Et vers le Nil, où le peuple en dansant, De fon Ifis entonnant la louange, Tous les matins fait des Dieux & les Chez tous ces gens Adonis eft fêté; On vous l'enterre avec folennité; Six jours entiers l'enfer eft fa demeure; Il est damné tant en corps qu'en esprit; Dans ces fix jours chacun gémit & pleure, Mais le feptième il reffuscite; on rit. Telle eft, dit-on, la belle allégorie, Le vrai portrait de l'homme & de la vie, Six jours de peine, un feul jour de bonheur. Du mal au bien toujours le deftin change; Mais il eft peu de plaifirs fans douleur, Et nos chagrins font fouvent fans mélange.
De la fage Climène enfin c'était le tour. Son talent n'était pas de conter des fornettes, De faire des romans ou l'hiftoire du jour, De ramaffer des faits perdus dans les gazettes. Elle était un peu fèche, aimait la vérité, La cherchait, la difait avec fimplicité; Se fouciant fort peu qu'elle fût embellie, Elle eût fait un bon tome à l'encyclopédie.
Climène à fes deux fœurs adreffa ce difcours : Vous m'avez de nos Dieux raconté les amours,
Les aventures, les myftères;
Si nous n'en croyons rien, que nous fert d'en parler? Un mot devrait fuffire: on a trompé nos pères,
Il ne faut pas leur ressembler.
Les Béotiens nos confrères
Chantent au cabaret l'hiftoire de nos Dieux;
Le vulgaire fe fait un grand plaifir de croire
Tous ces contes faftidieux
Dont on a dans l'enfance enrichi fa mémoire. Pour moi, dût le curé me gronder après boire, Je m'en tiens à vous dire, avec mon peu d'esprit, Que je n'ai jamais cru rien de ce qu'on m'a dit. D'un bout du monde à l'autre on ment & l'on mentit; Nos neveux mentiront comme ont fait nos ancêtres. Chroniqueurs, médecins & prêtres
Se font moqués de nous dans leur fatras obscur; Moquons-nous d'eux, c'eft le plus fûr. Je ne crois point à ces prophètes Pourvus d'un efprit de Python, Qui renoncent à leur raison
Pour prédire des chofes faites.
Je ne crois pas qu'un Dieu nous fasse nos enfans; Je ne crois point la guerre des géans:
Je ne crois point du tout à la prifon profonde D'un rival de Dieu même en fon temps foudroyé; Je ne crois point qu'un fat ait embrasé ce monde Que fon grand-père avait noyé.
Je ne crois aucun des miracles
Dont tout le monde parle, & qu'on n'a jamais vus. Je ne crois aucun des oracles
Que des charlatans ont vendus.
Je ne crois point... La belle au milieu de fa phrase S'arrêta de frayeur; un bruit affreux s'entend, La maison tremble, un coup de vent Fait tomber le trio qui jase.
Avec tout fon clergé Bacchus entre en buvant: Et moi je crois, dit-il, mefdames les favantes,
Qu'en fefant trop les beaux-efprits Vous êtes des impertinentes. Je crois que de mauvais écrits Vous ont un peu tourné la tête. Vous travaillez un jour de fête, Vous en aurez bientôt le prix, Et ma vengeance est toute prête; Je vous change en chauve-fouris.
Auffitôt de nos trois reclues Chaque membre fe raccourcit; Sous leur aiffelle il s'étendit Deux petites ailes velues. Leur voix pour jamais se perdit; Elles volèrent dans les rues, Et devinrent oiseaux de nuit. Ce châtiment fut tout le fruit De leurs fciences prétendues. Ce fut une grande leçon
Pour tout bon raisonneur qui fronde; On connut qu'il eft dans ce monde Trop dangereux d'avoir raison. Ovide a conté cette affaire; La Fontaine en parle après lui; Moi je la répète aujourd'hui, Et j'aurais mieux fait de me taire.
E veux conter comment la nuit dernière, D'un vin d'Arbois largement abreuvé, Par paffe-temps dans mon lit j'ai rêvé Que j'étais mort, & ne me trompais guère. Je vis d'abord notre portier Cerbère, De trois gofiers aboyant à la fois; Il me fallut traverfer trois rivières; On me montra les trois fœurs filandières, Qui font le fort des peuples & des rois. Je fus conduit vers trois juges fournois Qu'accompagnaient trois gaupes effroyables, Filles d'enfer & geolières des diables; Car, Dieu merci, tout fe fefait par trois. Ces lieux d'horreur effarouchaient ma vue; Je frémiffais à la fombre étendue Du vafte abyme où des efprits pervers Semblaient avoir englouti l'univers.
Je réclamais la clémence infinie
Des puissans Dieux, auteurs de tous les biens; Je l'accufais, lorfqu'un heureux génie Me conduifit aux champs élyfiens,
Au doux féjour de la paix éternelle,
Et des plaifirs qui, dit-on, font nés d'elle. On me montra, fous des ombrages frais,
Mille héros connus par les bienfaits Qu'ils ont verfé fur la race mortelle,
Et qui pourtant n'existèrent jamais :
Le grand Bacchus, digne en tout de fon père; Bellerophon, vainqueur de la chimère;
Cent demi-dieux des Grecs & des Romains. En tous les temps tout pays eut ses faints. Or, mes amis, il faut que je déclare Que fi j'étais rebuté du Tartare, Cet Elyfée & fa froide beauté M'avaient auffi promptement dégoûté. Impatient de fuir cette cohue, Pour m'esquiver je cherchais une issue, Quand j'aperçus un fantôme effrayant, Plein de fumée, & tout enflé de vent, Et qui femblait me fermer le paffage. Que me veux-tu, dis-je à ce personnage? Rien, me dit-il, car je fuis le Néant. Tout ce pays eft de mon apanage. De ce difcours je fus un peu troublé : Toi, le Néant! jamais il n'a parlé........ Si fait, je parle; on m'invoque & j'infpire Tous les favans qui fur mon vafte empire Ont publié tant d'énormes fatras.... Eh bien, mon roi, je me jette en tes bras. Puifqu'en ton fein tout l'univers fe plonge, Tiens, prends mes vers, ma perfonne & mon fonge. Je porte envie au mortel fortunė
Qui t'appartient au moment qu'il est ně.
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