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MERCURE DE FRANCE, OCTOBRE 1812. 201 dressèrent une espèce de procès-verbal des circonstances de cet étonnant phénomène. L'Institut en fut instruit et chargea M. Biot, l'un de ses membres, d'aller sur les lieux pour y faire une plus ample information. Fourcroy et Vauquelin analysèrent avec un très-grand soin les échantillons qu'on leur soumit, et proclamèrent l'existence des aérolithes, qui n'avaient pas attendu cette décision pour menacer les habitans de la terre de les écraser. Dès-lors il s'éleva une grande contestation entre les savans pour expliquer l'origine d'une pluie aussi surprenante. Les uns entassant hypothèses sur hypothèses la trouvèrent dans les volcans de la lune : les autres n'y virent qu'une réunion et une condensation subite des gaz errans dans l'atmosphère. Cette dernière opinion a prévalu.

M. Bigot de Morogues, savant minéralogiste et auteur de plusieurs mémoires insérés dans le Journal des mines, a voulu retracer l'histoire de la chute des pierres depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours. Cette entreprise exigeait beaucoup de travail : en effet, combien n'a-t-il pas fallu feuilleter de volumes pour en extraire tout ce qui s'y trouve de relatif à un fait dont il y a eu tant d'exemples à différentes époques, dont les unes sont modernes, d'autres plus anciennes, d'autres enfin qui se perdent dans la nuit des tems! Peu de personnes eussent eu le courage de tenter une telle entreprise, et parmi celles qui l'auraient osé, il ne s'en serait trouvé qu'un très-petit nombre en état de la bien conduire. C'est un bonheur pour les sciences que M. de Morogues n'ait pas été prévenu, car il a fait un ouvrage qui ne laissé rien à désirer. Une érudition variée, une saine critique et des connaissances étendues en histoire et en physique, sont les qualités qui le distinguent. Beaucoup d'autres à sa place auraient écrit un livre médiocre qui aurait empêché d'en faire un meilleur.

M. de Morogues remonte jusqu'à la pluie de pierre dont Dieu se servit pour anéantir l'armée des cinq rois cananéens que combattait Josué. Cet événement n'était pas, ce me semble, de nature à figurer dans un ouvrage tel que celui que j'annonce, parce qu'il sort de la classe des événemens ordinaires, et n'a aucun rapport avec la chute des aérolithes, phénomènes étonnans, mais na

turels. Il en est de même de cette grêle de cailloux à l'aide de laquelle Jupiter écrasa les ennemis de son fils Hercule. Dom Calmet a prétendu que cette fable mythologique n'est qu'une parodie du miracle en faveur de Josué. J'aime mieux le croire que d'examiner jusqu'à quel point sont fondées les preuves, à l'aide desquelles le bon historien des Vampires motive une opinion que quelques personnes regarderont comme très-hasardée. M. de Morogues parle ensuite des pierres adorées dès l'antiquité la plus haute sous le nom d'Elagabale chez les Phéniciens, et de Cybèle en Phrygie. Ces pierres, disaient les prêtres, étaient tombées du ciel. Il pourrait | bien se faire que la fourberie profitant d'un événement extraordinaire, mais très-naturel, lui eût donné des causes surnaturelles pour alimenter la crédulité publique. Ainsi M. Biot est persuadé que la vénérable mère des Dieux adorée à Pessinunte, où elle était tombée, et cédée ensuite par le roi Attale aux Romains, qui la confièrent aux soins de Scipion Nasica, était une véritable Botilie. Les anciennes histoires parlent sans cesse des chutes de pierres. Arnobe dit qu'il en tomba une près des bords du fleuve Ægos-Potamos, et à la conservation de laquelle la superstition avait attaché la destinée de l'Empire romain. Tite-Live parle d'une pluie de pierres qui tomba sur le Mont Albanus, immédiatement. après la guerre des Sabins. Dom Calmet raconte que vers l'an 216, avant l'ère chrétienne, une semblable pluie eut lieu sur la même montagne, et qu'elle dura deux jours. Enfin les historiens nous apprennent qu'à diverses époques des pierres sont tombées à Aricie, à Capoue, à Rome, à Lavinium, à Amiternes, et dans la marche d'Ancône. Après avoir rapporté ces exemples, M. de Morogues fait cette judicieuse réflexion : « Atten>> dons quelque tems encore, et peut-être que beaucoup » de faits consignés dans les ouvrages des anciens, qui » naguère nous paraissaient totalement miraculeux, ne >> nous paraîtront plus aussi complétement contraires >> aux lois de la nature. >>

Nos découvertes tendent sans cesse à détruire l'accusation de mensonge qui pèse sur la mémoire de presque tous les écrivains de l'antiquité. Naguère encore on affec

tait un dédain bien ridicule lorsqu'on lisait dans leurs ouvrages le récit des chutes de pierres. Aujourd'hui des faits incontestables les ont justifiés. Il serait bien plus philosophique de douter d'un fait qui pour être extraordinaire ne répugne pas à la raison, que de le nier sans preuve; mais nier tout est, pour trop de savans, une méthode fort commode, parce qu'elle est tranchante. On croit faire preuve de génie en prononçant de prompts jugemens qu'on est incapable de motiver d'une manière plausible, et presque toujours des faits inattendus démontrent l'erreur des juges.

