Page images
PDF
EPUB

vant témoins, de lui laisser ce qu'il m'avait pris et de finir toute contestation, il balança d'abord, puis il me déclara qu'il voulait de moi 1,200 francs de dommages et intérêts, comme n'ayant pas coupé assez de bois pour sa vente. Que voulait-il dire? Je ne sais. Je pense, Messieurs, qu'il a regret de m'en avoir laissé. Il ne me croyait pas, sans doute, si accommodant. Toutefois, c'est ainsi qu'il a trouvé le secret de me faire plaider et renoncer à mon système de paix perpétuelle.

Je lui vends, aux termes de l'acte, la neuvième et la dixième coupes, sans autre désignation; et de fait, il n'en fallait point d'autre, chaque coupe de ma forêt étant, par son seul numéro, suffisamment indiquée. De ces deux coupes, mises d'abord aux enchères séparément, l'une, c'est la neuvième, supposée de neuf hectares, ne fut portée qu'à 3,000 francs, ce qui fait un peu moins de 300 francs l'hectare; l'autre, de dix hectares, monta jusqu'à 9,300 francs. C'est 900 francs l'hectare, et plus. De la coupe suivante, la onzième, on m'offrait 1,100 francs l'hectare. Remarquez, Messieurs, cette progression et la valeur croissante du bois depuis 300 francs jusqu'à 1,100. Ceci vous explique le motif qui a déterminé Bourgeau à ne se pas contenter des deux coupes à lui vendues, motif ordinaire en tel cas, et prévu par les ordonnances. L'outre-passe, c'est le nom qu'on donne à cette espèce de délit, en termes d'eaux et forêts, l'outre-passe est punie d'une amende du quadru

ple, à raison du prix de la vente, en supposant, notez, je vous prie, que le bois où elle est faite soit de même essence et qualité que celui de la vente. Cette sévérité, disent les jurisconsultes, a paru nécessaire pour empêcher les marchands de ne plus faire d'outre-passe, à quoi ils sont volontiers sujets quand ils voient quelque belle touffe d'arbres de grand prix attenant à leur vente. C'est là précisément ce qui a tenté Bourgeau. Il voit près de sa vente de beaux arbres, il les abat, non une touffe, mais cinq arpens, non de même qualité que la vente, mais d'une valeur plus que triple, enfin le quart de ma plus belle coupe.

Mais, Messieurs, le tort qu'il me fait ne se borne pas à cela, et pour en avoir une idée, il ne suffit pas d'évaluer le bois indûment abattu. Le dommage est moins dans ce qu'il me prend que dans ce qu'il m'empêche de vendre. En effet, cette coupe dont il m'enlève le quart, cette même coupe dont on m'offrait jusqu'à 12,000 francs l'an passé, personne n'en veut maintenant, parce que Bourgeau en a, me dit-on, pris le plus beau et le meilleur. Ainsi elle reste sur pied, telle que Bourgeau l'a laissée, c'est-à-dire, diminuée du quart en superficie, et de plus de moitié en valeur; et moi, qui me fais de mes bois un revenu annuel, ce revenu me manquant, j'emprunte d'un côté pour vivre, je perds de l'autre une feuille sur cette coupe non vendue; je perds le produit d'une année, l'ordre de mes coupes est perverti; toute l'économie de ma

fortune est troublée. C'est à quoi je vous supplie, Messieurs, d'avoir égard dans l'évaluation des dommages et intérêts qui me sont dus en toute justice.

Si j'entrais dans la discussion du défaut de mesure qu'on m'objecte, et qui est le seul argument de mon adversaire, je dirais que j'ai vendu de bonne foi, comme il le sait bien, d'après d'anciennes mesures qui peuvent se trouver inexactes; que s'il y manque quelque chose, c'est un ou deux arpens, non cinq, chose facile à vérifier; que ces deux arpens environ vaudraient, au prix de la vente, 800 francs, tandis qu'on m'abat dans la coupe réservée, pour 4,000 francs de bois; qu'enfin, je ne dois point tenir compte à Bourgeau de ce qui peut manquer à la superficie, puisque je vends sans garantie ni perfection de mesure, et que la loi ne lui donne une action contre moi, à raison du défaut de mesure, qu'autant qu'il n'y a point dans l'acte de stipulation contraire; ainsi parle le Code civil à l'article 1619. Une stipulation contraire, n'est-ce pas cette clause sans perfection de mesure, qui est d'usage, et marque assez que les parties renoncent réciproquement à toute diminution ou supplément de prix de la mesure? Voilà ce que je pourrais répondre; mais comme j'ai dit, ce n'est pas de quoi il s'agit. Toute la question, s'il y en a, roule sur un simple fait. Bourgeau a-t-il coupé dans ma onzième coupe, dans la coupe réservée? Ce fait, un regard sur le errain suffit pour le vérifier.

raison

PÉTITION

POUR DES VILLAGEOIS

QUE L'ON EMPÊCHE DE DANSER

PAR PAUL-LOUIS COURIER

Vigneron, ancien canonnier à cheval, sorti l'an passé des prisons de Sainte-Pélagie.

[1822]

A LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

MESSIEURS.

'OBJET de ma demande est plus important qu'il ne semble; car, bien qu'il ne s'agisse au vrai, que de danse et d'amusemens, cependant, comme d'une part ces amusemens sont ceux du peuple, et que rien de ce qui le touche ne vous peut être indifférent; que d'autre part, la religion

[ocr errors]

s'y trouve intéressée, ou compromise, pour mieux dire, par un zèle mal entendu, je pense, quelque division qu'il puisse y avoir entre vous, que tous vous jugerez ma requête digne de votre attention.

Je demande qu'il soit permis, comme par le passé, aux habitans d'Azai de danser le dimanche sur la place de leur commune, et que toutes défenses faites à cet égard par le préfet soient annulées.

Nous y sommes intéressés, nous, gens de Véretz, qui allons aux fêtes d'Azai, comme ceux d'Azai viennent aux nôtres. La distance des deux clochers n'est que d'une demi-lieue environ: nous n'avons point de plus proches ni de meilleurs voisins. Eux ici, nous chez eux, on se traite tour à tour, on se divertit le dimanche, on danse sur la place, après midi, les jours d'été. Après midi viennent les violons et les gendarmes en même temps, sur quoi j'ai deux remarques à

faire.

Nous dansons au son du violon; mais ce n'est que depuis une certaine époque. Le violon était réservé jadis aux bals des honnêtes gens; car d'abord il fut rare en France. Le grand Roi fit venir des violons d'Italie, et en eut une compagnie pour faire danser sa Cour gravement, noblement, les cavaliers en perruque noire, les dames en vertugadin. Le peuple payait ces violons, mais ne s'en servait pas, dansait peu, quelquefois au son de la musette ou cornemuse, témoin ce re

« PreviousContinue »