Or admirez la faibleffe des gens. Plus elle était diftraite, indifférente, Plus ils tâchaient, par des foins complaisans, D'apprivoiser fon humeur méprisante; Et plus auffi notre belle abusait
De tous les pas que vers elle on fefait. Pour les amans encor plus intraitable, Aise de plaire, & ne pouvant aimer, Son cœur glacé fe laiffait confumer Dans le chagrin de n'avoir rien d'aimable : - D'elle à la fin chacun fe retira.
De courtisans elle avait une lifte, Tout prit parti: feule elle demeura Avec l'orgueil, compagnon dur & trifte, Bouffi, mais fec, ennemi des ébats; Il renfle l'ame, & ne la nourrit pas. La dégoûtée avait eu pour marraine La fée Aline. On fait que ces efprits Sont mitoyens entre l'espèce humaine Et la divine; & monfieur Gabalis Mit par écrit leur hiftoire certaine. La fée allait quelquefois au logis De fa filleule, & lui difait : " Arfène, "Es-tu contente à la fleur de tes ans? "As-tu des goûts & des amusemens? "Tu dois mener une affez douce vie. " L'autre en deux mots répondait : je m'ennuie. "C'eft un grand mal, dit la fée, & je croi "Qu'un beau fecret, c'eft de vivre chez foi. " Arfène enfin conjura fon Aline
De la tirer de fon maudit pays. Je veux aller à la sphère divine :
"Faites-moi voir votre beau paradis ; "Je ne faurais fupporter ma famille ,, Ni mes amis. J'aime affez ce qui brille, "Le beau, le rare ; & je ne puis jamais "Me trouver bien que dans votre palais; ,, C'est un goût vif dont je me fens coiffée. ›› Très-volontiers, dit l'indulgente fée.
Tout auffitôt dans un char lumineux Vers l'Orient la belle eft transportée : Le char volait ; & notre dégoûtée, Pour être en l'air, fe croyait dans les cieux. Elle defcend au féjour magnifique De la marraine. Un immenfe portique, D'or cifelé dans un goût tout nouveau, Lui parut riche & passablement beau; Mais ce n'eft rien quand on voit le château. Pour les jardins, c'est un miracle unique ; Marli, Versaille & leurs petits jets d'eau N'ont rien auprès qui furprenne & qui pique. La dédaigneufe, à cette œuvre angélique, Sentit un peu de fatisfaction.
Aline dit: Voilà votre maison;
Je vous y laiffe un pouvoir defpotique,
" Commandez-y. Toute ma nation
"Obéira fans aucune réplique.
"J'ai quatre mots à dire en Amérique,
"Il faut que j'aille y faire quelques tours :
Je reviendrai vers vous en peu de jours. "J'espère au moins, dans ma douce retraite, "Vous retrouver l'ame un peu fatisfaite. part. La belle en liberté Refte & s'arrange au palais enchanté,
Commande en reine, ou plutôt en déesse. De cent beautés une foule s'empresse A prévenir fes moindres volontés. A-t-elle faim? cent plats font apportés ; De vrai nectar la cave était fournie, Et tous les mets font de pure ambrofie; Les vases font du plus fin diamant. Le repas fait, on la mène à l'inftant Dans les jardins, fur les bords des fontaines, Sur les gazons refpirer les haleines
Et les parfums des fleurs & des zéphyrs. Vingt chars brillans de rubis, de faphirs, Pour la porter fe préfentent d'eux-mêmes; Comme autrefois les trépieds de Vulcain Allaient au ciel, par un reffort divin, Offrir leur fiége aux majestés suprêmes. De mille oiseaux les doux gazouillemens, L'eau qui s'enfuit fur l'argent des rigoles, Ont accordé leurs murmures charmans: Les perroquets répétaient ses paroles, Et les échos les difaient après eux. Telle Pfyché, par le plus beau des Dieux A fes parens avec art enlevée, Au feul Amour dignement réservée, Dans un palais des mortels ignoré, Aux élémens commandait à fon gré. Madame Arfène est encor mieux fervie; Plus d'agrémens environnaient fa vie; Plus de beautés décoraient fon féjour; Elle avait tout, mais il manquait l'Amour. On lui donna le foir une mufique
Dont les accords & les accens nouveaux
Feraient pâmer foixante cardinaux.
Ces fons vainqueurs allaient au fond des ames; Mais elle vit, non fans émotion,
Que pour chanter on n'avait que des femmes. Dans ce palais point de barbe au menton! A quoi, dit-elle, a pensé ma marraine? Point d'homme ici! Suis-je dans un couvent? Je trouve bon que l'on me serve en reine; Mais fans fujets la grandeur eft du vent. J'aime à régner, fur des hommes s'entend: Ils font tous nés pour ramper dans ma chaîne: C'est leur deftin, c'eft leur premier devoir ; Je les méprife & je veux en avoir. Ainfi parlait la recluse intraitable; Et cependant les nymphes fur le foir Avec respect ayant servi sa table, On l'endormit au fon des inftrumens.
Le lendemain mêmes enchantemens, Mêmes feftins, pareille férénade; Et le plaifir fut un peu moins piquant. Le lendemain lui parut un peu fade; Le lendemain fut trifte & fatigant; Le lendemain lui fut infupportable.
Je me fouviens du temps trop peu durable, Où je chantais dans mon heureux printemps Des lendemains plus doux & plus plaifans. La belle enfin chaque jour fêtoyée Fut tellement de fa gloire ennuyée, Que, déteftant cet excès de bonheur, Le paradis lui fesait mal au cœur. Se trouvant feule, elle avise une brèche A certain mur; & femblable à la flèche
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