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Qu'on voit partir de la corde d'un arc,
Madame faute, & vous franchit le parc.

Au même inftant palais, jardins, fontaines, Or, diamans, émeraudes, rubis,

Tout disparaît à ses yeux ébaubis;
Elle ne voit que les ftériles plaines
D'un grand défert, & des rochers affreux:
La dame alors, s'arrachant les cheveux,
Demande à Dieu pardon de ses sottises.
La nuit venait ; & déjà fes mains grifes
Sur la nature étendaient fes rideaux.
Les cris perçans des funèbres oifeaux,
Les hurlemens des ours & des panthères
Font retentir les antres folitaires.
Quelle autre fée, hélas! prendra le foin
De fecourir ma folle aventurière !
Dans fa détreffe elle aperçut de loin,
A la faveur d'un refte de lumière,
Au coin d'un bois, un vilain charbonnier,
Qui s'en allait par un petit fentier,
Tout en fifflant, retrouver sa chaumière.
"Qui que tu fois, lui dit la beauté fière,
" Vois en pitié le malheur qui me suit;
,, Car je ne fais où coucher cette nuit. ››
Quand on a peur, tout orgueil s'humanise.

Le noir pataut, la voyant fi bien mise, Lui répondit: Quel étrange démon "Vous fait aller dans cet état de crise, "Pendant la nuit, à pied, fans compagnon? "Je fuis encor très-loin de ma maison. "Çà, donnez-moi votre bras, ma mignonne; "On recevra fa petite perfonne

,, Comme on pourra. J'ai du lard & des œufs. " Toute française, à ce que j'imagine,

"Sait, bien ou mal, faire un peu de cuifine.

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Je n'ai qu'un lit; c'eft affez pour nous deux. 19
Difant ces mots, le ruftre vigoureux,

fa

D'un gros baiser sur sa bouche ébahie,
Ferme l'accès à toute repartie;

Et par avance il veut être payé
Du nouveau gîte à la belle octroyé.
Hélas, hélas! dit la dame affligée,
Il faudra donc qu'ici je fois mangée
D'un charbonnier ou de la dent des loups!
Le défespoir, la honte, le courroux
L'ont fuffoquée; elle eft évanouie.
Notre galant la rendait à la vie :

La fée arrive, & peut-être un peu tard.
Préfente à tout, elle était à l'écart.

"Vous voyez bien, dit-elle à fa filleule,
"Que vous étiez une franche bégueule.
› Ma chère enfant, rien n'eft plus périlleux
"Que de quitter le bien pour être mieux. ››
La leçon faite, on reconduit ma belle
Dans fon logis. Tout y changea pour elle
En peu de temps, fitôt qu'elle changea.
Pour fon profit elle fe corrigea.
Sans avoir lu les beaux moyens de plaire
Du feur Moncrif, & fans livre elle plut.
Que fallait-il à fon cœur?... qu'il voulût.
Elle fut douce, attentive, polie,
Vive & prudente; & prit même en fecret
Pour charbonnier un jeune amant discret,
Et fut alors une femme accomplie.

ENVOI

ENVOI A MADAME DE FLORIAN. (1)

CHLOÉ, quand mon impertinente

A la fin connut la façon

De devenir femme charmante,
C'eft de vous qu'elle prit leçon;
Mais elle eft loin de fon modèle.
Votre fort eft plus fingulier;
Vous aviez pis qu'un charbonnier,
Et vous avez mieux choifi qu'elle.

LES FINANCE S.

1775.

QUAND Terrai nous mangeait, un honnête bourgeois,

Lallé des contre-temps d'une vie inquiéte,
Transplanta fa famille au pays champenois :
Il avait près de Rheims une obscure retraite;
Son plus clair revenu confiftait en bon vin.
Un jour qu'il arrangeait fa cave & fon ménage,
Il fut dans fa maifon vifité d'un voifin,
Qui parut à fes yeux le feigneur du village :
Cet homme était fuivi de brillans eftafiers,
Sergens de la finance habillés en guerriers.
Le bourgeois fit à tous une humble révérence,
Du meilleur de fon cru prodigua l'abondance;
Puis il s'enquit tout bas quel était le seigneur
Qui fefait aux bourgeois un tel excès d'honneur.

