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à l'inftant ceux qui ont les premieres places, tous eft perdu; il faut que le Peuple foit jugé par les Loix, & les Grands par la fantaisie du Prince; que la tête du dernier Sujet foit en fûreté, & celles des Bachas toujours expofée. On ne peut parler fans frémir de ces Gouvernemens monstrueux. (a)

Le Dannemarck déroge à ce principe, l'honneur y est le reffort du Gouvernement; témoins ces prééminences, ces rangs, cette Nobleffe d'origine, ces diftinctions qui font le grand mobile de toutes les parties du Corps Politique : l'ambition, loin d'y être dangereuse, y conduit fur les aîles du mérite aux poftes les plus brillans; les méchans feuls y connoiffent la crainte. Le Prince prompt à pardonner, lent à punir, n'annonce fon pouvoir que par fa clémence, quoiqu'il n'y ait peut-être point de pays où le Monarque ait moins d'occafions d'exercer cette vertu. La tête du plus grand Seigneur eft autant en fûreté que celle de l'Artifan le plus obfcur; les petits & les grands font également jugés par les Loix. On ne peut parler fans frémir des Gouvernemens defpotiques; on ne peut que vivre heureux dans le Gouvernement de Dannemarck. L'impreffion de la crainte fait le Turc efclave; l'impreffion de l'honneur fait le Danois fujet. La puiffance de nos Rois eft illimitée mais elle eft bornée par l'honneur, qui régne comme un Defpote fur le peuple & fur

eux.

IV. Dans les Etats defpotiques l'éducation eft fervile, l'extrême obéiffance fuppofe de l'ignorance dans celui qui obéit; elle en fuppofe même dans celui qui commande il n'a point à délibérer à douter, ni à raisonner, il n'a qu'à vouloir. L'éduca

(a) Tome 1, page 48.

&

tion fe réduit à mettre la crainte dans le cœur, à donner à l'efprit la connoiffance de quelques principes de Religion fort fimples. Le fçavoir y fera dangereux & l'émulation funefte. L'éducation y eft done en quelque façon nulle; il faut ôter tout afin de donner quelque chofe & commencer par faire un mauvais fujet, pour faire un bon efclave. (a).

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Reconnoît-on là le Dannemarck? A quoi bon toutes ces Académies, toutes ces Ecoles publiques fi ce n'eft à élever le cœur des Citoyens & à éclairer leur efprit? Quelle eft la deftieation de tant de Colléges fi bien dotés, fi ce n'est de répandre de plus en plus le goût du beau, du vrai & du grand. Si nos Rois vouloient établir le Defpotifine, ils fupprimeroient toutes les Fondations Littéraires. Ignorent-ils que l'ignorance fait les bons Efclcves & la culture des Arts & des Siences les bons Sujets ? Ici, comme dans les Monarchies, on apprend à l'Ecole de l'honles trois chofus auxquelles M. De MonTESQUIEU borne l'éducation du monde, maître fous qui, en quelque façon, elle commence; qu'il faut mettre dans les vertus une certaine Nobleffe, adns les mœurs une certaine franchises, dans les manieres une certaine politeffe.

neur,

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V. Quand les Sauvages de la Louisiane veulent avoir du fruit, ils coupent Parbre au pied & cueillent le fruit. Voilà le Gouvernement defpotique. (b)

Quand les Européens veulent avoir des fruits en abondance, ils arrofent l'arbre, le fument, le cultivent, le muniffent d'une haye contre les

(a) Tome I, pages 59 & 60.

(b) Tome I, page 105. Cet Article ne contient que ces belles paroles fur lefquelles il feroit aifé de compofer un Commentaire fort ample, mais qui contiendroit peut-être moins de chofes,

rigueurs de l'hyver, l'en débarraffent aux approches du Soleil vivifiant de l'été, & ils ont des fruits. Voilà le Gouvernement Danois.

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VI. A des Peuples timides, ignorans abbasus, il de faut pas beaucoup de Loix; tout y doit rouler fur deux ou trois idées ; il n'en faut donc pas de nouvelles. Quand vous inftruifez une bête vous vous donnez bien de garde de lui faire changer de maître, de leçon & d'allure; vous frappez fon cerveau par deux ou trois mouvemens, & pas davantage. Le Prince a tant de défauts qu'il faudroit craindre d'expofer au grand jour fa ftupidité naturelle; il eft caché, & l'on ignore l'état où il fe trouve. Par bonheur les hommes font tels dans ces pays, qu'ils n'ont befoin que d'un nom qui les Charles XII. étant à Bender trouvant quelque réfiftance dans le Sénat de Suede, écrivit qu'il leur enverroit une de fes bottes pour les commander: cette botte auroit commandé comme un Roi defpotique. (a)

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gouverne.

