeur. Mais ton père s'approchera de ton lit: hâte-toi de lui sourire : tends lui les bras avec toutes les grâces que la nature t'a données. Il prendra soin de ton enfance; il remplacera ta mère près de toi..... Hélas! c'est pour toi seul qu'elie regrette la vie.

Ainsi parlait la douce Mézala; mais, tandis qu'elle gémissait de sa faute, et qu'elle s'accusait d'avoir attiré sur la terre un si grand fléau, ceux dont les forfaits avaient excité le plus violemment l'indignation de l'Eternel, méconnaissaient la main qui les frappait, et cherchaient à expliquer par des causes naturelles les prodiges qui, malgré tous leurs vains raisonnemens, portaient la terreur

dans leurs ames criminelles.

Cependant le désastre qui devait exterminer le genre bumain, poursuivait, avec rapidité, le cours de ses ravages. La terre trembla dans toute son étendue: des montagnes s'écroulèrent: de vastes abîmes, d'où sortaient des feux, s'ouvrirent, et furent à l'instant comblés par les eaux: Mézala, saisie d'un juste effroi, prend son enfant dans ses bras, le presse fortement contre son cœur et veut fuir; mais les eaux remplissent déjà toute la partie basse de sa demeure. Elle aperçoit dans ce moment le tendre Samir: Il vient, à l'aide d'une barque légère, joindre sa bien-aimée.

Assise dans la barque près de son ami, Mézala sentit un rayon d'espérance luire au fond de son cœur. Un doux sourire vint se placer sur sa bouche, et embellit son visage pour la dernière fois. Elle se pencha sur son fils et lui donna un baiser. Ma bien-aimée, lui dit Samir qui la considérait avec attendrissement et satisfaction, le ciel a favorisé mon heureuse audace: il guidera lui-même cette barque fragile, et nous échapperons, avec notre enfant, au grand naufrage qui semble menacer tout l'univers. Si les vents et les flots ne nous repoussent pas avec trop de violence, nous aurons bientôt atteint cette montagne qui s'élève au-dessus des nuages; et là nous attendrons en sûreté la fin de cette horrible tempête.

Mézala écoutait la voix de son ami, mais ses yeux ont parcouru la vaste mer qui porte sa faible nacelle, et son cœur a repris tout son effroi. Les cités bâties dans les

vallées, sur le bord des fleuves, sont déjà ensevelies sous les eaux; et leurs malheureux habitans, livrés au plus violent désespoir, cherchent partout un refuge. Ils montent sur les cèdres qui couvrent les montagnes; mais les cèdres se brisent, et les précipitent dans la mer. Ils gravissent à travers les rochers; mais les vagues les poursuivent impitoyablement, dans tous les lieux où ils espéraient trouver un asile. Elle voyait dans l'éloignement beaucoup de barques semblables à la sienne, qui toutes disparaissaient, après avoir flotté quelques instans sur les eaux. Les unes, poussées par un courant trop rapide, se précipitent du haut d'une cascade bouillonnante, abandonnent au fond des eaux les infortunés qui avaient mis en elles leur dernière espérance, et reparaissent brisées en mille parties. D'autres, persécutées par le vent qui a juré leur perte, sont bientôt renversées par ce redoutable ennemi, et vogaent sur la mer immense, débarrassées du poids qu'elles portaient. Errantes, sans pilote et sans guide, elles offrent, aux nombreux nageurs qui se précipitent vers elles, un appât qui flatte et suspend leur désespoir, mais qui ne servira qu'à accélérer leur perte.

Une de ces barques où s'étaient entassées un trop grand nombre de personues, passa près de la nacelle de Samir et s'engloutit au même instant. Hélas! s'écria Mézala, voilà le sort qui nous est destiné. Tous les malheureux qui luttent contre les flots, ceux que les arbres rejettent, ceux que les vagues enlèvent du sommet des rochers, se hâtent déjà de s'approcher de nous ! C'est en vain, mon bien-aimé, que tu l'éloigneras d'eux, que tu les repousseras avec ta rame; le désespoir qui les anime luttera avec trop d'avantage contre la cruelle prudence qui te défend de les secourir.

Ayant parlé ainsi, Mézala répandit un torrent de larmes dont elle inonda son fils, qu'elle couvrait de baisers. Elle voyait la mort se présenter à chaque instant à ses yeux sous mille formes différentes; et sans chercher à s'armer d'un courage inutile, elle attendait en silence que le ciel disposât de son sort, et lui offrait humblement le tribut d'un cœur soumis et repentant.

Cependant, à travers tant de périls, Samir avait si habilement conduit sa barque, qu'il avait atteint la montagne où il espérait se retirer. Ravi d'un si heureux succès, il jette un doux regard sur Mézala et l'encourage par les plus tendres paroles. Puis s'élançant de la barque, il saute légè

rement sur le rocher, tend les bras à sa bien-aimée, et reçoit d'elle l'objet de leur commune affection.

Aussitôt que cet enfant chéri est dans les bras de son père, un coup de vent repousse au loin la barque que Mézala ne songe point à diriger, et la livre de nouveau à la merci des flots. Elle tourne ses yeux vers la montagne, elle y voit tout ce qu'elle aime, elle se flatte qu'ils y sont en sûreté, et son cœur palpite de joie. Mais un revers si affreux plonge Samir dans le plus profond désespoir. Il dépose l'enfant sur le rocher pour aller à la nage au secours de sa bien-aimée; mais les eaux qui s'avancent avec furie, vont enlever cet enfant; il faut d'abord lui chercher un abri. Il gravit la montagne, et se retourne à chaque instant pour ne pas perdre de vue Mézala. Hélas! la barque qui la porte se remplit de tous les malheureux qu'il avait pris soin d'écarter, et s'engloutit bientôt après.

Les flots soutinrent un instant Mézala sur la surface des eaux, qui semblaient ne consentir qu'à regret à l'ensevelir dans leurs profonds abîmes; elle tourna les yeux vers Samir et vers son fils; les leva ensuite au ciel, pour le supplier d'oublier sa faute, et lui recommander des objets si tendrement aimés; jeta encore un regard sur la montagne, et disparut pour jamais.

Purifiée par ce terrible baptême, Mézala se présenta avec confiance devant le trône de l'Eternel, et alla se placer dans le séjour des bienheureux, auprès des ames qu'une erreur involontaire a éloignées un moment des sentiers de la justice. Eile vit bientôt arriver Samir, qui tenait encore son enfant dans ses bras. Les eaux n'avaient pas tardé à l'enlever du sommet de la montagne, mais il avait subi son destin sans laisser échapper un murmure; car, après avoir perdu sa bien-aimée, la vie n'avait plus pour lui aucun

charme.

Mme ANTOINETTE L. G*.

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