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moins il les dirige d'une manière analogue à la pente de son esprit.

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« Voulez-vous savoir ce qui fait la plupart des bons » ménages? — La conformité des goûts et des humeurs, » sans doute. Erreur : les sens dans la jeunesse, l'ha>> bitude dans l'âge mûr, le besoin réciproque dans la » vieillesse. » — L'importance de la conformité des goûts n'est pas une erreur : si les sens suivent d'abord cette direction exclusive que l'union suppose, une certaine conformité des humeurs y contribue puissamment; et dans les engagemens contractés plus tard, quand les sens ont peu de pouvoir, et qu'il n'existe point d'habitude antérieure, cette analogie dans les inclinations fait presque seule les bons ménages. Ce qu'il faut chercher, ce n'est pas, il est vrai, la totale ressemblance des caractères, mais une même manière de voir et de sentir sur les jouissances véritables, et sur cette partie de l'ordre qui règle tout dans la vie domestique.

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«La grande difficulté dans l'éducation consiste à tenir >> les enfans dans la soumission, sans dégrader leur ca» ractère. » — N'assujétissez point l'enfant aux volontés arbitraires d'un homme, mais ayez soin de le placer dans des situations où la force des choses le subjugue naturellement; alors cette difficulté sera levée. Les hommes qui le conduisent ne doivent être que les agens de la nécessité, les ministres de l'ordre : c'est un des principes les plus féconds de l'Emile.

« Si les hommes étaient sages, ils donneraient à la » religion et à la médecine la plus grande partie du tems » que ne réclament pas les devoirs de leur état. » Au mot religion, substituez le mot morale, car la foi n'est pas universelle, et mettez l'hygiène à la tête de tout ce que l'idée de médecine comprend; alors cette pensée sera rigoureusement vraie. « Lecteur, que cette réflexion » étonne, continue M. de Levis, il y a apparemment des » choses qui vous touchent de plus près que votre ame >> et votre corps, mais aussi vous n'êtes pas sage.» « O inconséquence! l'on conduit les hommes à la » mort par la crainte. »> L'homme que, dans un tems de terreur, on mène à la mort, n'y est pas conduit par

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sa propre crainte, mais par son impuissance, et par la stupeur dont sont remplis d'autres hommes qui évitent de s'y faire conduire, du moins actuellement. C'est donc, si l'on veut, l'effet de l'égoïsme et d'une sorte de faiblesse générale qui n'aurait pas lieu si l'on en prévoyait tous les résultats; mais ce n'est point une inconséquence. On parle beaucoup des inconséquences des hommes: si l'on en voit tant, c'est, je pense, faute de rapporter avec assez de soin à des causes diverses des résultats opposés. Les contradictions humaines sont comme les caprices et lé hasard; ces mots vagues servent de réfuge à notre ignorance. On avoue communément que ce qui paraît livrẻ au hasard est produit par des causes invisibles; il faut ajouter qu'en général, l'inconséquence est imaginaire', excepté chez les sots, et que les caprices réels (car on peut aussi affecter d'en avoir), sont fondés en raison, mais d'une manière secrète, ou quelquefois trop faible."

« Un malheur, quelque grand qu'il soit, donne du >> ressort à l'énergie; mais une longue suite d'infortunes » rouille le courage et le change en résignation. » On craint alors de s'engager dans une lutte téméraire contre la nécessité même. Cette force irrésistible qui entraîne du moins les choses premières, règne autour de nous, à des distances inconnues; qui pourra déterminer où commence son empire? L'auteur avait dit auparavant: «< Ce » qu'il y a de plus difficile dans la vie, c'est de savoir » jusqu'à quel point il faut chercher à vaincre la fortune » avant que de se résigner à son sort. Céder trop tôt, » c'est lâcheté ; trop tard, c'est folie. »

La raison n'a guère de pouvoir que sur l'homme qui veut être juste. La partialité volontaire serait donc à-peuprès incurable; c'est d'ailleurs un mal évident, et il y a peu de choses utiles à dire à cet égard. M. de Levis a mieux aimé prémunir les hommes sincères, mais encore susceptibles de se préoccuper, contre l'esprit de système qui rend les sens complices de l'imagination. «N'adoptez, poursuit-il, qu'avec la plus grande circonspection les » expériences faites dans la vue de justifier une théorie.» L'impartialité est si belle et si rare que je voudrais pouvoir citer ici tout ce qu'on a dit de meilleur à ce sujet.

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Nul peut-être, en cela, n'a porté plus loin le scrupule que M. Meiners de l'université de Gottingue : sans doute il a pensé que l'on ne pouvait prescrire trop sévèrement des devoirs qui ne demandent d'autres forces que celles de la volonté. Voici ce qu'il dit' (traduction de M. Laveaux), dans la préface de son important ouvrage sur les sciences dans la Grèce : « Il faut au commencement » de chaque recherche se demander à soi-même.... si » l'on ne désire pas secrétement qu'elle ait tel ou tel ré»sultat plutôt que tel autre. Il faut examiner si nous ne » donnons pas une attention particulière à la recherche » de témoignages favorables ou défavorables à certains » peuples, à certaines assertions...... enfin, si certains >> passages importans n'excitent pas en nous une joie » plus grande que celle que nous éprouvons ordinaire»ment à la découverte des faits les plus utiles, et si la >> cause de cette joie extraordinaire ne vient pas de ce >> que nous avons trouvé dans ces passages un grand >> appui pour quelque opinion favorite, etc. >>

