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tout ce qu'ils ont dit pour la défense de nos droits, et forts sur la logique autant qu'imperturbables sur la dialectique. Leurs discours seront des monumens de l'art de discuter, d'éclaircir la question, réfuter les sophismes, analyser, approfondir. Courage, mes amis, courage, les ministres se moquent de nous; mais nous raisonnons bien mieux qu'eux. Il nous mettent en prison, et nous y consentons; mais nous les mettons dans leur tort, et ils y consentent aussi. Que cette poignée de protégés du général Foy nous lie, nous dépouille, nous égorge; il sera toujours vrai que nous les avons menés de la belle manière; nous leur avons bien dit leur fait, sagement toutefois, prudemment, décemment. La décence est de rigueur dans un Gouvernement constitutionnel.

Mais ce qui m'étonne de ces harangues si belles dans le Moniteur, si bien déduites, si frappantes par le raisonnement, qu'il ne semble pas qu'on puisse répliquer un mot; ce qui me surprend, c'est de voir le peu d'effet qu'elles produisent sur les auditeurs. Nos Cicérons, avec toute leur éloquence, n'ont guère persuadé que ceux qui, avant de les entendre, étaient de leur avis. Je sais la raison qu'on en donne : ventre n'a point d'oreilles, et il n'est pire sourd... Vous dirai-je ma pensée? Ce sont d'habiles gens, sages et bien disans, orateurs, en un mot; mais ils ne savent pas faire usage de l'apostrophe, une des plus puissantes machines de la rhétorique, ou n'ont pas voulu s'en servir dans le

cours de ces discussions, par civilité, je m'imagine, par ce même principe de décence, preuve de la bonne éducation qu'ils ont reçue de leurs parens; car l'apostrophe n'est pas polie; j'en demeure d'accord avec M. de Corday. Mais aussi trouvez-moi une tournure plus vive, plus animée, plus forte, plus propre à remuer une assemblée, à frapper le ministère, à étonner la droite, à émouvoir le ventre? L'apostrophe, Monsieur, l'apostrophe, c'est la mitraille de l'éloquence. Vous l'avez vu, quand Foy, artilleur de son métier... Sans l'apostrophe, je vous défre d'ébranler une majorité, lorsque son parti est bien pris. Essayez un peu d'employer, avec des gens qui ont dîné chez M. Pasquier, le syllogisme et l'enthymème. Je vous donne toutes les figures de Quintilien, tous les tropes de Dumarsais et tout le sublime de Longin; allez attaquer avec cela un M. Poyféré de Cerre. Poussez à Marcassus, poussez à Marcellus la métaphore, l'antithèse, l'hypotypose, la catachrèse; polissez votre style et choisissez vos termes; à la force du sens unissez l'harmonie infuse dans vos périodes, pour charmer l'oreille d'un préfet, ou porter le cœur d'un ministre à prendre pitié de son pays,

Vous serez étonné, quand vous serez au bout,
De ne leur avoir rien persuadé du tout.

Pas un seul ne vous écoutera ; vous verrez la droite bâiller, le ministère se moucher, le ventre aller à

ses affaires. Mais que Foy, dans ce moment de verve applaudi de toute la France, prélude une espèce d'apostrophe, sans autrement peut-être y penser, on dresse l'oreille aussitôt, l'alarme est au camp, les muets parlent, tout s'émeut; et, s'il eût continué sur ce ton (mais il aima mieux rendre hommage aux classes élevées), s'il eût pu soutenir ce style, la scène changeait; M. Pasquier, surpris comme un fondeur de cloches, eût remis ses lois dans sa poche; et moi, petit propriétaire, ici je taillerais ma vigne, sans crainte des honnêtes gens. O puissance de l'apostrophe!

