Page images
PDF
EPUB

Le monde dit que ces jeunes prêtres, au séminaire, sont élevés par un moine, un frère picpus, frère Isidore, c'est son nom : homme envoyé des hautes régions de la monarchie, afin d'instruire nos docteurs, de former les instituteurs qu'on destine à nous réformer. Le moine fait les curés, les curés nous feront moines. Ainsi l'horreur de ces jeunes gens pour le plus simple amusement, leur vient du triste picpus, qui lui-même tient d'ailleurs sa morale farouche. Voilà comme en remontant dans les causes secondes on arrive à Dieu, cause de tout. Dieu nous livre aux picpus. Ta volonté, Seigneur, soit faite en toute chose. Mais qui l'eût dit à Austerlitz!

Une autre guerre que font à nos danses de village ces jeunes séminaristes, c'est la confession. Ils confessent les filles, sans qu'on y trouve à redire, et ne leur donnent l'absolution qu'autant qu'elles promettent de renoncer à la danse, à quoi peu d'entre elles consentent, quelque ascendant que doive avoir, et sur leur sexe et sur leur âge, un confesseur de vingt-cinq ans, à qui les aveux, le secret et l'intimité qui s'ensuit nécessairement, donnent tant d'avantages, tant de moyens pour persuader; mais les pénitentes aiment la danse. Le plus souvent aussi elles aiment un danseur qui, après quelque temps de poursuite et d'amour, enfin devient un mari. Tout cela se passe publiquement; tout cela est bien, et en soi beaucoup plus décent que des conférences tête

à-tête avec ces jeunes gens vêtus de noir. Y a-t-il de quoi s'étonner que de tels attachemens l'emportent sur l'absolution, et que le nombre des communians se trouve diminué cette année de plus des trois quarts, à ce qu'on dit? La faute en est tout au pasteur qui les met dans le cas d'opter entre ce devoir de religion et les affections les plus chères de la vie présente, montrant bien par là que le zèle pour conduire les âmes ne suffit pas, même uni à la charité. Il y faut ajouter encore la discrétion, dit saint Paul, aussi nécessaire aujourd'hui, dans ce ministère pieux, qu'elle le fut au temps de l'Apôtre.

En effet, le peuple est sage, comme j'ai déjà dit, plus sage de beaucoup et plus heureux aussi qu'avant la Révolution; mais il faut l'avouer, il est bien moins dévot. Nous allons à la messe le dimanche à la paroisse, pour nos affaires, pour y voir nos amis ou nos débiteurs; nous y allons; combien reviennent (j'ai grand'honte à le dire), sans l'avoir entendue, partent, leurs affaires faites, sans être entrés dans l'église. Le curé d'Azai, à Pâques dernières, voulant quatre hommes pour porter le dais, qui eussent communié, ne les put trouver dans le village; il en fallut prendre de dehors, tant est rare chez nous et petite la dévotion. En voici la cause, je crois. Le peuple est d'hier propriétaire, ivre encore, épris, possédé de sa propriété; il ne voit que cela, ne rêve d'autre chose, et nouvel affranchi de même, quant à l'in

dustrie, se donne tout au travail, oublie le reste et la religion. Esclave auparavant, il prenait du loisir, pouvait écouter, méditer la parole de Dieu et penser au Ciel où était son espoir, sa consolation: Maintenant il pense à la terre qui est à lui et le fait vivre. Dans le présent ni dans l'avenir, le paysan n'envisage plus qu'un champ, une maison qu'il a ou veut avoir, pour laquelle il travaille, amasse, sans prendre repos ni repas. Il n'a d'idée que celle-là, et vouloir l'en distraire, lui parler d'autre chose, c'est perdre [son] temps. Voilà d'où vient l'indifférence qu'à bon droit nous reproche l'abbé de La Mennais, en matière de religion. Il dit bien vrai; nous ne sommes pas de ces tièdes que Dieu vomit, suivant l'expression de saint Paul, nous sommes froids, et c'est le pis. C'est proprement le mal du siècle. Pour y remédier et nous amener de cette indifférence à la ferveur que l'on désire, il faut user de ménagemens, de moyens doux et attrayans, car d'autres produiraient un effet opposé. La prudence y est nécessaire, ce qu'entendent mal ces jeunes curés, dont le zèle, admirable d'ailleurs, n'est pas assez selon la science. Aussi leur âge ne le porte pas.

Pour en dire ici ma pensée, j'écoute peu les déclamations contre la jeunesse d'à présent, et tiens fort suspectes les plaintes qu'en font certaines gens, me rappelant toujours le mot vengeons-nous par en médire (si on en médisait seulement; mais on va plus loin); pourtant il doit y

avoir du vrai dans ces discours, et je commence à me persuader que la jeunesse séculière, sans mériter d'être sabrée, foulée aux pieds, ou fusillée, peut ne valoir guère aujourd'hui, puisque même ces jeunes prêtres, dans leurs pacifiques fonctions, montrent de telles dispositions, bien éloignées de la sagesse et de la retenue de leurs anciens. Je vous ai déjà cité, Messieurs, notre bon curé de Véretz, qui semble un père au milieu de nous; mais celui d'Azai, que remplace le séminariste, n'avait pas moins de modération, et s'était fait de même une famille de tous ses paroissiens, partageant leurs joies, leurs chagrins, leurs peines comme leurs amusemens, où de fait on n'eût su que reprendre; voyant très-volontiers danser filles et garçons, et principalement sur la place; car il l'approuvait là bien plus qu'en quelque autre lieu que ce fût, et disait que le mal rarement se fait en public. Aussi trouvait-il à merveille que le rendez-vous des jeunes filles et de leurs prétendus fût sur cette place plutôt qu'ailleurs, plutôt qu'au bosquet ou aux champs, quelque part loin des regards, comme il arrivera quand nos fêtes seront tout à fait supprimées. Il n'avait garde de demander cette suppression, ni de mettre la danse au rang des péchés mortels, ou de recourir aux puissances pour troubler d'innocens plaisirs. Car, enfin, ces jeunes gens, disait-il, doivent se voir, se connaître avant de s'épouser, et où se pourraient-ils jamais rencontrer plus convenablement que là,

sous les yeux de leurs amis, de leurs parens et du public, souverain juge en fait de convenance et d'honnêteté ?.

Ainsi raisonnait ce bon curé, regretté de tout le pays, homme de bien s'il en fut oncques, irréprochable dans ses mœurs et dans sa conduite, comme sont aussi, à vrai dire, les jeunes prêtres successeurs de ces anciens-là. Car il ne se peut voir rien de plus exemplaire que leur vie. Le clergé ne vit pas maintenant comme autrefois, mais fait paraître en tout une régularité digne des temps apostoliques. Heureux effet de la pauvreté! Heureux fruit de la persécution soufferte à cette grande époque où Dieu visita son Église! Ce n'est pas un des moindres biens qu'on doive à la Révolution, de voir non-seulement les curés, ordre respectable de tout temps, mais les évêques avoir des mœurs.

Toutefois il est à craindre que de si excellens exemples, faits pour grandement contribuer au maintien de la Religion, ne soient en pure perte pour elle, par l'imprudence des nouveaux prêtres qui la rendent peu aimable au peuple en la lui montrant ennemie de tout divertissement, triste, sombre, sévère, n'offrant de tous côtés que pénitence à faire et tourmens mérités, au lieu de prêcher sur des textes plus convenables à présent : Sachez que mon joug est léger, ou bien celui-ci : Je suis doux et humble de cœur. On ramènerait ainsi des brebis égarées que trop de rigueur effa

« PreviousContinue »