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maxime de tout temps. «S'il arrive, dit Fénelon, que le prêtre fasse une faute, on doit modestement baisser les yeux et se taire. » Mais le bruit d'un acte si atroce s'étant promptement répandu, on essaya d'en jeter le soupçon sur quelque autre. Même un grand-vicaire à Grenoble, l'abbé Bochard, prêcha un sermon tout exprès sur les jugements téméraires, disant : « Mes frères, prenez garde; tel peut vous paraître coupable, qui, par son devoir, est tenu, lui en dût-il coûter et l'honneur et la vie, de celer le crime d'autrui; et la malice d'autre part est si grande en ce siècle-ci, que, pour se laver, on ne feint point de calomnier et noircir les plus gens de bien. » C'était le mari de cette femme qu'on indiquait par là comme son vrai meurtrier, et le curé comme un martyr du secret de la confession. Cette pieuse invention, soutenue de toute la cabale dévote, aurait peutêtre réussi et donné le change au public, sans le maire de Saint-Quentin, qui n'étant dévot ni dévoué, mais honnête homme seulement, par une information qu'il fit, força la justice d'agir. Le curé ne fut pas arrêté, parce que le Seigneur a dit: «Gardez de toucher à mes oints. » Condamné comme contumace, il s'est retiré en Savoie, où maintenant il passe pour un saint et fait des miracles. On vient à lui de la vallée, de la montagne, en pèlerinage; on accourt, les femmes surtout, le voir, lui demander sa bénédiction. Cette main les bénit; il leur tend cette main qu'elles baisent, femmes

et filles, sans penser, sans frémir, sachant ce qu'il a fait; car d'un lieu si voisin, personne ne l'ignore. Mais on lui pardonne beaucoup, parce qu'il a beaucoup aimé; ou peut-être il se repent, et dès lors il vaut mieux que quatre-vingt-dix neuf justes. Qu'il en confesse encore quelqu'une jeune, jolie, et qu'elle lui résiste, il en fera comme des autres, sans perdre pour cela le paradis. Saint Bon avait tué père et mère. Saint Mingrat ne tue que ses maîtresses, et ensuite fait pénitence.

Vous l'appelez hypocrite; moi je le crois dévot sincère et de bonne foi. La dévotion s'allie à tout. Lorsqu'on fait en Italie assassiner son ennemi, cela coûte vingt ou dix ducats, selon qu'on veut le damner ou qu'on ne le veut pas. Pour ne le point damner, on lui dit avant de le tuer: « Recommande ton âme à Dieu; pardonne-moi, et fais un acte de contrition. » Il dit son In manus, pardonne, et on l'égorge; va en paradis. Mais voulant le damner, on s'y prend autrement. Il faut tâcher de le trouver en péché mortel; et, pour le plus sûr, on lui dit, le poignard levé : « Renie Dieu ou je te tue.» Il renie, on le tue, et il va en enfer. Ces choses se font tous les jours, là où personne ne voudrait, pour rien au monde, avoir goûté d'un potage gras le vendredi. Voilà la dévotion vraie, naïve, non feinte, non suspecte d'hypocrisie. La morale, dit-on, est fondée là-dessus.

Ces gens sont dévots sans nul doute, et Mingrat l'est aussi, amoureux de plus, c'est-à-dire,

sujet à l'amour, qui, chez les hommes de sa robe, se tourne souvent en fureur. Un grand médecin l'a remarqué cette maladie, sorte de rage qu'il appelle érotomanie, semble particulière aux prêtres. Les exemples qu'on en a vus, assez nombreux, sont tous de prêtres catholiques, tels que celui qui massacra, comme raconte Henri Etienne, tous les habitans d'une maison, hors la personne qu'il aimait; et l'autre dont parle Buffon. Celui-là parce qu'on sut à temps le lier et le traiter, guérit; sans quoì il eût commis de semblables violences. Il a luimême écrit au long, dans une lettre qui depuis est devenue publique, l'histoire de sa frénésie, dont il explique les causes aisées à concevoir. Dévot et amoureux, jeune, confessant les filles, il voulut être chaste.

