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tion qui sera criminelle; c'est moi qui aurai outragé les mœurs!

Messieurs, l'Égypte honorait ses Rois, mais elle jugeait leur cendre, et le jugement des morts était la leçon des vivans et de la postérité.

Que signifie cette distinction qu'on s'est efforcé d'établir entre l'histoire et d'autres écrits? La vérité a-t-elle, pour se montrer, des formes privilégiées? Existe-t-il un genre d'ouvrages dans lesquels la vérité soit criminelle?.

C'est, il faut le dire, c'est la première fois qu'on voit un écrivain traduit devant les tribunaux pour avoir rapporté des faits dont on ne conteste point la sincérité! C'est la première fois que l'accusation vient nous tenir cet étrange langage: Cela est vrai, mais vous ne deviez pas le dire. Nous avons vu incriminer des doctrines, condamner des opinions; il nous restait à voir accuser des souvenirs historiques; il nous manquait de voir traîner la vérité devant la cour d'assises!

C'est, dites-vous, attenter à la gloire nationale; c'est dépouiller la nation de son plus riche patrimoine.

Ce ne serait plus alors qu'une simple question d'amour-propre national, et non plus une question de morale publique.

Mais est-ce donc flétrir la nation que de flétrir les vices de quelques hommes dont les noms figurent dans son histoire? Une nation est-elle solidaire pour tous les individus qui la composent? Le pa

trimoine de l'honneur se compose-t-il des vices ou des crimes dont elle a été le témoin? Vous nous reprochez d'avoir attenté à la gloire nationale? Ai-je donc essayé d'avilir les trophées de Fontenoy, les vertus de Sully, les lauriers de Racine? Voilà le patrimoine de l'honneur national: la France peut revendiquer la solidarité de la gloire; elle ne revendiquera jamais la solidarité de la honte.

On a plus vivement encore insisté sur le troisième chef d'accusation. Suivons le ministère public sur ce nouveau terrain.

M. Courier s'attache à prouver, comme nous l'avons vu, que le voisinage de la Cour est dangereux pour les simples habitans de la campagne. Une des choses qu'il redoute le plus dans ce voisinage, c'est la contagion des mauvaises mœurs. Voici, à cet égard, comme il s'exprime :

<< Sachez qu'il n'y a pas en France une seule famille noble, mais je dis noble de race et d'antique origine, qui ne doive sa fortune aux femmes; vous m'entendez. Les femmes ont fait les grandes maisons; ce n'est pas, comme vous croyez bien, en cousant les chemises de leurs époux, ni en allaitant leurs enfans. Ce que nous appelons, nous autres, honnête femme, mère de famille, à quoi nous attachons tant de prix, trésor pour nous, serait la ruine du courtisan. Que voudriez-vous qu'il fît d'une dame honesta, sans amans, sans intrigue, qui, sous prétexte de vertus, claquemurée dans son ménage, s'attacherait à son mari? Le pauvre

homme verrait pleuvoir les grâces autour de lui, et n'attraperait jamais rien. De la fortune des familles nobles, il en paraît bien d'autres causes, telles que le pillage, les concussions, l'assassinat, les proscriptions, et surtout les confiscations. Mais qu'on y regarde, et on verra qu'aucun de ces moyens n'eût pu être mis en œuvre sans la faveur d'un grand, obtenue par quelque femme; car pour piller, il faut avoir commandemens, 'gouvernemens, qui ne s'obtiennent que par les femmes, et ce n'était pas tout d'assassiner Jacques Coeur ou le maréchal d'Ancre, il fallait, pour avoir leurs biens, le bon plaisir, l'agrément du Roi, c'est-à-dire des femmes qui gouvernaient alors le Roi ou son ministre. Les dépouilles des huguenots, des frondeurs, des traitans, autres faveurs, bienfaits qui coulaient, se répandaient par les mêmes canaux aussi purs que la source. Bref, comme il n'est, ne fut, ni ne sera jamais, pour nous autres vilains, qu'un moyen de fortune, c'est le travail; pour la noblesse non plus il n'y en a qu'un, et c'est..., c'est la prostitution, puisqu'il faut, mes amis, l'appeler par son

nom. >>>

Laissant de côté tous les commentaires plus ou moins infidèles qu'on a faits sur ce passage, et le réduisant à son expression la plus simple, qu'y découvrons-nous? Cette proposition fondamentale, et dont le passage entier n'est qu'un développement : «Que les mœurs des courtisans sont corrompues. >> J'aurais difficilement imaginé que cette proposition

fût outrageante pour la morale publique, et que les mœurs des Cours dussent être pour nous un objet de vénération. Depuis quand n'est-il donc plus permis de dire, d'une manière générale que tel vice, tel défaut, tel genre de dépravation règne dans telle classe de la société?

Ici, j'interpelle encore l'accusation. Niez-vous les faits? J'offre de les prouver. Les avouez-vous? J'ai donc eu raison d'avancer ce que j'ai avancé.

Expliquez-vous enfin d'une manière catégorique. Est-ce pour avoir controuvé des faits que vous m'accusez? Ce n'est plus qu'une question de vérité historique; nous pouvons la décider avec des autorités. M'accusez-vous pour avoir dit des vérités fâcheuses à quelques amours-propres ? Alors, je vous demande où est la loi qui condamne la vérité, et qui fait du mensonge un devoir de morale publique. Mais du moins expliquez-vous parlez; qu'on sache ce que vous voulez, ce que vous prétendez. Niez franchement les faits, ou bien avouezles franchement, sans vous perdre en vaines déclamations qui ne prouvent rien, si ce n'est votre embarras et votre faiblesse.

Pour moi, je vous dirai que de tout temps, l'historien, le moraliste, l'écrivain satirique, ont été en possession de censurer les vices généraux, et surtout les vices des Cours. Je vous dirai que l'auteur que vous accusez n'a fait que redire, avec moins de force peut-être, ce que mille auteurs estimés avaient dit avant lui. On vous a cité Massillon et

Montesquieu; écoutez maintenant Mézeray et Bassompierre.

Mézeray parle de l'introduction des femmes à la Cour. « Du commencement, dit-il, cela eut de forts bons effets, cet aimable sexe y ayant amené la politesse et la courtoisie, en donnant de vives pointes de générosité aux âmes bien faites. Mais depuis que l'impureté s'y fut mêlée, et que l'exemple des plus grands eut autorisé la corruption, ce qui était au`paravant une belle source d'honneur et de vertu, ADVINT UN SALE BOURBIER DE TOUS LES VICES; le déshonneur SE MIT EN CRÉDIT, LA PROSTITUTION SE SAISIT DE LA FAVEUR, on y entrait, on s'y maintenait par ce moyen; bref, les charges et les emplois se distribuaient à la fantaisie des femmes, et parce que d'ordinaire, quand elles sont une fois déréglées, elles se portent à l'injustice, aux fourberies, à la vengeance et à la malice avec bien plus d'effronterie que les hommes même, elles furent cause qu'il s'introduisit de très-méchantes maximes dans le Gouvernement, et que l'ancienne candeur gauloise fut rejetée encore plus loin que la chasteté. Cette corruption commença sous le règne de François Ier, se rendit presque universelle sous celui de Henri II, et se DÉBORDA ENFIN JUSQU'AU DERNIER PÉRIODE Sous Charles IX et Henri III. »

Mézeray, Hist. de Fr., Henri III, tome III, pag. 416-447.

Voyons maintenant comment Bassompierre s'exprime sur le compte d'un courtisan. « C'était un

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