Page images
PDF
EPUB

ver des vérités, qu'à débrouiller le cahos des Loix, qu'à rendre raifon des exceptions, qu'à faire fentir les différences, qu'à montrer aux hommes comment ils devroient agir en leur montrant comment leurs peres ont penfé. Les morceaux qu'il a empruntés çà & là fe font convertis entre fes mains en mets délicieux, Ces pièces de rapport font jointes fi artiftement à fon Ouvrage, peuvent fi peu en être féparées, qu'elles font un enfemble parfait.

Vous voyez un homme maître de fon fujet, qui amaffe, pour ainfi dire, des matériaux, les prépare, les taille, les arrange, & bâtit fur des fondemens inébranlables un Temple magnifique à la vérité & à la vertu:

C'est un Voyageur qui Voyageur qui, après avoir fait fes provisions, se met hardiment en route, marche avec une lente rapidité, écarte tout ce qui pourroit l'éloigner de fon but, fait de temps en temps quelques écarts pour contempler les beautés de la campagne, s'arrête dans les plus belles villes qui fe trouvent fur fon paffage, rapporte toutes fes pensées, tous fes foins, tous fes pas au deffein de fon voyage, & arrive enfin au terme qu'il s'étoit propofé, où il trouve l'objet pour qui il l'avoit entrepris, je veux dire, le bonheur dans le témoignage de fa confcience; feule félicité digne de

l'homme.

Dans prefque tous les Livres modernes, l'Auteur oublie le Lecteur, & ne fonge qu'à lui-même, pense plutôt à plaire qu'à in truire, cherche plus à furprendre l'admiration qu'à éclairer l'entendement, à s'attirer des éloges qu'à les mériter; dans celui-cy, M. DE MONTESQUIEU s'ou blie lui-même, & ne fonge qu'à fon Lecteur : tous les rapports vont à l'homme, tout tend au bien de l'Univers, tout inftruit, tout porte. C'est un

édifice, dont aucune partie n'eft deftinée à l'ornement feul; mais dont les proportions de chaque partie néceffaire pour le foûtenir, font le plus bel ornement.

les

Jufqu'à préfent, les Politiques n'avoient donné que des maximès générales, fondées fur des faits mal examinés; ils ne remontoient point à la fourte. M. DE MONTESQUIEU a pris une autre rou te; il a pofé, dit-il, (a) fes principes, & il a vu les cas particuliers s'y plier d'eux-mêmes, les Hiftoires de toutes les Nations n'en être que fuites, & chaque Loi particuliere liée avec une au tre Loi ou dépendre d'une autre plus générale : rappellé à l'antiquité, il a cherché à en prendre l'efprit, pour ne pas regarder comme femblables des cas réellement différens de ceux qui paroiffent femblables, il n'a pas tiré ces principes de fes préju gés, mais de la nature des chofes.

[ocr errors]

Les Auteurs politiques n'ont écrit que pour leur Pays ou pour toute l'Europe, M. DE MONTESQUIEU a ofé écrire pour tous les peuples du monde. Il n'est point de Nation qui ne puiffe profiter de fon Livre. Il a voulu, dit-il, (b) pratiquer cette vertu générale, qui comprend l'amour de tous, en inftruifant l'homme, cet étre également capable de connoitre fa propre nature, lorsqu'on la lui montre, & d'en perdre jufqu'au fentiment, lorf qu'on la lui dérobe.

C'eft dans cet efprit de Philantropie qu'il dit fi j'avois réuffi pour que tout le monde eût de nouvelles raifons pour aimer fes devoirs, fon Prince, fa Patrie, fes Loix, qu'on put mieux fentir fon bonheur dans chaque pays & dans chaque Gou vernement, dans chaque Pofte où l'on fetrouve ; je me croirois le plus heureux des mortels (c).

(a) Préface, page vj. (b) Ibid., page ix,

(c) Ibid. page viij,

Si cet Ouvrage faifoit connoître à ceux qui com mandent & augmentent leurs connoiffances fur ce qu'ils doivent prefcrire, & que ceux qui obéiffent trouvaffent un nouveau plaifir à obéir, je me croirai très-heureux (a).

Je me croirois le plus heureux des mortels, fi je pouvois faire que les hommes pussent se guérir de leurs préjugés (b).

!

