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Evitaient la fainéantife,

Fuyaient les plaisirs, les amans;
Et, pour ne point perdre de temps,
Ne fréquentaient jamais l'églife.
Alcithoé dit à fes fœurs:

Travaillons & fefons l'aumône;
Monfieur le curé dans fon prône
Donne-t-il des confeils meilleurs?.
Filons, & laiffons la canaille
Chanter des verfets ennuyeux;
Quiconque eft honnête & travaille
Ne faurait offenfer les Dieux.
Filons, fi vous voulez m'en croire;
Et pour égayer nos travaux,
Que chacune conte une histoire
En fefant tourner fes fuseaux.
Les deux cadettes approuvèrent
Ce propos tout plein de raison,
Et leur fœur qu'elles écoutèrent
Commença de cette façon:

Le travail eft mon Dieu, lui feul régit le monde; Il eft l'ame de tout: c'eft en vain qu'on nous dit Que les Dieux font à table ou dorment dans leur lit. J'interroge les cieux, l'air & la terre & l'onde. Le puiffant Jupiter fait fon tour en dix ans. Son vieux père Saturne avance à pas plus lents, Mais il termine enfin fon immenfe carrière: Et dès qu'elle eft finie, il recommence encor.

Sur fon char de rubis mêlés d'azur & d'or Apollon va lançant des torrens de lumière. Quand il quitta les cieux il fe fit médecin,

Architecte, berger, ménétrier, devin;

Il travailla toujours. Sa fœur l'aventurière
Elt Hécate aux enfers, Diane dans les bois,
Lune pendant les nuits, & remplit trois emplois.
Neptune chaque jour eft occupé fix heures
A foulever des eaux les profondes demeures,
Et les fait dans leur lit retomber par leur poids.

Vulcain noir & craffeux, courbé fur fon enclume, Forge à coups de marteau les foudres qu'il allume.

On m'a conté qu'un jour, croyant le bien payer, Jupiter à Vénus daigna le marier.

Ce Jupiter, mes fœurs, était grand adultère;
Vénus l'imita bien; chacun tient de fon père.
Mars plut à la friponne; il était colonel,
Vigoureux, impudent, s'il en fut dans le ciel,
Talons rouges, nez haut, tous les talens de plaire;
Et tandis que Vulcain travaillait pour la cour,
Mars confolait fa femme en parfait petit-maître,
Par air, par vanité, plutôt que par amour.

Le mari méprifé, mais très-digne de l'être,
Aux deux amans heureux voulut jouer d'un tour.
D'un fil d'acier poli, non moins fin que folide,
Il façonne un réseau que rien ne peut brifer.

Il le porte la nuit au lit de la perfide.

Laffe de fes plaifirs il la voit repofer

Entre les bras de Mars; & d'une main timide

Il vous tend fon lacet fur le couple amoureux.

Puis marchant à grands pas, encor qu'il fût boiteux,

Il court vîte au foleil conter fon aventure.

Toi qui vois tout, dit-il, viens & vois ma parjure.
Cependant que Phosphore au bord de l'Orient
Au-devant de fon char ne paraît point encore,

Et qu'en verfant des pleurs la diligente Aurore
Quitte fon vieil époux pour fon nouvel amant;
Appelle tous les Dieux, qu'ils contemplent ma honte,
Qu'ils viennent me venger. Apollon eft malin,
Il rend avec plaifir ce fervice à Vulcain;
En petits vers galans fa difgrâce il raconte,
Il assemble en chantant tout le confeil divin.
Mars fe réveille au bruit auffi-bien que fa belle;
Ce Dieu très és-honté ne fe dérangea pas;
Il tint fans s'étonner Vénus entre les bras,
Lui donnant cent baisers qui font rendus par elle.
Tous les Dieux à Vulcain firent leur compliment;
Le père de Vénus en rit long-temps lui-même.
On vanta du lacet l'admirable instrument,
Et chacun dit: Bon homme, attrapez-nous de même.

Lorsque la belle Alcithoé

Eut fini fon conte pour rire,
Elle dit à fa four Thémire:
Tout ce peuple chante Evoé;
Il s'enivre, il eft en délire;
Il croit que la joie eft du bruit.
Mais vous que la raifon conduit,
N'auriez-vous donc rien à nous dire?
Thémire à fa fœur répondit:

La populace eft la plus forte;

Je crains ces dévots, & fais bien;
A double tour fermons la porte,
Et pourfuivons notre entretien.
Votre conte eft de bonne forte;
D'un vrai plaifir il me tranfporte;
Pourrez-vous écouter le mien?

C'eft de Vénus qu'il faut parler encore;
Sur ce fujet jamais on ne tarit;

Filles, garçons, jeunes, vieux, tout l'adore :
Mille grimauds font des vers fans efprit.
Pour la chanter. Je m'en fuis fouvent plainte.
Je déteftais tout médiocre auteur;

Mais on les passe, on les fouffre ; & la fainte
Fait qu'on pardonne au fot prédicateur.
Cette Vénus, que vous avez dépeinte
Folle d'amour pour le dieu des combats,
D'un autre amour eut bientôt l'ame atteinte;
Le changement ne lui déplaisait pas.
Elle trouva devers la Palestine

Un beau garçon dont la charmante minę,
Les blonds cheveux, les rofes & les lis,
Les yeux brillans, la taille noble & fine,
Tout lui plaifait; car c'était Adonis.
Cet Adonis, ainfi qu'on nous l'attefte,
Au
rang des Dieux n'était pas tout-à-fait;
Mais chacun fait combien il en tenait.
Son origine était toute célefte;
Il était né des plaifirs d'un incefte.
Son père était fon aïeul Cynira,
Qui l'avait eu de sa fille Myrrha ;

Et Cynira, ce qu'on a peine à croire,
Etait le fils d'un beau morceau d'ivoire.

Je voudrais bien que quelque grand docteur
Pût m'expliquer fa généalogie;

J'aime à m'inftruire, & c'eft un grand bonheur D'être favante en la théologie.

Mars fut jaloux de fon charmant rival; Il le furprit avec fa Cythérée

Le nez collé fur fa bouche facrée,
Fefant des Dieux. Mars eft un peu brutal;
Il prit fa lance, & d'un coup détestable,
Il tranfperça ce jeune homme adorable,
De qui le fang produit encor des fleurs.
J'admire ici toutes les profondeurs

De cette hiftoire ; & j'ai peine à comprendre
Comment un Dieu pouvait ainfi pourfendre
Un autre Dieu. Çà, dites-moi, mes fœurs,
Qu'en pensez-vous? parlez-moi fans fcrupule,
Tuer un Dieu n'eft-il pas ridicule?

Non, dit Climène, & puifqu'il était né,
C'est à mourir qu'il était destiné:

Je le plains fort, sa mort paraît trop prompte:
Mais poursuivez le fil de votre conte.

Notre Thémire aimant à raisonner
Lui répondit: Je vais vous étonner.
Adonis meurt; mais Vénus la féconde,
Qui peuple tout, qui fait vivre & fentir,
Cette Vénus qui créa le plaifir,
Cette Vénus qui répare le monde,
Reffufcita, fept jours après fa mort,

Le Dieu charmant dont vous plaignez le fort.

Bon! dit Climène, en voici bien d'une autre; Ma chère fœur, quelle idée eft la vôtre? Reffufciter les gens! je n'en crois rien. Ni moi non plus, dit la belle conteufe; Et l'on peut être une fille de bien En foupçonnant que la fable eft menteufe. Mais tout cela fe croit très-fermement Chez les docteurs de ma noble patrie, Chez les rabbins de l'antique Syrie,

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