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qui prendra ma défense? j'ai contre moi tout le monde. >>

Alors il me répond : « Blondeau, que vous êtes simple. Mettez le feu à mes bois, au lieu de les garder, et vous ne manquerez pas de protecteurs. Vous aurez pour appui tout ce qui pense bien dans le département. L'homme le plus méprisé, le plus vil, le plus abject de la province entière, a trouvé des amis, des parens, même parmi les magistrats de Tours, dès qu'il m'a voulu faire quelque mal, et pour avoir chassé ma femme de chez elle, il va recevoir de moi deux mille francs à titre de dommages et intérêts. Le fripon qui me vola, l'an passé, la moitié d'une coupe de bois, obtient de l'équité des juges un léger encouragement de huit cents francs, que je lui paye comme indemnité. Ces gens-ci, aujourd'hui, sous la sauvegarde de toutes les autorités, coupent mes plus beaux arbres, les emportent, les serrent paisiblement chez eux; défense de les troubler. Demain ils me plaideront sur le vol qu'ils m'ont fait, et gagneront assurément. Faites comme eux; vous serez favorisé de même. Si, au lieu de me piller, vous défendez mon bien, vous irez en prison; attendez-vous à cela. »>

Tout comme il l'avait dit, la chose est arrivée. Je fus jugé, ou pour parler exactement, je fus condamné à un mois de prison, sans preuves, sans audition de témoins. Les témoins, vous le savez, 'n'ont été entendus que depuis, ici, devant vous, Messieurs, après mon appel de la sentence rendue à

Tours contre moi. A Tours, les juges n'ont pas voulu, sans doute de peur de scandale, examiner si j'avais dit Allez vous promener, ou allez vous faire f.....; question délicate qui roulait sur la différence de promener à l'autre mot. Il fut décidé sur le seul procès-verbal de M. le maire, que je l'avais outragé; en conséquence, on me condamne à un mois de prison. Mes amis trouvent que j'en suis quitte à bon marché. Car il eût pu tout aussi bien mettre sur son procès-verbal que j'avais volé ou tué, et vous voyez ce qui s'ensuivait, puisque sa parole fait foi, sans qu'il soit tenu de rien prouver.

Mais moi, je ne m'en crois pas quitte : ce qu'il n'a pas fait, il le fera. Déjà il répand le bruit que je l'ai menacé. Déjà il l'a écrit de sa main sur le registre de la commune. Bien plus, il l'a fait publier au prône de la paroisse. Oui, Messieurs, au prône, un dimanche, par la voix du curé en chaire, tout le monde a été informé que Blondeau menaçait M. le maire. Cela vous étonne, Messieurs. C'est que vous connaissez les lois; mais moi, je connais M. le maire, et je sais qu'un mois de prison, mes travaux d'une année perdus, ma famille désolée, un procès qui me ruine, ce n'est pas vengeance pour lui. Ce qui m'étonne, moi, c'est de le voir agir avec tant de mesure, user de prévoyance, et même avant la fin de cette affaire-ci, se ménager des preuves pour une accusation plus grave, comme s'il n'avait pas toujours ses procès-verbaux, qui sont parole d'Evangile pour Messieurs les juges de Tours. Sitôt qu'il

lui plaira d'avoir été frappé ou même assassiné, qui le contredira dans ses déclarations? Craint-il qu'on ne s'avise d'examiner les faits? que le procureur du Roi, le préfet, ne lui manquent au besoin, et qu'un jour, ces messieurs, ne pensant plus aussi bien, ne se fassent scrupule de perdre un malheureux, parce qu'il sert M. Courier? et puis, si l'on voulait des preuves, des témoins, n'a-t-il pas ses fermiers, que vous l'avez vu, Messieurs, amener ici dans sa voiture, gens de bien comme lui, auxquels il coûte peu de lever la main, jurer devant les magistrats? Enfin les signatures peuvent-elles jamais manquer à l'auteur d'un écrit qu'on va vous lire, Messieurs? C'est l'original même de la publication faite en chaire contre moi par M. le curé.

Par jugement rendu, le 5 mars dernier, au tribunal de police correctionnelle de Tours, ClavierBlondeau, garde particulier, a été condamné à 30 francs d'amende, à la confiscation de son fusil à deux coups et aux frais du procès, pour avoir porté des armes de chasse et chassé sans permis de port d'armes.

Plus à un mois d'emprisonnement, pour avoir menacé et injurie M. le maire de Véretz.

Pour extrait conforme au jugement,

Signé BOURRASSÉ, commis-greffier.

Pour copie conforme,

DE BEAUNE, maire.

Je, soussigné, certifie avoir publié au prône de ma messe paroissiale, le dimanche 21 mars de la *présente année 1819, les copies du jugement de l'autre part, d'après l'invitation qui m'en a été faite par M. DE BEAUNE, maire de cette com

mune.

MARCHANDEAU, curé desservant de Véretz.

Voilà, Messieurs, ce qu'a publié M. le curé, dans la chaire de vérité, ce qu'il a notifié comme un acte authentique aux habitans de la paroisse. Il n'y a de vrai néanmoins dans cette pièce écrite tout entière de la main de M. de Beaune, que sa seule signature. Le reste se peut dire imaginé par lui ou arrangé selon ses vues. Il n'est point du tout vrai que l'on m'ait condamné pour avoir menacé et injurié le maire. Il n'est point vrai non plus que ce soit là un extrait du jugement rendu contre moi. Il est encore moins vrai que ce prétendu extrait ait été délivré par le commis-greffier. Enfin il est faux que ce commis ait jamais signé rien de pareil, et son nom mis là est une pure invention de M. le maire. Le greffier n'a pu délivrer un extrait qui n'est pas conforme au jugement; aussi s'en défend-il et le nie à tous ceux qui lui en ont parlé. Le jugement ne dit point que j'ai menacé ni injurié personne; je suis condamné pour avoir outragé en paroles M. le maire de Véretz. Les juges ont trouvé un outrage dans ces mots : Allez vous faire f.....; mais quelque envie qu'ils eussent d'obliger M. le

maire, ils n'y pouvaient trouver de menaces, quand même M. le préfet le leur eût enjoint par vingt lettres. Si le maire voulait des menaces, s'il entrait dans son plan d'avoir été menacé, il fallait qu'il le mît dans son procès-verbal, et cela n'eût pas fait plus de difficulté. Mais alors il n'y pensa pas. Pour réparer cette omission, il entreprit depuis de me faire signer à moi-même et avouer ces menaces en présence de témoins, employant pour cela une ruse qui devait lui réussir, si on ne m'eût averti. C'est encore ici un des traits de l'esprit inventif de M. le maire, et je vous prie d'y faire attention, Messieurs.

Au milieu du procès, dans la plus grande rage de ses persécutions, quand son garde champêtre, ses cédules, ses huissiers, ne me donnaient point de lâche, tout d'un coup il feint de s'adoucri, d'avoir pitié de moi, de vouloir me laisser vivre; on m'apprend de sa part qu'il se contentera d'une légère satisfaction, que si je veux lui faire quelques excuses, toute poursuite contre moi cessera. Moi je me crus hors de l'enfer au premier mot qui m'en fut dit; je rendis grâces à Dieu et promis de me trouver le dimanche suivant, après la messe, chez M. le maire, pour lui faire toutes les excuses, toutes les soumissions qu'il voudrait. Le dimanche venu, j'arrive à l'heure dite; je trouve à la mairie le conseil assemblé, beaucoup de gens et M. le maire, auquel jefis excuse (de quoi? grand Dieu !) le plus humblement que je sus, lui demandant pardon de l'avoir

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