Quelle vie en effet, quelle condition que celle de nos prêtres! on leur défend l'amour, et le mariage surtout; on leur livre les femmes. Ils n'en peuvent avoir une, et vivent avec toutes familièrement c'est peu; mais dans la confidence, l'intimité, le secret de leurs actions cachées, de toutes leurs pensées. L'innocente fillette, sous l'aile de sa mère, entend le prêtre d'abord, qui bientôt l'appelant, l'entretient seul à seule; qui, premier, avant qu'elle puisse faillir, lui nomme le péché. Instruite, il la marie; mariée, la confesse encore et la gouverne. Dans ses affections, il précède l'époux, et s'y maintient toujours. Ce qu'elle n'oserait confier à sa mère, avouer à son mari,

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lui prêtre le doit savoir, le demande, le sait, et ne sera point son amant. En effet le moyen? n'est

il

pas tonsuré? il s'entend déclarer à l'oreille, tout bas, par une jeune femme, ses fautes, ses passions, ses désirs, ses faiblesses, recueille ses soupirs sans se sentir ému, et il a vingt-cinq ans.

Confesser une femme! imaginez ce que c'est. Tout au fond de l'église, une espèce d'armoire, de guérite, est dressée contre le mur exprès, où ce prêtre, non Mingrat, mais quelque homme de bien, je le veux, sage, pieux, comme j'en ai connu, homme pourtant et jeune, ils le sont presque tous, attend le soir après vêpres sa jeune pénitente qu'il aime, elle le sait; l'amour ne se cache point à la personne aimée. Vous m'arrêterez là son caractère de prêtre, son éducation, son vœu... Je vous réponds qu'il n'y a vœu qui tienne; que tout curé de village, sortant du séminaire, sain, robuste et dispos, aime sans aucun doute une de ses paroissiennes. Cela ne peut être autrement; et si vous contestez, je vous dirai bien plus, c'est qu'il les aime toutes, celles du moins de son âge; mais il en préfère une, qui lui semble, sinon plus belle que les autres, plus modeste et plus sage, et qu'il épouserait; il en ferait une femme vertueuse, pieuse, n'était le Pape. Il la voit chaque jour, la rencontre à l'église ou ailleurs, et devant elle assis aux veillées de l'hiver, il s'abreuve, imprudent! du poison de ses yeux.

Or, je vous prie, celle-là, lorsqu'il l'entend venir

le lendemain, approcher de ce confessionnal, qu'il reconnaît ses pas et qu'il peut dire, c'est elle; que se passe-t-il dans l'âme du pauvre confesseur? honnêteté, devoir, sages résolutions, ici servent de peu, sans une grâce du ciel toute particulière. Je le suppose un saint; ne pouvant fuir, il gémit apparemment, soupire, se recommande à Dieu; mais si ce n'est qu'un homme, il frémit, il désire, et déjà malgré lui, sans le savoir peut-être, il espère. Elle arrive, se met à ses genoux, lui dont le cœur saute et palpite. Vous êtes jeune, Monsieur, ou vous l'avez été; que vous semble entre nous d'une telle situation? Seuls, la plupart du temps, et n'ayant pour témoins que ces murs, que ces voûtes, ils causent; de quoi? hélas! de tout ce qui n'est pas innocent. Ils parlent ou plutôt murmurent à voix basse, et leurs bouches s'approchent, leur souffle se confond. Cela dure une heure ou plus, et se renouvelle souvent.

genoux devant

Ne pensez pas que j'invente. Cette scène a lieu telle que je vous la dépeins, et dans toute la France; chaque jour se renouvelle par quarante mille jeunes prêtres, avec autant de jeunes filles qu'ils aiment, parce qu'ils sont hommes, confessent de la sorte, entretiennent tête à tête, visitent parce qu'ils sont prêtres, et n'épousent point, parce que le Pape s'y oppose. Le Pape leur pardonne tout, excepté le mariage, voulant plutôt un prêtre adultère, impudique, débauché, assassin, comme Mingrat, que marié. Mingrat tue ses maîtresses; on le défend en

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