M. de Morogues, pour bien remplir le but qu'il s'était proposé, a divisé son Mémoire en six sections. Dans la première, il remonte à l'antiquité la plus reculée, pour venir à travers les beaux jours de la Grèce et de Rome, jusqu'au quinzième siècle, époque de la renaissance des sciences, des lettres et des arts. J'ai cité quelques-uns des faits dont se compose cette première section. La seconde commence au quinzième siècle. La chute d'une pierre arrivée en 1492 à Ensisheim, en présence de l'empereur Maximilien, est l'événement le plus important de cette période, qui finit au dix-huitième siècle. C'est en 1762 que commence la troisième section. La pierre tombée à Lucé, et analysée par Cadet et Lavoisier, ouvre la période. Plus on avance ensuite, plus on a d'exemples d'un phénomène trop longtems contesté; les renseignemens deviennent moins vagues, les détails se multiplient, et les circonstances sont mieux connues. Les annales des sciences ont conservé les dates des chutes de pierres arrivées à Aire, à Mankiréhen, à Rodach, à Fabriano, à Barbatan, à Sales, etc.; mais une chose qui surprendrait si l'opiniâtreté de l'esprit de système était moins connue, c'est que dans un intervalle de trente-six ans, où il arriva vingt chutes de pierres bien caractérisées, on en ait nié la réalité. Dans la quatrième section l'auteur raconte les faits qui ont forcé de reconnaître l'existence des aérolithes. Les pierres tombées à l'Aigle firent ouvrir les yeux aux physiciens, et le voyage de M. Biot, dont la relation a été publiée, ne laissa plus aucun doute sur la réalité du phénomène. Le récit des principales circonstances de

cet intéressant voyage, et l'exposé des travaux des plus habiles chimistes, pour reconnaître la nature des pierres tombées du ciel,, remplit toute la quatrième section du Mémoire de M. de Morogues. L'importance de cette période, eu égard aux découvertes qu'on y fit, est en raison inverse de l'espace de tems qu'elle embrasse. La cinquième section, qui commence en 1803, se termine en 1812. On y rappelle toutes les chutes de pierres dont les journaux ont fait mention, et qui paraissent être plus fréquentes, parce qu'on y donne plus d'attention. L'auteur rapporte avec soin les résultats des analyses chimiques faites pour reconnaître les principes constituans des aérolithes. Enfin, dans la dernière section sont indiquées les principales substances qu'on a présumé être tombées sur la terre, mais dont l'époque de la chute est ignorée. On trouvera dans cette section des faits quí sont de nature à faire naître le doute. Il serait cependant ridicule de les nier, mais, avant toute décision quelconque, on doit attendre que l'expérience permette de la motiver.

Cet exposé démontre tout l'intérêt de l'ouvrage de M. de Morogues; il est rédigé avec beaucoup d'ordre, et le style a le mérite trop rare de la correction et de la clarté. Avant de le lire, quelques esprits chagrins répéteront peut-être leur éternel cui bono? Je laisse à l'auteur le soin de leur répondre : « Le but que je me » suis proposé, dit-il, dans ce long Mémoire sur une » suite de faits qui ne sont plus douteux, est 1o de faire » connaître une série de chutes de pierres bien cons» tatées, plus complètes que celles qu'on a publiées jus» qu'à ce jour; 2o de distinguer ce phénomène de ceux

avec lesquels il a pu être confondů; 3° de démontrer » combien est commun un phénomène que naguère » nous regardions comme une absurdité évidente; 4o de » faire observer combien il est long et difficile de faire » croire les faits les plus certains, lorsqu'ils nous parais» sent inexplicables; et 5° de faire remarquer à com» bien d'erreurs la chute des pierres a donné lieu, et quel parti la politique a su quelquefois en retirer. » M. de Morogues a parfaitement atteint son but en remplissant avec beaucoup de talens un plan si bien tracé. J. B. B. ROQUEFORT.

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LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.

ANNALES DE L'EDUCATION, rédigées par F. Guizor. Deuxième année, Nos II-VI. A Paris, chez Lenors mant, imprimeur-libraire, rue de Seine, no 8.

Il y a long-tems que nous n'avons entretenu nos lecteurs de cet ouvrage périodique aussi instructif qu'inté→ ressant. La vérité est qu'il se recommande assez de luimême et que le nom seul du rédacteur principal suffirait pour répondre de la bonté des principes que l'on y professe, et de la solidité de l'instruction qui s'y trouve semée avec discernement et avec goût. Mme P. M. G. continue aussi à donner des preuves de la finesse de son esprit et de la justesse de ses vues dans le journal adressé par une femme à son mari sur l'éducation de ses deux filles. Il en paraît un numéro dans chaque cahier des Annales, et l'auteur, fidele à son plan de mettre les préceptes en action, rend ainsi la morale plus efficace et plus attrayante. M. le docteur Friedlaender n'est pas moins exact à donner des conseils très-judicieux pour l'éducation physique. Depuis quelque tems les Annales offrent de plus une suite de lettres sur la physique, la chimie et l'histoire naturelle, adressées, les unes ad rédacteur par un de ses amis, les autres par un père à son fils, et toutes très-propres à inspirer le goût de ces sciences dont elles font connaître les élémens. Des analyses courtes, mais substantielles, donnent une idée des nouveaux ouvrages relatifs à l'éducation. Les nouvelles qui y ont rapport sont recueillies avec soin, et l'on trouve même, dans ces derniers numéros, un morceau trèsintéressant de M. D. P. de N. sur l'éducation nationale dans les Etats-Unis de l'Amérique. Enfin des contes ou des dialogues qui mettent au jour quelque ingénieuse moralité, varient agréablement ce recueil et ajoutent beaucoup à l'intérêt qu'il présente.

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