C'est, comme vous savez, une figure au moyen de laquelle on a trouvé le secret de parler aux gens qui ne sont pas là, de lier conversation avec toute la nature, interroger au loin les morts et les vivans. Ou ma tous en Marathóni, s'écrie Démosthène en fureur. Cet ou ma tous est d'une grande force, et Foy l'eût pu traduire ainsi : «Non, par les morts de Waterloo, qui tombèrent avec la patrie; non, par nos blessures d'Austerlitz et de Marengo, non jamais de tels misérables..... » Vous concevez l'effet d'une pareille figure poussée jusqu'où elle peut aller, et dans la bouche d'un homme comme Foy; mais il aima mieux embrasser les auteurs de notes secrètes.

Moi, si j'eusse été là (c'est mon fort que l'apostrophe, et je ne parle guère autrement, je ne dis jamais: Nicole, apporte-moi mes pantouftes; mais je dis, ô mes pantoufles: et toi, Nicole, et toi!...),

si j'eusse été là, député des classes inférieures de mon département, quand on proposa cette question de la liberté de la presse, j'aurais pris la parole ainsi :

« Mylord Castelreagh, mêlez-vous de vos affaires; pour Dieu, Herr Metternich, laissez-nous en repos; et vous, mein lieber Hardemberg, songez à bien cuire vos saur kraut. »

Ou je me trompe, ou cette tournure eût fait effet sur l'assemblée, eût éveillé son attention, premier point pour persuader, premier précepte d'Aristote. Il faut se faire écouter, dit-il, et c'est à quoi n'ont pas pensé nos députés de gauche, à employer quelque moyen, tel qu'en fournit l'art oratoire pour avoir audience de l'assistance. Autre chose ne leur a manqué; car du langage, ils en avaient, et des raisons, ils l'ont fait voir, de l'invention et du débit, et. avec tout cela n'ont su se faire écouter, faute de quoi? d'apostrophes, de ces vives apostrophes aux hommes et aux dieux, dans le goût des anciens. Sans laisser au ventre le temps de se rendormir, j'aurais continué de la sorte:

« Excellens ministres des hautes puissances étrangères, ne vous fiez pas trop à vos amis de deçà. Ils vous en font accroire avec leurs notes secrètes; non que je les soupçonne de vouloir vous trahir. Ce sont d'honnêtes gens, fidèles, sur lesquels vous pouvez compter, dont les services vous sont acquis, et la reconnaissance assurée pour jamais, incapables de manquer à ce qu'ils vous ont promis, d'oublier

ce qu'ils vous doivent. J'entends par là seulement qu'ils s'abusent et vous trompent avec le zèle le plus pur pour vos Excellences étrangères. Venez, il y fait bon; accourez, vous disent-ils. Cette nation est lâche. Ce ne sont plus ces Français, la terreur de l'Europe, l'admiration du monde. Ils furent grands, fiers, généreux. Mais domptés aujourd'hui, abattus, mutilés, bistournés par Napoléon, ils se laissent ferrer et monter à tous venans; il n'est bât qu'ils refusent, coups dont ils se ressentent, ni joug trop humiliant pour eux. Quand d'abord nous revînmes derrière vous dans ce pays, nous les appréhendions; ce nom, cette gloire, nous en imposaient, et longtemps nous n'osâmes les regarder en face. Mais à présent nous les bravons, chaque jour nous les insultons, et non-seulement ils le souffrent, mais, le croiriez-vous, ils nous craignent; nous, que vous avez vus dans l'opprobre, la fange, rebutés partout, signalés parmi les espions, les escrocs, à toutes les polices de l'Europe, nous sommes ici l'épouvantail de ceux qui vous firent trembler; et c'est de nous qu'on les menace, lorsqu'on veut qu'ils obéissent. Venez donc, accourez; butin sûr, proie facile et tributs vous attendent; ou ne bougez; fiez-vous à nous. Avec sept hommes, nous nous chargeons de tondre et d'écorcher le Français pour votre compte, moyennant part dans la dépouille, et récompense, comme de raison.

« Voilà ce qu'ils vous mandent par M. de Montlosier. Gardez-vous de les croire, puissances étran

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