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Cour lui répétera que plus nous payons, plus nous sommes sujets amoureux et fidèles, que notre dévouement croît avec le budget. Mais s'il en veut savoir le vrai, qu'il vienne ici, et il verra, sur ce point-là et sur bien d'autres, nos sentimens fort différens de ceux des courtisans. Ils aiment le prince en raison de ce qu'on leur donne; nous, en raison de ce qu'on nous laisse ; ils veulent Chambord pour en être, l'un gouverneur, l'autre concierge, bien gagés, bien logés, bien nourris, sans faire œuvre; et peu leur importe du reste. L'affaire sera toujours bonne pour eux, quand elle serait mauvaise pour le prince, comme elle l'est, je le soutiens; acquérant de nos deniers pour un million de terres, il perd pour cent millions au moins de notre amitié Chambord, ainsi payé, lui coûtera trop cher; de telles acquisitions le ruineraient bientôt, s'il est vrai, ce qu'on dit, que les rois ne sont riches que de l'amour des peuples. Le marché paraît d'or pour lui, car nous donnons et il reçoit : il n'a que la peine de prendre; mais lui, sans débourser de fait, y met beaucoup du sien, et trop, s'il diminue son capital dans le cœur de ses sujets : c'est spéculer fort mal et se faire grand tort. Qui le conseille ainsi n'est pas de ses amis, ou, comme dit l'autre, mieux vaudrait un sage ennemi,

Mais quoi! je vous le dis, ce sont les gens de Cour dont l'imaginative enfante chaque jour ces merveilleux conseils; ils ont plus tôt inventé cela que le semoir de Fehlemberg, ou bien le bateau à

vapeur. On a eu l'idée, dit le ministre, de faire acheter Chambord par les communes de France, pour le duc de Bordeaux. On a eu cette pensée ! qui donc? Est-ce le ministre? il ne s'en cacherait pas, ne se contenterait pas de l'honneur d'approuver en pareille occasion. Le prince? à Dieu ne plaise que sa première idée ait été celle-là, que cette envie lui soit venue avant celle des bonbons et des petits moulins! Les communes donc apparemment ? non pas les nôtres, que je sache, de ce côté-ci de la Loire, mais celles-là peut-être qui ont logé deux fois les Cosaques du Don. Ici nous nous sentons assez des bienfaits de la Sainte-Alliance, mais c'est tout autre chose là où on a joui de sa présence, possédé Sacken et Platow; là naturellement on s'avise d'acheter des châteaux pour les princes, et puis on songe à refaire son toit et ses foyers.

Du temps du bon roi Henri IV, le Roi du peuple, le seul Roi dont il ait gardé la mémoire, pareils dons furent offerts à son fils nouveau-né; on eut l'idée de faire contribuer toutes les communes de France en l'honneur du royal enfant, et, de la seule ville de La Rochelle, des députés vinrent apportant cent mille écus en or, somme énorme alors. Mais le Roi: « C'est trop, mes amis, leur dit-il, c'est trop pour de la bouillie; gardez cela, et l'employez à rebâtir chez vous ce que la guerre a détruit, et n'écoutez jamais ceux qui vous parleront de me faire des présens; car telles gens ne sont vos amis ni les

miens.» Ainsi pensait ce Roi protecteur déclaré de la petite propriété, qui toute sa vie fut brouillé avec les puissances étrangères, et qui faisait couper la tête aux courtisans, aux favoris, quand il les surprenait à faire des notes secrètes.

Ceci soit dit, et revenant à l'idée d'acheter Chambord, avouons-le, ce n'est pas nous, pauvres gens de village, que le ciel favorise de ces inspirations. Mais qu'importe, après tout? un homme s'est rencontré dans les hautes classes de la société, doué d'assez d'esprit pour avoir cette heureuse idée : que ce soit un courtisan fidèle, jadis pensionnaire de Fouché, ou un gentilhomme de Bonaparte employé à la garde-robe, c'est la même chose pour nous qui n'y saurions avoir jamais d'autre mérite que celui de payer. Laissons aux gens de Cour, en fait de flatteries, l'honneur des inventions, et nous, exécutons ; les frais seuls nous regardent; il saura bien se nommer l'auteur de celle-ci, demander son brevet, et nous suffise à nous, habitans de Véretz, qu'il ne soit pas du pays.

