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risibles qu'on me fait, dans lesquels je succombe toujours. Chaque fois que je suis volé, je paie des dommages et intérêts. Si on me battait, je paierais l'amende. On menace maintenant de me brûler. Si cela arrive, je serai condamné à la peine des incendiaires.

Ce n'est pas qu'on me haïsse dans le pays. Je vis seul et n'ai de rapports ni de démêlés avec personne. Tout cela se fait pour faire plaisir à M. le maire et à MM. les juges, à M. le procureur du Roi et à M. le préfet, gens que je n'ai jamais vus et dont j'ignore les noms.

Enfin il est notoire, dans le département, qu'on peut me voler, me courir sus, et chaque jour on use de cette permission. Je suis hors de la loi pour avoir défendu avec succès des gens qu'on voulait faire périr, il y a deux ou trois ans. Voilà, disent quelquesuns, le vrai motif du mal qu'on me fait à présent.

Je supplie Votre Excellence d'ordonner que tous ceux qui me pillent ou m'ont pillé soient légalement poursuivis, et qu'on me laisse en repos à l'avenir. C'est malgré moi que j'ai recours à l'autorité quand les lois devraient me protéger. Mais la chose presse, et je crains que mes bois ne soient bientôt brûlés. Je suis avec respect, Monseigneur,

de Votre Excellence,

le très-humble et très-obéissant serviteur.

P.-L. COURIER,

Ancien Chef d'escadron,

Membre de la Légion d'honneur.

Paris, le 30 mars 1819.

PIERRE CLAVIER

DIT BLONDEAU,

A MESSIEURS LES JUGES

DE POLICE CORRECTIONNELLE

A BLOIS.

[1819]

MESSIEURS,

'AI fait de grandes fautes; mais j'en suis trop puni déjà par tout ce que j'ai souffert, et si vous regardez ma conduite, vous verrez qu'il y a en moi, pauvre et simple homme de village,

plus de bêtise que de méchanceté.

Ma première faute fut d'entrer au service de M. de Beaune, le maire de notre commune. Je le connaissais. M. de Beaune est un jeune homme vif, emporté, violent dans toutes ses passions, implacable dans ses vengeances. Je savais cela, j'aurais dû fuir M. de Beaune et prévoir ce qui m'arrive;

mais quoi? il fallait vivre; je n'avais point d'autre ressource, et il n'était pas maire encore; il ne faisait point de procès-verbaux; en le servant, on ne risquait que d'être assommé. J'entrai chez lui, et me conduisis avec tant de prudence, qu'au bout de deux ans j'en sortis sans contusion ni blessure. En cela, je ne fus pas bête.

Mais, malheureusement, il était maire alors. En me renvoyant, M. le maire ne me payait pas mes gages de trois mois, cinquante francs qu'il me devait; je les lui demandai. Ce fut ma seconde faute, pire que la première pour moi, dans le besoin, sans place, sans travail, cinquante francs, c'était beaucoup; ce n'était rien pour M. de Beaune. Et que pensez-vous qu'il me dit quand je lui demandai mon argent? Tu me le paieras, me dit-il, et jamais, Messieurs, je n'en pus tirer autre chose.

Moi, Messieurs, voyant cela, je le fis assigner. Ah! faute irréparable! mon supérieur, mon maire, le plus riche propriétaire de toute la commune, l'attaquer en justice! moi pauvre paysan, domestique renvoyé, lui demander mon dû! Je fis cette folie dont je me repens bien, et vous jure que de ma vie, dussé-je mourir de faim, jamais plus ne m'arrivera de faire assigner un maire. Aussi bien, que sert-il? M. de Beaune comparut devant le juge de paix, fit serment, leva la main qu'il ne me devait rien, et je perdis mes cinquante francs, et toujours: Tu me le paieras. Il m'a tenu parole; je le lui paie bien, l'argent qu'il me devait.

Dès lors on me conseilla de quitter le pays. Va-t-en, Blondeau, va-t-en, me dit un de nos voisins. Que veux-tu faire ici ayant fâché le maire? Le maire est plus maître ici que le Roi à Paris. Procès, amende, prison, voilà ce qui t'attend. Plus de repos pour toi, plus de travail paisible. Tu ne mangeras plus morceau qui te profite, ayant fâché le maire. Va-t-en, pauvre Blondeau.

Il n'avait que trop de raison de me parler ainsi. Je devais le croire, partir, vendre mon quartier de terre, emmener ma famille. Mais, environ ce temps, je trouvai à me placer fort avantageusement, à ce qu'il me semblait. M. Courier me prit pour garde de ses bois, et je me crus heureux d'entrer à son service. Je pensais qu'étant chez lui, qui passe pour bon homme, quoique peu de gens l'aient vu, et que personne ne le connaisse, je pourrais vivre tranquille. En cela, je me trompais, comme vous allez voir.

Je fus accusé, peu après, d'avoir dit à M. le maire, causant avec lui dans son parc: Allez vous promener. C'est la déposition de quelques-une des témoins que vous avez entendus. D'autres disent que j'ai dit: Allez vous faire f.....; d'autres enfin prétendent que je n'ai rien dit du tout. L'affaire était sérieuse. J'avais tout à redouter, vu le nombre et le crédit de ceux qui m'attaquaient, car chacun s'en mêlait. Le maire portait plainte, le procureur du Roi me poursuivait à outrance; le domaine me menaçait de m'ôter mon état de garde particu

lier. Le préfet même daigna, et plus d'une fois, écrire aux juges contre moi. Les puissances de Tours étaient coalisées pour écraser Blondeau.

Et l'occasion de tout cela, c'est qu'en effet j'avais parlé à M. le maire; grande imprudence assurément. Si j'eusse pu m'en dispenser! Mais le moyen? on avait volé quatre gros arbres dans nos bois, et ces arbres, pour les saisir chez les voleurs assez connus, il me fallait non-seulement l'autorisation de M. le maire, mais sa présence, suivant la loi. Je fus le trouver et le requis, mon procès-verbal à la main, de m'accompagner, et je lui fis lecture de la loi, le tout en vain; il refusa, et fut cause que huit jours après on nous coupa vingt autres arbres choisis dans toute la forêt, les plus grands de tous, les plus beaux, et avec le même succès; et depuis, une autre fois encore..., mais ce n'est pas de quoi il s'agit. Il refusa de m'accompagner, sans autre raison que son plaisir, et de là même prit prétexte de me faire un procès, de se plaindre, disant que je l'avais insulté. Quelle apparence? je n'en fis que rire. Mais me voyant tant d'ennemis et que tous ceux qui pouvaient me nuire s'y employaient avec chaleur, j'eus recours à M. Courier. Je lui dis: «< Aidezmoi; la chose vous regarde. Parlez; faites agir vos amis. » Mais il me répondit : « Mes amis sont à Rome, à Naples, à Paris, à Constantinople, à Moscou. Mes amis s'occupent beaucoup de ce que l'on faisait il y a deux mille ans, peu de ce qu'on fait à présent. S'il est ainsi, lui dis-je, qui me protégera?

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