Ce feroit abufer de la patience, que de dire que ces traits ne conviennent point au Dannemarc dont les Loix fe rapportent à l'honneur & font dictées par l'amour du bien public.

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VII. Dans les Etats defpotiques la fucceffion à l'Empire ne fçauroit être fixe. La Couronne y eft élective par le Prince dans fa famille, ou hors de fa famille. En vain feroit-il établi que l'aîné fuccéderoit; le Prince en pourroit toujours choifir un autre. Le Throne eft auffi chancelant que la fucceffion eft arbitraire. (b)

En Dannemarck le. Thrône eft inébranlable. parce que la fucceffion eft fixée par une Loi fondamentale. La Couronne eft héréditaire ; c'eft la

(a) Tome I, page 105. (4) Ibid. page 115

naiffance qui donne droit au Sceptre, & un certain ordre de naiffance qui affure ce droit. Les Fils & les Freres du Roi font fes premiers Sujets, & non fes Rivaux. Sa Souveraineté ne s'étend point fur la fucceffion; c'eft par là qu'elle a commencé ; c'est là qu'elle finit.

VIII. Dans les Gouvernemens defpotiques, l'on n'eft déterminé à agir que par l'efpérance des commodités de la vie. Le Prince qui récompenfe n'a que de l'argent à donner. Les plus mauvais Empereurs Romains ont été ceux qui ont le plus donné; par exemple, CALIGULA, CLAUDE, NERON, COMMODE HELIOGABALE, & CARACALLA. Les meilleurs comme AUGUSTE, VESPASIEN, ANTONIN, MARC AURELE, PERTINAX ont été économes. Sous les bons Empereurs, l'État reprenoit fes principes; le threfor de L'HONNEUR fuppléoit aux autres threfors. (a)

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En Dannemarck, le Prince récompenfe avec de l'argent les fujets que l'interêt anime, & par des diftinctions qui affurent un état riant ceux qui font guidés par l'ambition.

IX. La févérité des peines convient au Gouver nement defpotique.

Il n'eft peut-être aucun pays au monde où les peines foient moins févéres qué dans celui-cy; la tête du moindre Citoyen eft d'un grand prix : ce n'eft qu'après un mûr examen qu'on lui ôte fon honneur, fa fortune ou fa liberté; ce n'est qu'après que la Sentence eft préfentée au Prince, qui ne la figne que lorfque la qualité du crime ne lui permet pas la clémence. Si l'on en croyoit quelques perfonnes, on établiroit des peines plus févéres contre certains crimes; ce feroit réellement un mal pour l'Etat; car l'expérience nous

(4) Tome 1, page 122.

montre que dans les pays où les peines font modérées, l'efprit du Citoyen en eft frappé comme il l'eft ailleurs par les grandes. Un fupplice cruel peut arrêter une manie épidemique, & non corriger un crime commun. Si vous envoyez au gibet un filou, un déferteur; quelle peine ordonnerez-vous contre les voleurs de grand chemin? La Rouë. Mais à quoi condamnerez-vous un empoisonneur ? Il y a des dégrés dans les crimes; il faut qu'il y en ait dans les peines. Mener les hommes par les voies extrêmes, c'eft négliger la plus grande partie des moyens que la nature & la raifon donnent pour les conduire; c'eft quelquefois être cruel, que d'être même équitablement févére. Outre qu'il feroit abfurde de conduire par la crainte des gens qu'on peut conduire par l'honneur, il feroit fouverainement injufte qu'on réprimât par des Loix févéres, qu'on effrayât par des fupplices cruels un peuple auffi doux, auffi fouple & auffi bon que le Danois. Un Législateur habile fe conforme au génie de la Nation qu'il police; un Législateur d'un efprit borné n'a égard qu'à quelques circonftances qui lui roulent dans la tête qu'arrive-t-il? De l'impreffion qu'a fait un crime fur fon cerveau il paffe à la rigueur; de la rigueur à l'indolence, & de l'indolence l'impunité. (a)

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X. Les DOTS doivent être à peu près nulles dans les Etats defpotiques, où les femmes font en

() Tome I, page 148, & Tome II, pages, & 12. C'est le triomphe de la liberté, lorsque les Loix eriminelles tirent chaque peine de la nature particuliere du crime; tout l'arbitraire ceffe, la peine ne defcend point du caprice du Législateur, mais de la nature de la chofe, & ce n'eft point l'homme qui fait violence à l'homme,

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