tézume, et la destruction de l'empire des enfans du soleil, Mais nos avides mains que l'avarice inspire, Sous les coups redoublés qui troublent son silence * Plutus menace d'abord et cherche à effrayer les ravisseurs; rien ne les arrêté ; il leur cède enfin cet or qu'il voudrait en vain défendre, mais il le leur donne dans sa colère, et leur en prédit les cruels effets. Recevez dans cet or les dons de ma vengeance, Vous, riches des forfaits qu'enfantent les trésors ! Vous qui dérobez l'or, que l'or soit votre chaîne ! Qu'il soit la coupe affreuse où vous boirez les pleurs! Qu'il dévore ses ravisseurs ! Il dit, et les comblant d'une affreuse largesse (1) La présence de l'or. SE Les voilà ces bienfaits que Plutus même avoue! A ses implacables faveurs. Dès ce moment, c'est-à-dire, dès l'âge de 25 ans lorsque Le Brun était encore, pour ainsi dire, souaite et à l'école de Louis Racine, ce style plein d'audace en n même tems que d'harmonie, et quand il le faut, de dou ceur, était déjà le sien. Quoi de plus harmonieux, de plus doux, de plus Racinien que les six premières strophes ! Cependant on y voit partout l'esprit qui pense et le génie qui crée. Neptune qui enrichit Cadix en la menaçant, n'est remarquable que par la pensée; mais ces expressions: ne point troubler ton cours, pour ne point troubler le cours de ton voyage; quel doux soleil nous vit pleurer, pour quel heureux tems que celui où nous pleurions! et ce mot aussi neuf que délicieux, adressé à un jeune homme du sang de Racine: Junie et Monime, tes sœurs; et cette belle opposition entre le tilleul paisible et le pin hasardeux; et infidèle à tes larmes, comme on dit infidèle à tes sermens; et plus encore impatient des trésors, pour impatient d'acquérir les trésors; tout cela est du même style qui fut jusqu'à la fin celui de Le Brun. en Rien de plus poétiquement imaginé ni de plus fortement exprimé que la fiction de Plutus dans les quatre strophes citées ensuite. Plutus n'avait point caché, foui ses trésors, il les avait reculés dans les flancs des abîmes; nos mains ne sont pas excitées, poussées, mues par l'avarice, cette vile passion cette vile passion les inspire. Tout ce qui suit est plein de vie, de force et de mouvement. Les quatre dernières strophes sont d'un éclat de style qui frappe d'abord, et d'une nouveauté qu'il importe de remarquer. Les dons de ma vengeance, riches de forfaits, indigens de vertus, chargés de faste et de. remords; toutes expressions de cette langue hardie que le jeune auteur avait apprise à une école qui n'est point celle des rimeurs timides et routiniers. Dans la strophe suivante, l'or est non-seulement une chaîne, puis une soupe où l'on boit les pleurs, mais un tison, mais un flam B LA beau qui brûle et qui dévore. Accumulation de métaphores incohérentes, diront ici quelques censeurs, mais les connaisseurs en poésie y verront une succession de métaphores diverses qui débordent, pour ainsi dire, de l'imagination du poëte, et par esquelles il cherche à rendre tous les désordres et tous les maux dont le seul amour de l'or est la source. Une affreuse largesse, un or contagieux qui exhale l'orgueil, la discorde et l'ivresse; des faveurs implacables, et un insensé que Plutus dévoue à ses faveurs; tout cela encore une fois est, dans cette première ode, composée à vingt-cinq ans, et comme sous l'œil du maître, du même style dans lequel Le Brun a écrit pendant cinquante ans. On y voit sur-tout ces alliances imprévues de mots qu'il prodigua peut-être un peu trop dans la suite, mais qui bien employées sont une des sources les plus fécondes d'invention et de nouveauté. C'est l'effet qu'elles produisent sur les imaginations sensibles que l'auteur de cet article avait tâché de rendre, dans ces vers d'une faible épître, adressée à Le Brun il y a près de trente ans : D'un plaisir inquiet tu nous vois tressaillir C'est donc une vue entièrement fausse que de regarder Le Brun comme s'étant fait, en avançant en âge, un sys tème de style qui n'avait pas d'abord été le sien. Ce que son style a de particulier n'était pas même en lui l'effet d'un système; c'était celui d'une sorte d'instinct poétique que lui avait donné la nature, et qu'il avait développé de bonne heure par l'étude des grands poëtes anciens et des nôtres. La mémorable catastrophe du tremblement de terre de Lisbonne qui, peu de tems après, épouvanta l'Eu→ rope, lui inspira une ode (1) où l'on voit le même génie (1) L. I, od. IX, p. 25. de style et une audace qui va croissant à mesure que les sujets s'agrandissent. Quel noble et imposant début! L'orgueilleux s'est dit à lui-même : Les feux brûlent pour ma vengeance; Mortel superbe! folle argile! Dans le noir oubli du cercueil; Il est un Dieu qui t'environne, etc. Trois strophes dignes des premières représentent ce Dieu de justice et de puissance, disposant à son gré des destinées humaines, calme et immobile au milieu du bouleversement des empires et du désordre des élémens. Lisbonne se présente alors à l'imagination du poëte : il la personnifie, il lui parle selon l'usage des poëtes, et comme l'ont fait les prophêtes, qui étaient des poëtes aussi. O Lisbonne ! ô fille du Tage! O superbe reine des mers! Le tribut de ses flots amers. A tes vaisseaux impérieux; Et dans ces lointaines contrées, De nos astres même ignorées, Le dernier soleil qui t'éclaire Je ne m'arrêterai point ici à faire observer les beautés, ni à justifier quelques expressions et quelques vers que la critique froide peut attaquer, mais qui n'ont pas besoin de justification devant ceux qui sentent la poésie, ou, si j'ose le dire, à qui le sens poétique n'a pas été refusé. Dans la première de ces deux strophes, quelle image neuve, fidelle et presque vivante que celle de la Fortune qui attache ses ailes aux vaisseaux de Lisbonne ! C'est une idée ingénieuse, dans la seconde, d'avoir marqué par le signe du zodiaque l'époque de l'événement. Dans cette même strophe, ce n'est plus un hommage que la mer rend à Lisbonne, c'est l'orage qu'elle y porte en tribut, c'est un tribut d'orage qu'elle lui offre, et ce tribut ennemi attaque impétueusement ses remparts, ses remparts en sont insultés, non comme on insulte quelqu'un en l'injuriant, mais comme une troupe aguerrie insulte, attaque à découvert une ville de guerre. Dès que vous pouvez expliquer de cette manière les expressions dont un poëte lyrique s'est servi, elles n'ont rien de repréhensible; seulement elles ne sont pas de la langue commune, mais de la langue poétique, de la langue de Pindare, d'Horace, de Malherbe et de Rousseau. Dans les deux strophes suivantes, Le Brun a peint avec un désordre et un fracas admirables, l'épouvantable catastrophe où Lisbonne fut ensevelie sous ses ruines; on y peut critiquer de même, et aussi peu justement, quelques vers imitatifs où l'accumulation des mots rend |