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juges... Ce curé est un de ceux de la Révolution; il prêta le serment et même fut grand-vicaire constitutionnel, homme qui s'est assis dans la chaire empestée; il a contre lui toute sa robe. Tout ce qui pense bien le tient dûment battu et applaudit au maire. Le procureur du Roi, sans doute ignorant cela, d'abord prit fait et cause pour l'Église outragée, dans l'ardeur de son zèle voulait couper le poing qui avait frappé l'oint; mais averti depuis, il a changé de langage, trop tard; on ne lui pardonne pas d'avoir agi et fait agir la justice dans cette affaire, sans prendre le mot des Jésuites. Messieurs les gens du Roi entre la chancellerie et la grande aumônerie, n'ont pas besogne faite, et sont en peine souvent. Le préfet mieux avisé, instruit d'ailleurs, guidé par le coadjuteur, les moines, les dévotes et les séminaristes, en appuyant son maire, et criant anathème au prêtre de Baal, a montré qu'il entend la politique du jour. Les juges... Comment faire contre un parti régnant? Ils en eurent grand'honte, et sortant de l'audience, ne regardaient personne après cette sentence. Ils ont, bien malgré eux, pauvres gens! en dépit de la clameur publique, des preuves, des témoins, condamné le plaignant aux frais et aux dépens. Le parti voulait plus; il voulait une amende que messieurs de la justice ont bravement refusée. Le battu ne paie pas l'amende; c'est quelque chose; c'est beaucoup au temps où nous vivons. Il n'en faut pas exiger plus, et ce courage aux juges pourra ne pas durer.

Le maire, ainsi vainqueur du prêtre octogénaire, après avoir battu, dans une seule personne, la danse et la Révolution, se flatte avec raison des bonnes grâces du parti puissant et gouvernant. C'est une action d'éclat dont on lui saura gré, d'autant plus qu'ayant pour tout bien une terre qui appartient à M. le marquis de Chabrillant, bien d'émigré s'il faut le dire, il semblerait intéressé à se conduire tout autrement, et ne devrait pas être ami de la contrerévolution. Mais son calcul est fin, il raisonné à merveille. Se rangeant avec ceux qui le nomment voleur, il fait rage contre ceux qui le veulent maintenir dans sa propriété, conduite très-adroite. Si ces derniers triomphent, la révolution demeure et tout ce qu'elle a fait; il tient le marquisat, se moque du marquis. Les autres l'emportant, il pense mériter non-seulement sa grâce et de n'être pas pendu, mais récompense, emploi, et peut-être, qui sait? quelque autre terre confisquée sur les libéraux lorsqu'ils seront émigrés.

ANNONCE. Paul-Louis vend sa maison de Beauregard, acquise par lui de David Bacot, huguenot, et pourtant honnête homme. La demeure est jolie, le site un des plus beaux qu'il y ait en Touraine, romantique de plus, et riche en souvenirs. Le château de la Bourdaisière se voit à peu de distance. Là furent inventées les faveurs par Babeau; là naquirent sept sœurs galantes comme leur mère et

célèbres sous le nom des sept péchés mortels, une desquelles était Gabrielle, maîtresse de ce bon roi Henri, et de tant d'autres à la fois, féaux et courtois chevaliers. Par le seigneur lui-même, père des belles filles et mari de Babeau, cette terre fut nommée un clapier de p.t...! Vieux temps, antiques mœurs! qu'êtes-vous devenus? On aura ces souvenirs par dessus le marché, en achetant Beauregard, voisin de la Bourdaisière.

On aura trente arpens de terre, vigne et pré, grande propriété sur nos rives du Cher, où tout est divisé, où se trouvent à peine deux arpens d'un tenant, susceptibles d'ailleurs de beaucoup augmenter en valeur ou en étendue, selon les chances de la guerre qui se fait maintenant en Espagne. Car si le Trappiste là-bas met l'Inquisition à la place de la Constitution, Beauregard aussitôt redevient ce qu'il était jadis, fief, terre seigneuriale, étant bâti pour cela. Tours, tourelles, colombier, girouette, rien n'y manque. Vol du chapon, jambage, cuissage, etc., nous en avons les titres. Par le triomphe du Trappiste et le retour du bon régime, la petite culture disparaît, le seigneur de Beauregard s'arrondit et s'étend, soit en achetant à bas prix les terres que le vilain ne peut plus cultiver, soit en le plaidant à Paris devant messieurs de la Grand-Chambre, tous parens ou amis des possesseurs de fiefs, soit par voie de confiscation ou autres moyens inventés et pratiqués du temps des mœurs. Toute la garenne de Beauregard, si Dieu favorise Don Antonio Mara

gnon, tout ce qui est maintenant plantation, vigne, verger, clos, jardin, pépinière se convertit en nobles landes et pays de chasse à la grande bête, seigneurie de trois mille arpens, pouvant produire par an quinze cents livres tournois, et ne payant nul impôt. Beauregard gagne en domaines, mouvances, droits seigneuriaux, par la contre-révolution.

Si Sa Révérence, au contraire, était malmenée en Espagne, et pendue, ce qu'à Dieu ne plaise, Beauregard alors est et demeure maison, terre de vilain, et à ce titre paye l'impôt; mais la petite culture continuant sous le régime de la Révolution, par le partage des héritages et le progrès de l'industrie, nos trente arpens haussent en valeur, croissent en produits tous les ans, et quelque jour peuvent rapporter trois, quatre, cinq et six mille francs que bon nombre de gens préfèrent à quinze cens livres tournois, tout en regrettant peut-être les droits et les mille arpens honorifiques de chasse au loup. En somme, il n'y a point de meilleur placement, plus profitable ni plus sûr, quoi qu'il puisse arriver; car enfin, si faut-il que le Trappiste batte ou soit battu. Dans les deux cas Beauregard est bon et le devient encore davantage.

Pour plus amples renseignemens, s'adresser à Paul-Louis, vigneron, demeurant près ladite maison, ou château, selon qu'il en ira de la conquête des Espagnes.

AU RÉDACTEUR DE LA GAZETTE DU VILLAGE.

MONSIEUR,

Je suis.... malheureux; j'ai fâché Monsieur le maire; il me faut vendre tout et quitter le pays. C'est fait de moi, Monsieur, si je ne pars bientôt.

Un dimanche, l'an passé, après la Pentecôte, en ce temps-ci justement, il chassait aux cailles dans mon pré, l'herbe haute, prête à faucher et si belle!... C'était pitié. Moi, voyant ce manége, Monsieur, mon herbe confondue, perdue, je ne dis mot, et pourtant il m'en faisait grand mal; mais je me souvenais de Christophe, quand le maire lui prit sa fille unique, et au bout de huit jours la lui rendit gâtée. Je le fus voir alors : « Si j'étais de toi, Christophe, ma foi je me plaindrais, » lui dis-je. « Ah! me dit-il, n'est-ce pas Monsieur le maire? Pot de fer et pot de terre...» Il avait grand'raison; car il ne fait pas bon cosser avec telles gens, et j'en sais des nouvelles. Me souvenant de ce mot, je regardais et laissais Monsieur le maire fouler, fourrager tout mon pré, comme eussent pu faire douze ou quinze sangliers, quand de fortune passent Pierre Houry d'Azai, Louis Bezard et sa femme, Jean Proust, la petite Bodin, allant à l'assemblée. Pierre s'arrête,

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