Elle est nouvelle assurément l'idée que le ministre admire et nous charge d'exécuter. On avait vu de tels dons payer de grands services, des actions éclatantes. Eugène, Marlborough, à la fin d'une vie toute pleine de gloire, obtinrent des nations qu'ils avaient su défendre ces témoignages de la reconnaissance publique; et Chambord même (sans chercher si loin des exemples), qu'on veut donner au prince pour sa layette, fut au comte de Saxe

le prix d'une victoire qui sauva la France à Fontenoi. La France, par lui libre, je veux dire indépendante, délivrée de l'étranger, au-dedans florissante, respectée au-dehors, fit présent de cette terre à son libérateur, qui s'y vint reposer de trente ans de combats. Monseigneur n'a encore que six mois de nourrice, et, il faut en convenir, de Maurice vainqueur au prince à la bavette, il y a quelque différence, à moins qu'on ne veuille dire peut-être que commençant sa vie où l'autre a fini la sienne, il finira par où Maurice a commencé, par nous débarrasser des puissances étrangères. Je le souhaite et l'espère du sang de ce Henri qui chassa l'Espagne de France; mais le payer déjà, je crois que c'est folie, et n'approuve aucunement qu'il ait ses invalides avant de sortir du maillot. Récompenser l'enfant d'être venu au monde comme le capitaine qui gagna des batailles, et par d'heureux exploits acquit à ce pays et la paix et la gloire, c'est ce qu'on n'a point vu, c'est là l'idée nouvelle, qui ne nous fût pas venue sans l'avis officiel. Pour inventer cela, et mettre à la place des hulans du comte de Saxe les dames du berceau, il faut avoir non pas l'esprit, mais le génie de l'adulation, qui ne se trouve que là où ce genre d'industrie est puissamment encouragé; ce trait sort des bassesses communes et met son auteur, quel qu'il soit, hors du gros des flatteurs de Cour. Il se moque fort apparemment de ses camarades qui, marchant dans la route battue des vieilles flagorneries usées, ne savent

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rien imaginer; on va l'imiter maintenant jusqu'à ce qu'un autre aille au delà.

Quand le gouverneur d'un Roi enfant dit à son élève jadis: « Maître, tout est à vous; ce peuple vous appartient, corps et biens, bêtes et gens, faites-en ce que vous voudrez, » cela fut remarqué. La chambre, l'antichambre et la galerie répétèrent : << Maître, tout est à vous, » qui, dans la langue des courtisans, voulait dire « tout est pour nous. » Car la Cour donne tout aux princes, comme les prêtres tout à Dieu; et ces domaines, ces apanages, ces listes civiles, ces budgets ne sont guère autrement pour le Roi que le revenu des abbayes n'est pour Jésus-Christ. Achetez, donnez Chambord, c'est la Cour qui le mangera; le prince n'en sera ni pis ni mieux. Aussi ces belles idées de nous faire contri buer en tant de diverses façons, viennent toujours de gens de Cour, qui savent très-bien ce qu'ils font en offrant au prince notre argent. L'offrande n'est jamais pour le saint, ni nos épargnes pour les Rois, mais pour cet essaim dévorant qui sans cesse bourdonne autour d'eux, depuis leur berceau jusqu'à Saint-Denis.

Car, après la leçon du sage gouverneur, au temps dont je vous parle, bon temps, comme vous savez, les princes ayant appris une fois et compris que tout était à eux, on leur enseignait à donner; un précepteur, abbé de Cour, en lisant avec eux l'histoire, leur faisait admirer cet empereur Titus qui, dit-on, donnait à toutes mains, croyant perdu le

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