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Mais depuis, sous Louis XIV vieux, un curé trouva fort mauvais que la duchesse de Bourgogne vînt à l'église en habit de chasse qui boutonnait jusqu'au menton et avait des manches. Il la renvoya s'habiller, hautement loué du Roi d'abord, puis de toute la Cour. La duchesse alla s'habiller, et revint bientôt à peu près nue, les épaules, les bras, le dos, le sein découverts, la chute des reins bien marquée. C'était l'habit décent, et elle fut adImise à faire ses dévotions.

Mais l'abbé Mingrat ne souffrait point qu'un bras nu se montrât à l'église, et même ne pouvait sans horreur, dans les vêtemens d'une femme soupçonner la forme du corps. Ami du temps passé d'ailleurs, il prêchait les vieilles mœurs à l'âge de vingt ans, la restauration, la restitution, tonnant contre la danse et les manches de chemise. Les autorités le soutenaient, les hautes classes l'encourageaient, le peuple l'écoutait, les gendarmes aussi et le garde-champêtre qui jamais ne manquaient au sermon. Enfin, il voulait rétablir, d'accord avec ses supérieurs, la pureté de l'ancien régime. Pour y mieux réussir, il forma chez sa tante, venue avec lui à Saint-Opre, une école de petites filles auxquelles elle montrait à lire, les instruisant et préparant pour la communion. Il assistait aux leçons, dirigeait l'enseignement. Deux déjà parmi elles approchaient de quinze ans, et lui parurent mériter une attention particulière. Il les fit venir chez lui; distinction

enviée de toutes leurs compagnes, flatteuse pour leurs parens. Ces jeunes filles donc vont chez le jeune curé. Partout cela se fait depuis quelques années, aux champs comme à la ville; les magistrats l'approuvent, et les honnêtes gens en augurent le prompt rétablissement des mœurs. Elles y allaient souvent, ensemble ou séparées; c'était pour écouter des lectures chrétiennes, répéter le catéchisme, apprendre des versets, des psaumes, des oraisons; et tant y allèrent, qu'à la fin une d'elles se sent mal à l'aise, souffrante; elle avait des maux de cœur.

Lisez l'histoire, et comparez, Monsieur l'anonyme, le passé avec le présent. Pour moi je ne fais autre chose; c'est la meilleure étude qu'il y ait. Je trouve que, du temps de nos pères, Guillaume Rose, étant curé d'une paroisse de Paris, catéchisait de jeunes filles, qui s'assemblaient pour recevoir les pieuses leçons chez une dame. Là venait entre autres assidûment la fille unique, âgée de treize à quatorze ans, du président de Neuilly, qui bientôt fut grosse des œuvres de l'abbé Guillaume. Au temps des bonnes mœurs, pareille chose arrivait sans qu'on y prît trop garde, quand les filles n'avaient point de père président. Celui-ci porta plainte; on décréta Guillaume; le clergé intervint. La justice n'a jamais beau jeu contre le clergé qui d'abord ne veut pas qu'on le juge, et en ce temps-là menait le peuple. Messire Guillaume se moqua du Parlement, du président

et de la fille, et de l'enfant, puis fut évêque de Senlis, dévoué au Pape son créateur comme on dit à Rome.

De ce genre est un autre fait moins ancien, mais horrible et par là plus semblable à celui de Mingrat. Il n'y a pas quarante ans que dans un couvent près de Nogent-le-Rotrou, on élevait de jeunes demoiselles sous la direction d'un saint homme prêtre, abbé qui les confessait, les instruisait, catéchisait, et continua longues années, sans qu'on eût de lui nul soupçon. Mais à la fin, on découvrit qu'il en avait séduit plusieurs, et que, quand une devenait grosse, il l'empoisonnait, 'la gardait, écartant d'elle tout le monde, sous prétexte de confession ou d'exhortation à la mort, ne la quittait point qu'elle ne fût morte, ensevelie, enterrée. De tels faits rarement parviennent à la connaissance du public. Le saint personnage fut enlevé secrètement et enfermé, suivant la coutume d'alors. Retournons à l'abbé Mingrat.