(1) Jolie génevoife qui, après avoir fait divorce avec Rillet fon mari, homme d'efprit, mais un peu bizarre, avait epouse M. de Florian, gentilhomme de Languedoc, alors veuf d'une nièce de M. de Voltaire.

Contes, Satires, &c.

F

1

Je fuis, dit l'inconnu, dans les fermes nouvelles, Le royal directeur des aides & gabelles....

(a)

Ah! pardon, Monfeigneur! Quoi, vous aidez le roi?...
Oui, l'ami.... Je révère un fi fublime emploi :
Le mot d'aide s'entend: gabelles m'embarraffe.
D'où vient ce mot?... D'un juif appelé Gabelus....
Ah, d'un juif! je le crois.... Selon les nobles us
De ce peuple divin, dont je chéris la race,
Je viens prendre chez vous les droits qui me font dus.
J'ai fait quelques progrès par mon expérience
Dans l'art de travailler un royaume en finance.
Je fais loyalement deux parts de votre bien :
La première eft au roi, qui n'en retire rien;
La feconde eft pour moi. Voici votre mémoire.
Tant pour les brocs de vin qu'ici nous avons bus;
Tant pour ceux qu'aux marchands vous n'avez point vendus,
Et pour ceux qu'avec vous nous comptons encor boire.
Tant pour le fel marin duquel nous préfumons
Que vous deviez garnir vos favoureux jambons. (b)
Vous ne l'avez point pris, & vous deviez le prendre.
Je ne fuis point méchant, & j'ai l'ame affez tendre.
Compofons, s'il vous plaît. Payez dans ce moment
Deux mille écus tournois par accommodement.

Mon badaud écoutait d'une mine attentive
Ce difcours éloquent qu'il ne comprenait pas;
Lorsqu'un autre feigneur en fon logis arrive,
Lui fait fon compliment, le ferre entre fes bras:
Que vous êtes heureux! votre bonne fortune,
En pénétrant mon cœur, à nous deux eft commune.
Du domaine royal je fuis le contrôleur :

J'ai fu que depuis peu vous goûtez le bonheur

D'être feul héritier de votre vieille tante.

Vous penfiez n'y gagner que mille écus de rente:
Sachez que la défunte en avait trois fois plus.
Jouiffez de vos biens, par mon favoir accrus.
Quand je vous enrichis, fouffrez que je demande,
Pour vous être trompé, dix mille francs d'amende. (c)
Auffitôt ces meffieurs, difcrétement unis,
Font des biens au foleil un petit inventaire;
Saififfent tout l'argent, démeublent le logis.
La femme du bourgeois crie & fe désespère;
Le maître eft interdit: la fille eft toute en pleurs;
Un enfant de quatre ans joue avec les voleurs,
Heureux pour quelque temps d'ignorer fa difgrâce!

Son aîné, grand garçon, revenant de la chasse,
Veut fecourir fon père, & défend la maison :
On les prend, on les lie, on les mène en prison;
On les juge; on en fait de nobles argonautes,
Qui, du port de Toulon devenus nouveaux hôtes, (d)
Vont ramer pour le roi vers la mer de Cadix.
La pauvre mère expire en embrassant son fils :
L'enfant abandonné gémit dans l'indigence:

La fille fans fecours eft fervante à Paris.

C'eft ainfi qu'on travaille un royaume en finance.

NOTE S.

(a) Il y eut en effet le juif Gabelus qui eut des affaires d'argent avec le bon homme Tobie : & plufieurs doctes très-senses tirent de l'hébreu l'étymologie de gabelle; car on fait que c'est de l'hébreu que vient le français.

(t) Un homme qui a tant de cochons doit prendre tant de fel pour les faler ; & s'ils meurent, il doit prendre la même quantité de fel, fans quoi il eft mis à l'amende, & on vend fes meubles.

(c) Les contrôleurs du domaine évaluent toujours le bien dont tout collatéral hérite au triple de la valeur, le taxent fuivant cette évaluation, impofent une amende exceffive, vendent le bien à l'encan & l'achètent à bon marché.

(d) L'aventure eft arrivée à la famille d'Antoine Fufigat.

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