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la caisse se trouva, non comme la pénitente. Bref, l'abbé s'en alla encore cette fois; et de retour en France depuis quelques années, il y prêche les bonnes mœurs et la restitution.

LETTRE VIII.

MESSIEURS,

Véretz, 12 février 1820.

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OUS vous fâchez contre M. Decazes, et je crois que vous avez tort. Il nous méprise, dites-vous. Sans doute cela n'est pas bien. Mais d'abord, je

vous prie, d'où le pouvez-vous savoir, que M. Decazes nous méprise? quelle preuve en avez-vous? Il l'a dit. Belle raison! Vous jugez par ce qu'il dit de ce qu'il pense. En vérité vous êtes simples. Et s'il disait tout le contraire, vous l'en croiriez? Il n'en faudrait pas davantage pour vous persuader que M. le Comte nous honore, nous estime et révère, et n'a rien tant à cœur que de nous voir contens. Un homme de Cour agit-il, parle-t-il d'après sa pensée? Il l'a dit, je le veux, plusieurs fois, publiquement et en pleine assemblée, à la droite, à la gauche; eh bien? que prouve cela? qu'il entre dans ses vues, pour quelque combinaison de politique profonde que nous ignorons vous et moi, de parler de la sorte, de se don

ner pour un homme qui fait peu de cas de nous et de nos députés; qui craint Dieu et le congrès et n'a point d'autre crainte; se moque également de la noblesse et du tiers, n'ayant d'égards que pour le clergé. Voilà certainement ce qu'il veut qu'on croie de lui; mais de là à ce qu'il pense, vous ne pouvez rien conclure, ni même former de conjectures, fussiez-vous son ami intime, son confident, ou mieux, son valet de chambre. Car il n'est pas donné à l'homme de savoir ce que pense un courtisan, ni s'il pense. O altitudo!

Vous n'avez donc nulle preuve, et n'en sauriez avoir, de ces sentimens que vous attribuez au premier ministre; mais quand vous en auriez, quand nous serions certains (comme, à vous dire vrai, j'y vois de l'apparence) que M. Decazes au fond n'a pas pour nous beaucoup de considération, faudrait-il nous en plaindre et nous en étonner? Il nous voit si petits de ces hautes régions où la faveur l'emporte, qu'à peine il nous distingue; il ne nous connaît plus; il ne se souvient plus des choses d'icibas, ni d'avoir joué à la fossette. Et, en un autre sens, M. Decazes est de la Cour; il n'est pas de Paris, de Gonesse ou de Rouen, comme par exemple nous sommes de notre pays, chacun de son village, et tous Français; mais lui: la Cour est mon pays, je n'en connais point d'autre; et, de fait, y en a-t-il d'autre? On le sait; dans l'idée de tous les courtisans, la Cour est l'univers; leur coterie, c'est le monde; hors de là, c'est néant. La

nature pour eux se borne à l'Œil-de-bœuf. La faveur, la disgrâce, le lever, le débotter, voilà les phénomènes. Tout roule là-dessus. Demandez-leur la cause du retour des saisons, du flux de l'Océan, du mouvement des sphères; c'est le petit coucher. Ainsi M. Decazes, absorbé tout entier dans la contemplation de l'étiquette, des présentations, du tabouret, des préséances, ne nous méprise pas à proprement parler. Il nous ignore.

Mais soit, je veux, pour vous satisfaire, qu'il ait dit sa pensée, comme un homme du commun, naïvement, sans détour, ainsi qu'il eût pu faire avant d'être ce qu'il est; qu'enfin il nous méprise ayant pour nous ce dédain qu'à sa place montrèrent pour la gent gouvernée Mazarin, Bonaparte, Alberoni, Dubois je lui pardonne encore, et comme moi, Monsieur, vous lui pardonnerez, si vous faites attention à ce que je vais vous dire. On juge par ce qu'on voit de ce qu'on ne voit pas; du tout par la partie que l'on a sous les yeux. Faiblesse de nos sens et de l'entendement humain! on juge d'une nation, d'une génération, de tous les hommes par ceux avec qui l'on déjeune; et ce voyageur disait, apercevant l'hôtesse: « Les femmes ici sont rousses ». Ainsi fait M. Decazes, ainsi faisons-nous tous. Cette nation qu'il méprise, nous l'estimons; pourquoi? c'est qu'à nos yeux s'offrent des gens dont la vie tout entière s'emploie à des choses louables, et de qui l'existence est fondée sur le travail, père des bonnes mœurs, la foi dans les

contrats, la confiance publique, l'observation des lois. Je vois des laboureurs aux champs dès le matin, des mères occupées du soin de leur famille, des enfans qui apprennent les travaux de leur père, et je dis (supposant qu'ils jeûnent le carême): « Il y a d'honnêtes gens. » Vous voyez à la ville des savans, des artistes, l'honneur de leur patrie, de riches fabricans, d'habiles artisans, dont l'industrie chez nous, secondée par la nature, lutte contre les taxes et les encouragemens; une jeunesse passionnée pour tous les genres d'étude et de belles connaissances, instruite, non par ses docteurs, de ce qui importe le plus à l'homme de savoir, et mieux inspirée qu'enseignée sur le véritable devoir vous n'avez garde, je crois, de mal penser des Français, de mépriser cette nation, la connaissant par là. Mais le comte Decazes, par où nous connaît-il? et que voit-il? la Cour.

Mazarin, étant Roi, disait familièrement aux grands qui l'entouraient : « Affe (dans son langage demi-trasteverin), vous m'aviez bien trompé, signori Francesi, avant que j'eusse l'honneur de vous voir comme je fais. Que je sois impiso, si je me doutai d'abord de votre caractère. Je vous trouvais un air de fierté, de courage, de générosité. Non, je ne plaisante point; je vous croyais du cœur. Je m'en souviens très-bien, quoiqu'il y ait long-temps. » Ceci est dit notable et vient à mon propos. Jules Mazzarini, arrivant de son pays avec peu d'équipage et petit compagnon, estime les

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