Cette enfant se trouve grosse, ne sachant comment faire, ayant peur de sa mère, va se confesser au curé d'un village non loin de celui-là, à un homme tout différent de Mingrat. Il laissait danser, ne songeait point aux manches de chemise. La pauvrette lui dit son malheur, et refusant de déclarer qui en était cause, ne voulait accuser qu'elle seule. «Mais, lui dit le curé, ma fille, est-il marié cet homme? Non. Il faut l'épouser. Impossible!» Elle se trompait; car qui peut empêcher un

homme de se marier, s'il ne l'est, de faire une épouse de celle qu'il a rendue mère? quelle loi le défend! quelle morale? Elle devrait dire, pauvre enfant : « Dieu, les hommes, le bon sens, la nature, l'Evangile et la Religion le veulent; mais le Pape ne veut pas; et pour cela je meurs, pour cela je suis perdue. » Ainsi à peine répondait-elle, avec plus de sanglots que de mots, aux questions de ce bon curé qui enfin pourtant, parvenu à lui faire nommer l'abbé Mingrat, dès le soir même alla chez lui et lui parla. L'autre se fâche au premier mot, s'emporte et crie contre le siècle, accusant Voltaire et Rousseau, et la philosophie et la corruption de la Révolution. Le bon homme eut beau dire et faire, il n'en put tirer autre chose. Au bout de quelques jours, la fille disparut, sans que jamais parens ni amis en pussent avoir de nouvelles. On en demanda de tous côtés et longtemps, inutilement; on finit par n'y plus penser. Voilà la première partie de l'histoire du curé Mingrat.

La seconde est connue par les papiers publics, où vous aurez pu voir comment, à cause des bruits qui couraient, on le transféra de Saint-Opre à la cure de Saint-Quentin. C'est la discipline. Quand un prêtre a donné quelque part du scandale, on l'envoie ailleurs. Dans les cas graves seulement, il est suspendu a sacris, privé pour un temps de dire messe, et, si la justice s'en mêle, le clergé proteste aussitôt; car on ne peut juger les oints. Le curé de Pezai en Poitou, l'abbé Ge

lée, ex-capucin, ayant commis là une grosse et visible faute contre son vœu de chasteté, la justice se tut malgré toutes les plaintes; on le transféra où il est et ne semble pas corrigé, comme ne le fut point l'abbé Mingrat qui, dans sa nouvelle paroisse, redoublant de sévérité, fit la guerre plus que jamais à la danse et aux manches de chemise. Certaine dévote, bientôt, femme d'un tourneur, jeune et belle, le prit pour confesseur, et le voyait chez elle souvent, sans qu'on en causât néanmoins; car elle passait pour très-sage. Un soir qu'elle était venue sur le tard à confesse, il la retint longtemps, puis l'envoie voir sa tante, qui demeurait chez lui, mais qu'il savait, absente, ne devoir point revenir ce jour-là; et partant par un autre chemin, arrive avant cette femme, entre, quand elle vint, la fit entrer. Ce qui se passa là dedans, on l'ignore. Il l'emporta morte dans une grotte près du village, où, avec un couteau de poche, l'ayant dépecée par morceaux, un à un, il les alla jeter dans la rivière; c'est l'Isère. Ces lambeaux quelque temps après furent trouvés flottants sur l'eau, et réunis et reconnus, comme le couteau plein de sang oublié par lui dans la grotte. Alors on se souvint de la fille de Saint-Opre.

Vous savez aussi comme il s'est soustrait aux poursuites, qui n'eussent pas eu lieu sans le maire. Par le maire seul tous les faits furent constatés, publiés malgré les dévots et le clergé, qui ne voulaient pas qu'on en parlât. Telle est leur

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