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tribue aux hommes avant l'établiffement des Sociétés, ce qui ne peut leur arriver qu'après cet établiffement, qui leur fait trouver des motifs pour s'attaquer & pour fe défendre.

Au fentiment de fa foibleffe, l'Homme joindroit le fentiment de fes befoins. Ainfi une autre Loi naturelle feroit celle qui lui infpireroit de chercher à fe nourrir.

J'ai dit que la crainte porteroit les hommes à fe fuir mais les marques d'une crainte réciproque les engageroient bientôt à s'approcher. Ils y feroient portés d'ailleurs par le plaifir qu'un animal fent à l'approche d'un animal de même efpece. De plus, ce charme que les deux fexes infpirent par leur différence, augmenteroit ce plaifir; & la priere naturelle qu'ils fe font toujours l'un à l'autre, feroit une troifiéme, Loi.

Outre le fentiment que les hommes ont d'abord, ils parviennent encore à avoir des connoiffances; ainfi ils ont un fecond lien que les autres animaux n'ont pas. Ils ont donc un nouveau motif de s'unir & le defir de vivre en fociété eft. une quatriéme Loi naturelle.

ART. III. Loix pofitives.

Si-tôt que les hommes font en fociété, ils perdent le fentiment de leur foibleffe: l'égalité qui étoit entr'eux ceffe, & l'état de la guerre commence...

Chaque fociété particuliere vient à fentir fa force; ce qui produit un état de guerre de Nation à Nation. Les particuliers dans chaque fociété commencent à fentir leur force; ils cherchent à tourner en leur faveur les principaux avan tages de cette fociété, ce qui fait entre eux un état de guerre.

Ces deux fortes d'état de guerre font établir les Loix parmi les hommes. Confidérez comme habitans d'une fi grande Planette, qu'il eft néceffaire qu'il y ait dif férens Peuples; ils ont des Loix dans le rapport que ces Peuples ont entr'eux; & c'eft le DROIT DES GENS: Confidérez comme vivans dans une Société qui doit être maintenuë, ils ont des Loix dans le rapport qu'ont ceux qui gouvernent avec ceux qui font gouvernés; & c'eft le DROIT POLITIQUE. Ils en ont encore dans le rapport que tous les Citoyens ont entr'eux; & c'eft le DROIT CIVIL.

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Le Droit des Gens eft naturellement: fondé fur le principe que les diverfes

Nations doivent fe faire dans la Paix le plus de bien, & dans la Guerre le moins de mal qu'il eft poffible, fans nuire à

leurs véritables interêts.

L'objet de la Guerre, c'est la Victoire; celui de la Victoire, la Conquête; celui de la Conquête, la Confervation. De ce principe & du précédent, doivent dériver toutes les Loix qui forment le Droit des Gens.

Toutes les Nations ont un Droit des Gens; & les Iroquois même, qui mangent leurs prifonniers, en ont un. Ils envoyent & reçoivent des Ambaffades ; ils connoiffent des Droits de la Guerre & de la Paix le mal eft que ce Droit des Gens n'eft pas fondé fur les vrais principes.

Outre le Droit des Gens qui regarde toutes les Sociétés, il y a un Droit Politique pour chacune. Une Société ne sçauroit fubfifter fans un Gouvernement. La réunion de toutes les forces particulieres, dit très-bien GRAVINA, forme ce qu'on appelle l'Etat Politique.

La force générale peut être placée entre les mains d'un feul, ou entre les mains de plufieurs. Quelques-uns ont penfé que la Nature ayant établi le pouvoir paternel, le Gouvernement d'un feul étoit le plus conforme à la Nature. Mais

l'exemple du pouvoir paternel ne prouve rien. Car fi le pouvoir du pere pere a du rapport au Gouvernement d'un feul, après la mort du pere, le pouvoir des freres, ou après la mort des freres, celui des coufins germains ont du rapport au Gouvernement de plufieurs. La Puiffance Politique comprend néceffairement l'union de plufieurs familles.

Il vaut mieux dire que le Gouvernement le plus conforme à la Nature, eft celui dont la difpofition particuliere fe rapporte mieux à la difpofition du Peuple pour lequel il eft établi,

Les forces particulieres ne peuvent fe réunir, fans que toutes les volontés fe réüniffent. La réunion de ces volontés, dit encore très-bien GRAVINA, eft ce qu'on appelle l'ETAT CIVIL.

La Loi en général eft la raifon hu maine, entant qu'elle gouverne tous les Peuples de la Terre ; & les Loix Politi ques & Civiles de chaque Nation, doivent être que les cas particuliers où s'applique cette raison humaine.

ne

Elles doivent être tellement propres au Peuple, pour lequel elles font faites que c'eft un très-grand hazard fi celles d'une Nation peuvent convenir à une

autre.

Il faut qu'elles fe rapportent à la na ture & au principe du Gouvernement qui eft établi, ou qu'on veut établir; foit qu'elles le forment comme font les Loix Politiques, foit qu'elles le maintiennent comme font les Loix Civiles.

Elles doivent être relatives au phyfi que du Pays, au Climat glacé, brûlant ou tempéré, à la qualité du terrein, à sa fituation, à fa grandeur, au genre de vie des peuples, laboureurs, chaffeurs ou pafteurs; elles doivent fe rapporter au degré de liberté , que la Conftitution peut fouffrir; à la religion des habitans à leurs inclinations, à leurs richesses, à leur nombre, à leur commerce, à leurs moeurs, à leurs manieres. Enfin elles ont des rapports entr'elles, elles en ont avec. leur origine, avec l'objet du Législateur avec l'ordre des chofes fur lefquelles elles font établies: c'eft dans toutes fes vues qu'il faut les confidérer.

C'est ce que j'entreprens de faire dans. cet Ouvrage. J'examinerai tous ces rapports ils forment tous ensemble ce que. l'on appelle l'ESPRIT DES LOIX.

Je n'ai point féparé les Loix Politi-. ques des Civiles; car comme je ne traite point des Loix mais de l'Esprit des Loix, & que cet Efprit confifte dans les

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