« Si vous avez le loisir d'écrire et que vous croyiez » avoir le talent de composer, réfléchissez beaucoup et >> lisez peu vous n'aurez que trop de mémoire. » → Pour que ce conseil, très-bon d'ailleurs, fût suivi sans inconvénient, il faudrait communiquer ses manuscrits à des personnes qui eussent au contraire cultivé leur mémoire, et qui pussent indiquer les choses déjà connues que l'on croit dire le premier, soit parce qu'on ne les a pas rencontrées ailleurs, soit parce qu'elles n'ont laissé dans la tête qu'une trace trop confuse pour que l'origine en paraisse étrangère. Comment les distinguer alors de celles qui dans un sens opposé nous trompent également, et qui ont donné lieu à cette autre réflexion de M. de Levis? « Il y a des vérités si frappantes, que >> l'on croit les reconnaître quoiqu'on les entende pour » la première fois. » Réflexion dont je dois d'autant mieux apprécier la justesse, que j'ai beaucoup de peine à me persuader qu'elle soit elle-même une pensée nouvelle. J'abandonne cette décision à ceux qui ont lu davantage, ou dont les souvenirs sont plus sûrs; et s'ils

ont la curiosité de soumettre à cet examen quelques autres passages sur lesquels je formerais un doute semblable, ils pourront s'arrêter particulièrement à ceux-ci. «On se lasse de tout, excepté du travail.-Les faiblesses » des hommes supérieurs satisfont l'envie et consolent » la médiocrité. O vous qui vous plaignez de l'ingrati>>tude, n'avez-vous pas eu le plaisir de faire du bien? >>> Il y a tant de bassesse dans la plupart des louanges, » qu'elles avilissent plus ceux qui les donnent qu'elles » n'honorent ceux qui les reçoivent.-Réprimez, vous >> aurez moins à punir.» Cette dernière maxime est d'une grande importance; eût-elle été imprimée vingt fois, il serait bon de la répéter encore.

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Les lignes que je viens de transcrire, et un trèspetit nombre d'autres, sont-elles ou ne sont-elles point des réminiscences? c'est à-peu-près une question oiseuse. M. de Levis a pu s'y tromper, mais il est plus vraisemblable que je me trompe moi-même. Si d'ailleurs ma conjecture se trouvait fondée, ce serait assurément le cas de dire, sur l'ouvrage de M. de Levis, ce qu'il dit fui-même, en partie seulement et d'une manière moins positive: Ubi plura nitent, non ego paucis offendur maculis. Quel livre d'ailleurs, même sous une forme sententieuse, pourrait ne contenir que des idées neuves dans nos siècles encore puérils et déjà vieux?

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TRADUCTION DE QUELQUES ODES DE PINDARE.

LES hommages les plus glorieux ont été rendus par l'antiquité au génie de Pindare. Alexandre, entrant en vainqueur dans Thèbes, ordonna de respecter la maison que ce poëte avait habitée. Horace le représente comme le premier des poetes lyriques, et déclare que ce serait une témérité semblable à celle d'Icare, que de vouloir l'imiter.

Pindarum quisquis studet æmulari

Jule, ceratis ope dædalea
Nititur pennis, etc.

La plupart des modernes ont souscrit à cette admiration des anciens; mais, en même tems, ils ont observé qu'il est plus difficile maintenant de sentir les beautés du poëte thébain. Une grande partie du charme qui devait naître de la cadence et de l'harmonie des vers, est perdue pour nous; les allusions aux jeux publics et à plusieurs usages contemporains, les allégories mythologiques, les traditions des âges reculés sur les premiers héros et les premiers législateurs, ne peuvent exciter de nos jours cet intérêt qu'ils devaient avoir pour les habitans d'Athènes, de Thèbes, de Corinthe, et même pour ceux de Rome, dont les souvenirs historiqués se rattachaient à plusieurs époques mémorables des fastes de la Grèce. Il naît même de ces circonstances des difficultés dans l'interprétation du texte, qui exigent des recherches pénibles, dont les résultats sont plus d'une fois insuffisans. Cependant on reconnaît et l'on retrouve encore de nos jours le génie du poëte. On admire son élan aussi hardi que sublime et soutenu, la pompe de ses expressions, la variété et la richesse de ses images, l'élévation de ses idées et de ses sentimens, et les brillantes couleurs dont il sait revêtir les grandes vérités de la philosophie et de la morale. Il est plus souvent dans les cieux que sur la terre; mais son vol n'est point téméraire, et après avoir interrogé les dieux sur le passé et sur l'avenir," sans s'égarer, il retourne parmi les mortels, pour leur donner les leçons de la sagesse, ou pour leur offrir le prix de l'adresse et du courage. Anacréon sacrifie aux graces et à l'amour. Horace est riche en détails brillans, varié dans sa marche, harmonieux dans son rhythme; mais il a moins de grandeur dans ses conceptions, et moins d'abandon dans son enthousiasme, que le poëte thébain. On voit que c'est après avoir étudié tour-à-tour Pindare, Anacréon et Horace, que Boileau a tracé le caractère de l'ode.

L'Ode avec plus d'éclat, et non moins d'énergie,
Elevant jusqu'au ciel son vol audacieux,

Entretient dans ses vers commerce avec les Dieux.

Aux athlètes dans Pise elle ouvre la barrière,

Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrière,
Mène Achille sanglant au bord du Simoïs,

Ou fait fléchir l'Escaut sous le joug de Louis.
Tantôt comme une abeille ardente à son ouvrage,
Elle s'en va de fleurs dépouiller le rivage.

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