[ocr errors]

M. DE MONTESQUIEU réduit ce vœu en projet ; & ce vafte projet il l'exécute au mieux. Auffi ce Livre paffera à la poftérité la plus reculée ; que ne peut-il être lu de tous les hommes de tous les Pays que n'eft-il fur tout médité par ceux qu'une heureuse naissance destine, ou que les talens fupérieurs élevent au Gouvernement des Etats! Le Livre de l'Esprit des Loix devroit être pour le bien de l'humanité le veni mecum des Rois & de leurs Miniftres. Ceux qui font affez heureusement nés pour pénétrer d'un coup d'oeil toute la constitution d'un Etat, pour en démêler tous les refforts, pour en connoître le fort & le foible, augmenteroient leurs lumieres, pourvoiroient mieux aux abus, travailleroient plus efficacement au bonheur des peuples. Ceux à qui un génie étroit ne permettroit pas d'en profiter, deviendroient meilleurs, s'ils n'en devenoient pas plus habiles.

à ce

Voilà deformais les principes de la politique fixés, établis, développés, connus , grace fage François; la lumiere eft faite, & combien n'étoit-il pas important que les élémens de l'art de régner fuffent bien développés. Dans un temps d'ignorance, dit-il, on n'a aucun doute même lorfqu'on fait les plus grands maux ; dans un temps

(a) Préface, page viij.
(b) Ibid. page ix.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

de lumiere, on tremble encore lorfqu'on fait les plus grands biens. On fent les abus anciens, on en voit la correction; mais on voit encore les abus de la correction même ; on laiffe le mal, fi l'on craint le pire; on laiffe le bien fi l'on eft en doute du mieux. On ne regarde le parti que pour juger du tout enfemble, on examine toutes les "caufes, pour voir les résultats. (a)

[ocr errors]

Le Comte de..... dont affurément on ne peut pas plus contester les lumieres que la probité, a porté de cet Ouvrage un jugement fort avantageux en ces termes écrits fur le premier feuillet de fon exemplaire: Si j'avois un Prince à élever, je croirois remplir parfaitement mon devoir en réduisant tous mes foins à le mettre en état de lire ce Livre avec plaifir & avec fruit (b), Que les hommes feroient heureux, fous des Princes qui auroient appris & retenu qu'ils ne font que les premiers domeftiques de leurs Sujets, pour me fervir de l'expreffion fublime du Roi de Prufse.

Si les Princes étoient auffi éclairés, qu'ils pourroient, qu'ils devroient l'être, le monde, diton, en iroit-il mieux ?

[ocr errors]
[ocr errors]

Óui fans doute, dès que ceux qui gouvernent le monde, entendront bien leurs interêts (& dès qu'ils feront éclairés, ils les entendront) ils laifferont en paix le monde ne troubleront plus le repos des Etats voisins par ambition ne fouleront plus leurs fujets par avarice; ils ne trouveront leur bonheur que dans celui de leurs peuples, Voyez combien il y a peu de Princes aujourd'hui qui abusent de leur pouvoir ! on ne sçauroit montrer un Roi, dont le régne ne foit qu'une tragédie, où la scene foit enfanglantée à tous les

(a) Préface, page viij.
(6) Anti Machiavel.

Actes, comme cela étoit commun autrefois; d'où vient cette modération? d'une augmentation de lumiere, d'un progrès de connoiffances. Point de fiécle plus heureux que le nôtre, parce qu'il n'en eft aucun qui ait été mieux gouverné, il n'est le mieux gouverné, que parce qu'il a plus de mœurs ; il n'a plus de mœurs que parce qu'il eft plus éclairé. Graces à l'efprit philofophique il y a depuis cent ans cent bons Princes pour un Tyran. Replongez l'Europe dans l'ignorance, vous verrez renaître ces temps malheureux elle avoit cent Tyrans pour un bon Prince; l'abus du pouvoir eft inféparable de l'imbécillité; les cœurs font féroces, là où les efprits font incultes.

Il est donc sûr, que plus l'art de régner fera connu, plus les hommes feront heureux , parce que ceux que la nature ou la fortune deftine à F'exercer, l'exerceront bien, fi ce n'eft par grandéur d'ame, du moins par prudence; par principe de vertu, du moins par interêt; par une fuite de réfléxions, du moins par l'efprit général; par fyftême, du moins par respect humain; par goût, du moins par honneur.

A la vérité, les paffions ne feront pas déracinées le moyen ! Elles font partie de notre être ; mais leurs effets feront du moins corrigés, parce que les mœurs feront adoucies: il y aura peutêtre autant de vices, certainement beaucoup moins de crimes; alors le plaifir devient l'objet des paffions; au lieu que dans un fiécle d'ignorance elles trouvent leur plaifir dans la cruauté ; ce font des monftres déchaînés & dévorans. Par tout où la Philofophie n'a pas humanifé les cœurs, les préjugés destructeurs féduisent les plus grandes

ames..

C'est donc mériter la reconnoiffance du genre

« PreviousContinue »